Dossier – Harry Potter, l’enfance traumatisée : la construction émotionnelle (1)
Note : cette série d’articles n’a pas été écrite par un⋅e spécialiste de la psychopathologie de l’enfant. Elle survole de manière simplifiée les parallèles qui peuvent être faits entre les aspects psychologiques de la construction de l’enfant en rupture affective et la manière dont est construit le personnage de Harry.
En psychopathologie, on définit le traumatisme précoce par l’existence de violences, de maltraitances ou de séparation brutale avec les figures d’attachement (généralement les parents) survenant entre 0 et 2 ans. Le lien affectif avec ces figures d’attachement, appelées caregivers, est alors rompu. Harry Potter, qui perd brutalement ses parents à l’âge de quinze mois et qui est ensuite placé chez son oncle et sa tante, des adultes dépourvus de toute affection à son égard, entre parfaitement dans cette définition. Comment cela se manifeste-t-il chez lui ? Le personnage de Harry est-il représentatif de la construction psychologique de l’enfant ayant subi ce type de traumatismes ? Que nous apprend-t-il sur le sujet ?
C’est ce que nous vous proposons de décrypter dans cette série de cinq articles portant un regard psychopathologique sur le personnage de Harry Potter.
Ce premier article porte sur la construction émotionnelle de l’enfant qui subit ce traumatisme précoce. Comment se construit-il affectivement parlant ? Comment se développent ses émotions, comment les comprend-il, comment réagit-il à celles-ci ? C’est ce que nous allons tenter de comprendre dans la suite de l’article.
La reconnaissance des émotions : une capacité apprise
Savoir identifier et comprendre ses émotions n’est pas une capacité innée. Cela s’apprend, tout au long de l’enfance, dès les premiers jours de vie. C’est l’adulte qui, d’abord, donne du sens aux sensations et aux émotions de l’enfant et lui permet ainsi de les reconnaître. Les émotions de l’enfant doivent, en somme, être mises en mots par l’adulte. L’enfant, dès sa naissance, est donc très dépendant de ses figures d’attachement, qui doivent être investies auprès de lui pour lui apprendre à décrypter ses émotions.
Dès ses quinze mois, Harry se retrouve placé chez les Dursley qui ne portent sans doute aucune attention à ses émotions et ne se donnent probablement pas la peine de leur donner du sens. Les Dursley ne peuvent être considérés comme des caregivers que parce qu’ils s’occupent de Harry, le nourrissent, l’habillent et s’assurent de sa survie. Mais ils ne constituent pas des figures d’attachement car il n’offrent à Harry aucune affection, aucune réassurance.
Harry grandit donc dans une sorte de tempête émotionnelle qu’il est incapable de comprendre, et il ne dispose d’aucune aide pour le faire. La manière dont peuvent se manifester les premiers signes de magie pourraient d’ailleurs être symboliques de cette tempête.
Lorsque Hagrid rencontre Harry pour la première fois, et qu’il évoque sa nature sorcière, il lui pose la question suivante : « Il s’est jamais passé de choses bizarres, de choses inexplicables quand tu étais en colère ou que tu avais peur ? ». Mais oui –Jamy– Hagrid, tu as raison ! Harry est tellement dépassé par ses propres émotions, tellement incapable de comprendre d’où vient sa colère ou sa tristesse et comment les exprimer, qu’il le fait de manière tout à fait inadéquate.
Bien sûr, ce n’est pas ce qu’a voulu nous dire l’autrice en décrivant ces premières manifestations maladroites de capacités magiques, mais l’écho est tout de même important et la question symbolique. Lorsqu’aucun adulte n’est disponible pour recevoir nos émotions, les tempérer, nous les expliquer… Nous n’avons pas d’autre moyen de les extérioriser. En faisant disparaître la vitre qui retient le boa constrictor prisonnier au zoo, le jour du onzième anniversaire de son cousin Dudley, Harry témoigne de sa colère et de son agacement comme il le peut.
Par la suite, l’enfant qui n’a pas bénéficié de cette mise en sens des émotions par l’adulte développe fréquemment une alexithymie, qui se définit par une « difficulté à identifier, différencier et exprimer ses émotions, ou parfois celles d’autrui ». En bref, cela signifie que l’enfant peut être capable d’identifier les émotions majeures, mais qu’il ne parvient pas à identifier les émotions fines et les nuances émotionnelles. Cela concerne avant tout ses propres émotions, mais cela peut également impliquer des difficultés à identifier les émotions des autres, et donc compliquer les relations sociales de manière générale.
Dès l’enfance, ces difficultés peuvent se manifester par une dysrégulation émotionnelle entraînant des accès de colère, une agressivité… L’enfant a du mal à se réguler, à gérer ces émotions qu’il ne comprend pas, cela entraîne de la frustration et, au bout d’un moment, ces émotions « explosent ». On pense alors évidemment à l’état dans lequel se trouve Harry dans Harry Potter et l’Ordre du Phénix. Il se sent en colère contre tout le monde en permanence, il paraît noyé dans ses propres émotions, dans sa rage et son agressivité… Lorsqu’il rejoint ses amis au 12, Square Grimmaurd après avoir été coupé du monde pendant tout l’été, Harry ne parvient pas à garder son calme et Ron et Hermione essuient de violentes crises de colère qu’ils ont du mal à comprendre. Harry, lui-même, sait qu’il est en colère, mais éprouve des difficultés à verbaliser pourquoi, et il en est, après coup, décontenancé.
Si cette tempête émotionnelle est également à mettre en lien avec les affres de l’adolescence, période impliquant des difficultés à gérer ses émotions pour toutes et tous, il est évident qu’Harry a bien plus de mal à identifier ce qu’il ressent que le reste des personnages qui l’entourent. Il est certes soumis à des situations beaucoup plus anxiogènes, mais cela témoigne tout de même bien de cette difficulté à gérer ses émotions propre à l’enfant ayant subi une rupture affective précoce.
Le noyau mélancolique et l’image des Détraqueurs
Dès le tome 3, les Détraqueurs font leur apparition dans l’histoire. J. K. Rowling a plusieurs fois déclaré que ces créatures étaient des allégories de la dépression. Cependant, le fait qu’Harry y soit davantage sensible peut être mis en lien avec le traumatisme précoce qu’il porte en lui.
Entre six et huit mois environ, le nourrisson passe par une phase dépressive normale et développementale. Il comprend que sa figure d’affection est capable de lui donner du plaisir (par le contact physique, la nourriture, l’affection…) mais également de le frustrer (lorsqu’il lui refuse ces gestes d’affection, lorsqu’il le fait attendre avant de le nourrir…). Ladite figure devient alors un « objet total » à double-valeur (négative et positive), lorsqu’elle n’avait auparavant qu’une valeur positive.
Cette prise de conscience génère chez le bébé une inquiétude que l’on qualifie de position dépressive. C’est une inquiétude transitoire et physiologique : elle témoigne de la réorganisation complète de la manière dont le bébé se représente ses figures d’affection. En bref, elle n’existe que le temps que le bébé modifie sa manière de considérer ses figures d’affection et s’adapte à cette nouvelle image.
L’enfant ayant subi un traumatisme précoce peut garder des résidus de cette position dépressive qui peuvent se manifester parce qu’on appelle le noyau mélancolique. Il s’agit en somme d’une perte d’élan vital, cet élan qui nous porte, qui nous pousse à vouloir nous lever, nous nourrir, sociabiliser, trouver du plaisir… Et cette perte survient de manière brusque et inattendue. L’enfant s’effondre, sans qu’il ne sache pourquoi ni que cela soit lié à un événement en particulier. Cet élan vital positif, qui le pousse à avoir envie de vivre, disparaît.
Les Détraqueurs, qui aspirent toute émotion positive, anéantissent tout envie de rire ou de vivre, sont en somme des destructeurs d’élan vital. C’est en cela que J. K. Rowling les a considérés comme symboliques de la dépression. Harry, qui a subi un traumatisme précoce, y est forcément plus sensible, car il porte en lui les souvenirs de ce traumatisme, les résidus de la séparation avec ses parents. Cette séparation ayant eu lieu de manière précoce, la réorganisation qui se fait chez tout bébé n’a pas eu l’occasion de se cristalliser. Elle s’est heurtée à des caregivers qui, soudain, n’avaient plus de double valeur positive et négative, mais une valeur uniquement négative : les Dursley. Ainsi, lorsque les Détraqueurs s’approchent et menacent d’aspirer l’élan vital de ceux qui se trouvent sur leur chemin, Harry y est plus vulnérable, son élan vital étant plus fragile.
Le Patronus, ancrage pour résister à la tempête
La prise en charge psychopathologique de l’enfant en rupture affective précoce implique un travail autour de la reconnaissance de ces émotions. Ce travail peut être très varié, mais il implique notamment de pouvoir trouver des éléments, des images auxquelles se raccrocher pour ne pas se laisser emporter dans cette tempête émotionnelle qui n’accepte aucune rationalisation.
L’un des exercices fréquemment utilisés conduit l’enfant à sélectionner une image particulière, apaisante ou sécurisante, qu’il essaiera de « convoquer » lors de ses tempêtes émotionnelles, pour s’y raccrocher et passer cet orage. Si l’enfant se concentre suffisamment sur cette image rassurante, il parviendra parfois à se protéger des émotions qui l’assaillent, jusqu’à ce que celles-ci rebroussent chemin.
Cet exercice, très porté sur la symbolique, peut-être difficile à mettre en place. Il demande de la concentration et de l’entraînement, bien sûr. Mais il peut se montrer efficace, après un long travail, pour aider l’enfant à maîtriser davantage ses émotions.
Il est difficile de ne pas faire le lien avec le sortilège du Patronus qui, de la même manière, pare l’arrivée des Détraqueurs au moyen d’un souvenir positif et rassurant. L’image de ce « bouclier de lumière » est particulièrement parlante pour un enfant qui voudrait essayer de repousser ses orages émotionnels. Elle pourrait tout à fait être utilisée en thérapie, aidant l’enfant à visualiser cette image qui le protège de l’extérieur et de lui-même à la fois. D’ailleurs, comme cet exercice de visualisation, le sortilège du Patronus est difficile à apprendre, il demande de l’entraînement et de la concentration… et tout le monde n’en est pas capable.
Ainsi, nous l’avons vu : dès les premiers mois de vie, la présence et le comportement des figures d’attachement détermine la manière dont le système d’émotions se construit, se cristallise et se gère. Le personnage d’Harry Potter incarne par bien des manières la manière dont cette construction émotionnelle peut être altérée. Et les éléments de la suite de la saga – Détraqueurs, Patronus… – symbolisent extrêmement bien les manifestations de ces difficultés et la manière dont elles peuvent être traitées.
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Sources : analyse inspirée d’un cours de psychopathologie donné par le docteur L.Boissel à l’Université de Picardie Jules Verne (AMIENS) en novembre 2021.