Dossier – Harry Potter, l’enfance traumatisée : le processus de reconstruction (5)
Note : cette série d’articles n’a pas été écrite par un.e spécialiste de la psychopathologie de l’enfant. Elle survole de manière simplifiée les parallèles qui peuvent être faits entre les aspects psychologiques de la construction de l’enfant en rupture affective et la manière dont est écrit le personnage de Harry.
Dans nos précédents articles de la série Harry Potter, l’enfance traumatisée, que nous vous conseillons vivement de lire avant d’entamer celui-ci, nous abordions les questions de la construction émotionnelle, de l’apprentissage de la nuance, de l’identité, et de la posture de la victime et de l’agresseur. Dans ce cinquième et dernier article, nous allons nous intéresser au processus de reconstruction. Comment et grâce à quels outils l’enfant traumatisé dépasse-t-il son traumatisme ? Quelles clés nous offrent la saga Harry Potter pour comprendre ce processus complexe ? Quel symbolisme peut-on piocher dans la saga ? Nous allons tenter de découvrir tout cela ensemble.
Tout au long de la saga, Harry évolue. Il apprend à se connaître, à prendre de la distance par rapport à son histoire, à reconsidérer l’image qu’il se fait de ses parents et des autres adultes qui l’entourent… C’est un processus lent et complexe mais, au bout de sept tomes, Harry parvient à vaincre Voldemort, le responsable de son traumatisme, et cela constitue une belle métaphore de la reconstruction de l’enfant traumatisé. Tout au long de son parcours, nous pouvons relever des éléments qui résonnent avec la trajectoire de l’enfant en rupture affective précoce.
Retrouver des figures d’attachement : Poudlard comme un ancrage
Comme nous l’évoquions dans le premier article de cette série, on parle de traumatisme précoce lorsqu’il existe une rupture avec les figures d’attachement, qu’elle soit dûe à leur disparition (c’est le cas pour les parents de Harry, qui décèdent lorsqu’il a quinze mois) ou à des violences de leur part (c’est le cas pour les Dursley, qui maltraitent Harry lorsqu’ils l’accueillent dans leur foyer). Or, nous l’avons mentionné : les figures d’attachement sont indispensables au bon développement de l’enfant. Ce sont elles qui lui donnent les moyens de se construire d’un point de vue émotionnel et identitaire. Si elles sont absentes, l’enfant aura tendance à chercher des figures de substitution, qu’elles soient effectivement génératrices d’affection ou non. Cela peut être d’autres adultes, bien sûr, mais cela peut également passer par des objets, des lieux…
Il n’est ainsi pas rare que des enfants placés en institution psychiatrique refusent de la quitter, fassent tout pour y retourner car l’endroit incarne cet attachement, ce sentiment de sécurité. Il semble que Poudlard incarne cela pour Harry. Il définit lui-même l’école comme sa maison, arguant qu’il ne s’y est jamais senti autant chez lui, attendant la rentrée avec impatience, redoutant les vacances et la séparation avec le château…
Poudlard, bien plus qu’un simple lieu, est une véritable figure d’attachement pour Harry. Elle est plus solide et immuable que n’importe lequel des adultes qui l’entourent et même Dumbledore, qui est pourtant une figure de proue dans la vie de Harry, ne lui survit pas. Elle lui procure tout ce dont il a toujours eu besoin (sécurité, chaleur, confort…) et elle est finalement la seule qui demeure…
Poudlard est, en cela, la première et la dernière figure d’attachement de Harry.
Se montrer capable de résilience : faire ses propres choix
La résilience est un élément important du processus de reconstruction. Elle constitue en fait la possibilité de faire un pas de côté par rapport à la transmission intergénérationnelle, de prendre de la distance par rapport à son traumatisme pour construire sa propre histoire. L’enfant doit alors prendre une liberté par rapport à tout ce poids qu’il porte sur lui depuis tout petit. Il doit prendre conscience qu’il n’y a pas de fatalité, qu’il a la possibilité de faire ses propres choix.
C’est ce que fait Harry dès son entrée à Poudlard quand, malgré la volonté du Choixpeau de le mettre à Serpentard, il décide de se distinguer de son histoire. Harry sait que Voldemort est allé à Serpentard et le Choixpeau lui assure que cette maison le mettrait « sur le chemin de la grandeur », mais il ne veut pas de cette grandeur. Il veut décider pour lui-même et prendre de la distance avec son histoire, et c’est ainsi qu’il se retrouve à Gryffondor. Ce premier pas de côté constitue la première marche du grand escalier qui le mènera finalement à défier Voldemort et à battre ainsi le poids de son traumatisme.
Élaborer son histoire pour y accéder : le recours à la Pensine
Le traumatisme, par sa nature même, est de l’ordre de l’impensable. Il faut du temps à l’enfant traumatisé pour accéder à son histoire, pour dépasser le caractère effractant (violent, pénétrant, destructeur) de son traumatisme. En psychopathologie, l’un des outils que l’on peut utiliser pour accompagner l’enfant dans ce processus est la co-élaboration. Les professionnels qui entourent l’enfant mettent en commun ce qu’ils savent de son histoire et lui en livrent petit à petit des éléments. Ils lui permettent d’avoir accès à son passé, sans pour autant lui en livrer tous les éléments car l’enfant n’a pas toujours la capacité de les accueillir. Ainsi, ils permettent à l’enfant d’accéder à son héritage, à son passé, de manière progressive et accompagnée. Le fait que ce soit l’autre qui, fragment par fragment, lui livre son histoire, permet aussi à l’enfant de prendre de la distance. Il accède à son passé en l’élaborant, et c’est une étape clé vers la reconstruction.
Quel formidable outil, pour cela, que la Pensine ! Elle est le parfait symbole de ce processus de co-élaboration qui permet à l’enfant d’accéder à son histoire. Par sa nature, la Pensine permet d’observer ses souvenirs avec du recul et avec un regard extérieur. Petit à petit, Dumbledore regroupe les souvenirs qui sont en lien avec l’histoire de Harry et l’invite à venir les observer avec lui. À la manière d’un médecin moldu, Dumbledore sélectionne les souvenirs qu’il croit bon de montrer à Harry et il l’accompagne dans leur observation, dans ce processus de co-élaboration. Ainsi, dans le tome 6, Harry ne prend pas seulement connaissance des éléments qui lui permettront de vaincre Voldemort en détruisant les Horcruxes : il apprend à élaborer son histoire et à se reconstruire autour d’elle.
Techniques de visualisation et remparts psychologiques : le Patronus et Riddikulus
Les techniques de visualisation sur une manière courante de travailler autour d’un traumatisme ou d’une situation génératrice d’émotions négatives. La capacité à se créer des images mentales rassurantes en réponse à une situation de stress est un outils précieux qui est souvent ciblé dans les thérapies.
La magie du monde d’Harry Potter, par plusieurs aspects, s’inspire de ces techniques de visualisation. On ne peut évidemment pas passer à côté du Patronus, que nous avions déjà cité dans les articles précédents. Il s’agit de la projection d’un souvenir particulièrement heureux qui permet d’éloigner la peur (symbolisée ici par le Détraqueur). Ce sortilège agit comme un « bouclier » face aux émotions négatives et est précisement basé sur la visualisation.
Mais ce n’est pas le seul sortilège qui a recours à cette technique de visualisation. En effet, on peut également citer le sortilège Riddikulus, utilisé face à l’Épouvantard, cette créature métamorphe qui prend la forme de la plus grande peur de chacun. La seule façon de se défendre face à cette créature est d’effectuer une transformation mentale : il s’agit de visualiser sa plus grande peur être transformée en quelque chose de drôle, d’amusant. Le sorcier doit donc effectuer un travail d’imagination, de visualisation mentale pour repousser sa peur et reprendre le contrôle sur celle-ci. Ce sortilège entre en véritablement résonance avec les techniques de la psychologie moldue ! Grâce à leur professeur, Remus Lupin, les élèves de Poudlard apprennent à reprendre le contrôle sur leurs frayeurs et à transformer leurs émotions négatives en émotions positives, grâce à la visualisation.
Accéder à la nuance : Severus Rogue et Albus Dumbledore
Petit à petit, l’enfant traumatisé accède à la nuance. Il devient capable de comprendre que chaque individu porte en lui du bon et du mauvais et il se détache de sa vision manichéenne. C’est une étape très importante pour la construction de l’enfant, car c’est ce qui lui permettra de nouer des relations saines avec les gens qui l’entourent. Il n’y parviendra pas toujours, mais la possibilité d’avoir accès à cette nuance et d’accepter cette complexité inhérente à l’humain constitue un bon signe d’amélioration et de reconstruction de l’enfant.
C’est ce qui se passe, progressivement, pour Harry. Petit à petit, il comprend que le monde n’est pas aussi manichéen qu’il le pensait. Il comprend qu’il ne suffit pas d’être à Gryffondor pour être bon et d’être à Serpentard pour être mauvais. Il comprend que son père n’était pas toujours le héros qu’il a cru qu’il était et, après une phase de dégoût et de choc, il apprend avec Remus Lupin à relativiser ses erreurs et à reconsidérer sa figure paternelle. Il pardonne à sa tante Pétunia et à Dudley (qui est lui aussi une victime de son environnement familial), sans pour autant oublier les maltraitances qu’il a vécues à leurs côtés…
Cet apprentissage de la nuance s’incarne particulièrement dans le rapport qu’a Harry à Severus Rogue et à Albus Dumbledore. La façon dont il considère les deux hommes fonctionne en opposition : au départ, Albus Dumbledore est parfait et Severus Rogue est le pire des hommes. Puis, petit à petit, au cours de l’histoire, Harry admet qu’aucune de ces affirmations n’est vraie. Même si cela lui demande de gros efforts, il comprend finalement que Dumbledore était capable de faire des erreurs lui aussi. Et, une fois de plus grâce à la Pensine, il remet en cause sa haine pour Severus Rogue et comprend qu’il a été capable de le protéger, malgré toutes ses tares et ses erreurs. Il accède enfin à une vision pleine et complexe de ces deux adultes, et par là même à une vision plus nuancée du monde qui l’entoure. La phrase de Sirius à son égard résonne alors brillamment avec ce changement de prisme : « Dans le monde, il n’y a pas d’un côté les bons et de l’autre les Mangemorts. Il y a une part de lumière et d’ombre en chacun de nous. »
Ainsi, le parcours de Harry tout au long des sept tomes et des huits films s’apparente au parcours de reconstruction d’un enfant en rupture affective. Harry, et le lecteur avec lui, apprend à nuancer sa vision du monde, à maîtriser davantage ses émotions, à faire la part des choses entre son statut de victime et le statut d’Élu qui en découle… C’est un véritable parcours initiatique, plein d’apprentissages et d’obstacles, et empreint d’une symbolique forte.
Tout au long de cette série d’articles, nous avons exploré les liens qui peuvent exister entre les concepts psychopathologiques de notre monde et la saga Harry Potter. Comme nous l’avions évoqué dans le premier article, il ne s’agit pas d’une analyse de l’œuvre au sens strict, mais davantage d’une tentative de compréhension de concepts psychopathologiques en regard d’une œuvre de fiction. Harry, en tant que personnage, n’incarne pas parfaitement le figure de l’enfant maltraité ou traumatisé, mais certains aspects de sa personnalité entrent en résonance avec celle-ci. La saga, forte de sa symbolique, constitue une clé pour aborder ces thèmes. Il existerait sans aucun doute d’autres parallèles à faire dans ce domaine, et nous vous invitons à nous faire part de vos interprétations !
Cet article vous a plu ? N’hésitez pas à aller lire les autres articles :
- Dossier – Harry Potter, l’enfance traumatisée : la construction émotionnelle (1)
- Dossier – Harry Potter, l’enfance traumatisée : appréhender le monde et ses nuances (2)
- Dossier – Harry Potter, l’enfance traumatisée : identité marquée, identité fragmentée (3)
- Dossier – Harry Potter, l’enfance traumatisée : victime et agresseur, une relation ambiguë (4)
Source : analyse inspirée d’un cours de psychopathologie donné par le docteur L.Boissel à l’Université de Picardie Jules Verne (AMIENS) en novembre 2021.