Harry Potter : faut-il « grandir et passer à autre chose » ? – Opinion
Cet article présente l’opinion de son auteur, et ne reflète pas l’avis de l’ensemble de la rédaction
En affirmant lors d’une interview qu’elle s’inquiète pour les adultes qui sont encore fans de Harry Potter, l’actrice Miriam Margolyes, interprète de Pomona Chourave dans les films de la saga, a mis un grand coup de pied dans une fourmilière. De nombreux médias se sont fait l’écho de ses propos, relayant également l’indignation des fans, qui sont apparemment choqués, blessés, meurtris, en colère …
En vérité, en tant que fan, je me fiche des propos de l’actrice. Elle pense ce qu’elle veut. Des milliers de gens pensent comme elle, et ça ne change rien à ma vie. Le fait qu’elle soit relativement connue ne confère pas à son opinion un statut particulièrement plus élevé que celui d’un quidam croisé au coin de la rue. Selon moi, cette déclaration ne mérite pas un tel déchaînement médiatique.
J’aurais donc eu tendance à dire « ok, sinon il y a quoi d’autre à la télé ? » Et puis, lors de la convention Enter the Wizard World, un fan a posé la question aux acteurs présents : « et vous, vous en pensez quoi ? » Manifestement, certains accordent de l’importance à l’avis des stars sur des sujets qui n’ont aucune conséquence sur leur quotidien. (Miriam Margolyes ne va pas soudainement donner des dizaines de milliers de dollars pour faire interdire la vente de Harry Potter aux adultes)…
J’ai pensé qu’il serait donc pertinent de revenir sur les propos de l’actrice, mais surtout de réfléchir à ce qu’il y a derrière.
La provocation façon Margolyes
Pour commencer, il est nécessaire de reprendre les déclarations exactes de l’actrice. Dans le cadre d’une première interview, elle explique :
Je m’inquiète pour les fans de Harry Potter, ils devraient être passés à autre chose. C’était il y a 25 ans, et c’est pour les enfants. Je pense que c’est pour les enfants. Mais ils sont coincés. Je fais des caméos et les gens me disent ‘notre mariage aura Harry Potter pour thème’. Et je me dis ‘mon dieu, à quoi va ressembler leur première nuit de couple’ ? Harry Potter est incroyable ; je suis reconnaissante envers cette saga ; mais c’est fini. Voilà ce que j’en pense.
Miriam Margolyes pour TVNZ
Quelques jours plus tard, elle a renchéri sur ABC News Australia lorsque le présentateur s’est drapé d’une écharpe Gryffondor et cherché à revenir sur ses propos.
Je pense simplement que c’est pour les enfants, et si vos couilles sont descendues il est temps de passer à autre chose. Faites autre chose ! Sérieusement, c’est une série géniale, ce sont des films merveilleux. Je suis fière d’y avoir contribué. Mais c’était il y a 25 ans ! Grandissez ! Lisez Dickens !
Miriam Margolyes pour ABC News Australia
L’actrice est connue pour ne pas avoir sa langue dans sa poche. Elle aime provoquer des réactions, notamment lorsqu’elle déclarait n’en avoir rien à faire de la saga, et simplement « apprécier les chèques quand ils arrivent. » Ce n’est vraiment pas la première fois qu’elle déclenche un torrent d’articles pour ses propos tranchés. Pour autant, passons outre la forme et concentrons-nous sur le fond.
Passer à autre chose ?
Prises au pied de la lettre, les déclarations de Margolyes reposent sur un raisonnement parfaitement fallacieux. Être attaché à Harry Potter n’empêche pas de lire ou d’apprécier autre chose. Croyez-en celui dont le pseudonyme est inspiré de A la croisée des mondes. Les fans de Harry Potter n’ont pas besoin de renoncer à la saga pour « lire autre chose. » On dit d’ailleurs que Harry Potter a justement initié de nombreux enfants au plaisir de la lecture.

Ensuite, elle entretient l’idée absurde qu’un livre « pour enfant » aurait moins de valeur que d’autres types de littérature. C’est une notion d’un autre temps. De nombreuses œuvres sont d’autant plus riches qu’elles s’adressent aux enfants, mais proposent également un sous-texte pour leurs parents. La « grande littérature » actuelle, à laquelle appartient Dickens, était la littérature populaire et décriée d’hier. Notons, au passage, que Dickens écrivait il y a bien plus de 25 ans ; si la date de parution doit servir d’indicateur, Harry Potter est une meilleure lecture que Oliver Twist.
Mais surtout, ce type de critique ignore le plus important : l’attachement des fans à la saga n’est pas fondé sur la qualité littéraire des livres. C’est un lien purement émotionnel. Les adultes fans de Harry Potter ont grandi avec cette saga. Elle leur a apporté du réconfort dans des moments parfois difficiles. Souvent, ceux dont le mariage a Harry Potter pour thème se sont rencontrés à travers leur passion ; intégrer le monde magique à leur cérémonie est une manière de célébrer ce qui les a réunis.
Il n’est pas si facile de renoncer à quelque chose qui, pour certains, fait véritablement partie de leur identité. Faire disparaître Harry Potter de leur vie impliquerait un processus de reconstruction long, profond, potentiellement douloureux… et, surtout, inutile. Après tout, qu’auraient-ils à y gagner ? L’approbation d’une personne qu’ils ne rencontreront jamais ?
Grandir : oui, c’est normal…
Il y a deux notions dans les déclarations de Margolyes : tourner la page et grandir. Ce sont deux idées qu’elle associe, mais qui sont fondamentalement différentes. Il est possible de grandir sans abandonner la saga. Et c’est effectivement sain de ne pas être complètement coincé au même stade d’émotion et de compréhension que lors de notre première lecture des livres, si celle-ci remonte à plusieurs années. Faire son deuil de la saga, d’une certaine manière, est une thématique qui figure au cœur même de Harry Potter et l’Enfant Maudit.

Qu’est-ce que cela implique ? On peut notamment attendre de fans qui ont grandi qu’ils utilisent un prisme de lecture différent. Là où les philtres d’amour pouvaient paraître amusant à une époque, les fans adultes se rendent normalement compte qu’il est tout à fait anormal d’imaginer de tels produits mis en vente, qui plus est dans un magasin de Farces et Attrapes ! Des références, des blagues, ou des éléments de préfiguration qui leur échappaient leur sont maintenant accessibles.
Riches de nouvelles expériences, probablement de nouvelles lectures, ces fans devraient, en théorie, être plus ouverts à l’idée de remettre en question cette œuvre. Accepter que certains personnages puissent être critiqués ; que les imperfections des livres et/ou des films soient pointées du doigts ; voire reconnaître que Harry Potter n’est peut-être pas le meilleur livre de tous les temps… A minima, être capable de ne pas le prendre comme une insulte personnelle si quelqu’un émet cette opinion. Ce sont autant d’indicateurs d’une évolution qui n’impliquent pas pour autant d’avoir renvoyé le Survivant dans son placard sous l’escalier !
Tourner la page n’implique pas de refermer le livre.
Faire de la place pour les nuances
Au fond, la véritable question est notre définition de « passer à autre chose. » S’il s’agit d’avoir lu d’autres livres, de faire preuve d’esprit critique vis-à-vis de la saga… alors la plupart des fans ont déjà tourné la page, ou n’auraient aucun mal à le faire et ont tout à y gagner. S’il s’agit de ne plus jamais faire référence à Harry Potter comme une œuvre majeure dans nos vie, alors la suggestion est absurde et infondée.

Dans les déclarations de Miriam Margolyes, tout comme dans celles de ses détracteurs, la nuance est absente. L’actrice se repose sur des préjugés et sur une fausse-équivalence. Néanmoins, elle a probablement l’impression que certains fans n’ont pas grandis ; qu’iels refusent de remettre en question leur rapport à la saga et/ou son autrice. En sur-réagissant aux déclarations de Margolyes, peut-être lui donne-t-on d’ailleurs un peu raison. Ironiquement, prendre personnellement cette suggestion qu’il faut « grandir, » plutôt que de la balayer d’un revers de la main tant elle est à côté de la plaque, indique un certain manque de recul.
Je suis un fan de Harry Potter ; j’ai grandi, j’ai lu d’autres livres, je suis conscient des défauts de la saga. Et maintenant, quoi ? Ça ne change rien à mon identité de fan. Je me fiche des déclarations d’une actrice, amplifiées par une presse sensationnaliste.
En revanche, je me pose des questions quand je vois les réactions qu’elles ont suscitées.
Source : BBC