Exclusif : Interview de Olivia Lomenech Gill, illustratrice des Animaux fantastiques
Fin 2018 sortait en France chez Gallimard Jeunesse l’édition illustrée du bestiaire Vie et habitat des Animaux fantastiques, par Olivia Lomenech Gill.
Nous avons rencontré l’illustratrice et discuté de son processus de création et de ses sources d’inspiration pour ce livre.
Certaines créatures décrites dans le bestiaire, comme les licornes et les centaures, existaient bien avant Harry Potter. Quel a été ton processus pour réimaginer ces créatures avec ton propre style tout en respectant les codes de la mythologie ?
C’était globalement assez intuitif. J’ai grandi avec les livres de Tolkien, et je suis assez certaines que mes dragons sont inspirés des siens. Quand j’ai commencé à travailler sur le livre, la première étape pour moi a été d’étudier les livres anciens, les encyclopédies d’histoire naturelle, notamment l’Historiae Animalium de Conrad Gessner, et de Ulisse Aldrovandi Monstrorum Historia, qui datent du VIè siècle.
J’ai vite compris que beaucoup des créatures du bestiaire étaient inspirées du monde réel ; c’est un savant mélange de mythologie et d’espèces bien réelles.
En temps normal, je ne dessine que d’après mon environnement immédiat, du coup, c’était un peu étrange quand j’ai commencé à travailler sur ce projet, parce que beaucoup d’éléments présents dans le livre sont entièrement inventés. Mais quand j’ai compris où Rowling avait puisé son inspiration pour ces créatures, j’ai compris comment je devais procéder.
Par exemple, il y a cette créature, l’éruptif, qui ressemble fortement à un rhinocéros. Pour le représenter, je suis allée voir de vrais rhinocéros dans un zoo et je les ai dessinés. C’était la même chose avec les oiseaux.
C’était vraiment important pour moi d’être proche des animaux pour les dessiner et de dessiner la réalité. Lors de ma phase de recherche, je suis même allée m’asseoir dans l’enclos d’un grand aigle pour pouvoir l’observer sous toutes les coutures. Pour moi, c’est ce qui donne de l’authenticité aux tableaux.
En fait, je suis très littérale dans mon travail, je ne dessine que ce qui est en face de moi. C’était un défi intéressant de travailler sur ce projet en tant qu’artiste qui ne dessine que d’après la vie, et de devoir imaginer une méthode pour représenter des choses qui n’existent pas.
Dans mon atelier à la campagne, près de la frontière écossaise, le monde naturel autour de moi était une source d’inspiration infinie.
Je n’ai pas eu l’occasion de voyager dans le Serengeti ou en Chine, mais depuis mon studio, je pouvais m’inspirer de tout ce que j’observais autour de moi. Et c’est là qu’on commence à voir à quelle point la nature est extraordinaire ; les hirondelles qui voyagent depuis le sud de l’Afrique et viennent construire leurs nids sur le toit de mon atelier par exemple, je trouve ça merveilleux.
J’ai aussi demandé à mon mari et mon fils de poser pour moi, de faire différentes créatures, c’est devenu un album de famille, même nos poulets ont trouvé leur place dans le livre.
Tout au long de ce travail, je ne cessais de m’émerveiller devant la complexité de ces créatures, mais aussi de leur fragilité dans un monde qui semble inconscient des périls écologiques. Je ne sais pas si c’était l’objectif de J.K. Rowling mais, pour moi, Les Animaux fantastiques étaient l’opportunité de mettre en lumière la beauté et la diversité de notre monde.
Tu utilises une grande variété de techniques pour tes illustrations ; les pastels, la craie, les collages… Comment as-tu choisi la méthode qui correspondait le mieux à chaque créature ?
Je ne sais pas à quel point tout ça a été un procédé conscient, d’utiliser autant de techniques différentes.
Je pense que c’était nécessaire, en raison du nombre important d’illustrations à réaliser, et de la petite quantité de texte qui les accompagnaient. Toutes les pages ou presque devaient être complètement illustrées, et si je n’avais utilisé qu’une ou deux techniques, l’ensemble serait vite devenu monotone.
Peut-être parce que je suis autodidacte, je mélange souvent les supports ; gravure, collage, ponçage, mélanges de papiers… J’utilise beaucoup les plaques de cuivre pour la gravure.
Mon détail préféré dans les livres, c’est le crapaud sur un œuf de poule qui couve un basilic. C’est un crapaud que j’ai trouvé dans mon jardin, je l’ai attrapé dans un seau pour le dessiner. Je l’ai fait sur du cuivre pour rappeler les vieux bestiaires du Moyen-Âge. J’aime beaucoup les vieux livres, les vieilles cartes… Les courbes et la technique des vieux livres, des artistes, c’est extraordinaire. Regardez les traits de Rembrandt par exemple. A côté de lui, je me sens comme un escroc.
Et après je peux faire la peinture. Il y a plusieurs illustrations qui ne sont que du dessin. J’utilise beaucoup le fusain. J’étais un peu inquiète au début, en particulier parce que le premier film des Animaux fantastiques sortait alors que j’étais en train de travailler sur le livre, de me retrouver en compétition avec les effets spéciaux, avec mon petit morceau de bois brûlé.
Y a-t-il une créature pour laquelle tu as essayé plusieurs méthodes différentes avant de trouver celle qui te semblait juste ?
Il y a eu des créatures plus difficiles que les autres, il y en a qui sont venues très facilement, elles m’ont dit « je veux être une gravure ». Mais il y en a d’autres qui m’ont demandé beaucoup plus de temps.
Par exemple, la chimère, ça a été assez compliqué. La description commence par une tête de lion. C’est assez effrayant, une tête de lion, c’est dangereux, c’est l’un des animaux les plus dangereux du livre, on commençait bien.
Ensuite il y a le corps de la chèvre. Ça, c’est un peu plus délicat, je me suis demandée comment j’allais faire… Je suis allée dessiner les chèvres de mes voisins. Et après, il y a la queue du dragon, j’essaie de faire les différents dessins, je fais quelques essais, mais je n’étais pas sûre qu’elle ait réellement l’air terrifiante.
Quelques fois le problème était résolu grâce aux paysages, en plaçant les animaux dans un environnement particulier. Pour la chimère, j’ai ressorti de vieux dessins que j’avais fait à Palmyre, en Syrie, où j’ai vécu quand j’étais adolescente. Je les ai utilisés pour cette illustration de chimère pour lui donner un peu de saveur, parce que c’est un animal grec, pour l’ancrer dans le réel. Et pour indiquer le potentiel de destructivité de cette bête, j’ai ajouté une statue brisée en morceaux. C’était une façon de résoudre le problème et aussi d’apporter quelque chose de personnel au dessin. Je crois que lorsqu’on intègre ses propres histoires, ses propres inquiétudes à son oeuvre, ça peut parler davantage. Et dans ce cas c’est ce qui s’est passé, j’ai apporté mon propre carnet de croquis dans le livre pour donner un lieu, un habitat, et peut-être une histoire à cette créature.
Pendant que je travaillais sur ce livre, ces villes, ces paysages, parmi les plus belles ruines romaines qui existent et que j’avais dessiné 20 ans plus tôt, étaient en train de se faire bombarder, et je ne pouvais pas m’empêcher de me demander ce qu’il était advenu de ces personnes que j’avais connu là-bas, où elles se trouvaient, si elles étaient toujours en vie. Je voyais tout ça et je me demandais ce que je pouvais faire… Bien sûr, les dessiner ne change rien, mais c’était à la fois mon hommage à ce lieu, et une manière de donner un pouvoir à cette créature, de rendre sa menace plus réelle, plus saisissante pour le lecteur.
C’est comme ça que j’ai commencé à donner à plusieurs créatures des environnements qui leur ajoutent quelque chose. J’adore l’idée par exemple qu’on peut voir une île, qu’un dragon peut être en train de dormir sur l’île, mais qu’on ne peut pas le voir, car c’est un camouflage et qu’il est lui-même l’île.
D’autres créatures se tiennent juste sur la page sans contexte, ce qui doit normalement aider à créer un rythme et une certaine fluidité, et j’ai travaillé étroitement avec le directeur artistique pour m’assurer qu’il y ait suffisamment de changement et de variété dans les apparences et les styles.
Parmi toutes les illustrations que tu as réalisé, en as-tu une préférée ? Personnellement, j’adore le yéti, avec les montagnes de l’Himalaya autour, c’est vraiment sublime.
Evidemment, sur un projet avec autant de dessins différents, il est logique qu’on en apprécie certaines plus que d’autres. Je les apprécie toutes parce qu’elles représentaient un défi pour moi, mais il y a certaines pages que j’apprécie davantage parce que j’ai trouvé un moyen d’y rattacher des expériences personnelles ou des choses que j’aime tout particulièrement dessiner.
Pour la page consacrée au yéti par exemple, je savais que je voulais dessiner l’Himalaya ; j’adore les drapeaux de prières, les stūpas, toutes ces couleurs, ça dégage une certaine magnificence.
A un moment, nous avons eu une conversation avec l’éditeur à propos des yétis, s’ils étaient faciles à voir ou pas, et je penchais plutôt pour un non, puisqu’ils sont décrits comme évitant le feu et les humains. C’est pour ça qu’on voit le yéti en petit, en train de s’éloigner, et au premier plan, ces humains, inconscients de ce qu’il se passe dans la montagne et de la présence des animaux fantastiques. Il y a d’autres endroits où j’ai essayé de jouer là-dessus.
De la même manière que le botruc est, lui aussi, caché dans les arbres, avec des humains au premier plan.
Oh, oui, parce qu’ils sont très difficiles à voir !
C’était difficile à faire, parce qu’ils sont décrits comme étant très difficiles à voir, très petits, et un peu rouges. Et j’ai réalisé, en voyant une photo des films, où il est vert pomme, qu’ils n’ont pas repris la description du livre.
J’ai envisagé de ne pas du tout les représenter. J’ai dit au directeur de publication « s’ils sont difficiles à voir, je n’ai qu’à pas à les mettre, et les lecteurs pourront s’amuser à essayer de les trouver » mais on m’a dit que je n’étais pas autorisée à faire ça.
Il y a eu des créatures comme les loups garous ou les êtres de l’eau qui m’ont posé problème, parce qu’elles existent souvent dans des légendes qui ne me parlent pas du tout ou dans les films d’horreur. Je ne suis pas trop attirée par tout ce qui est gothique non plus, et je voulais trouver une façon de les rendre plus réelles. Je l’ai fait simplement, en dessinant l’homme, et j’ai essayé de comprendre ce qu’il se passe quand ils se transforment en loups-garous. J’ai fini par le loup, parce que j’aime beaucoup les loups, ce n’était pas difficile à faire. Le milieu de la transformation était le plus compliqué, car je voulais rester sur quelque chose d’aussi réaliste que possible, pas comme au cinéma.
Les autres qui ont été difficiles à appréhender, c’était les êtres de l’eau. Dans la fiction, ces personnages sont souvent représentés de manière sexy, avec des cheveux longs, à moitié nus, alors que dans Harry Potter il y a une part d’eux plus sinistre, plus effrayante. J’ai aussi dû jongler avec le fait que je n’avais pas le droit d’avoir de nudité dans le livre. C’est le genre de cas de figure où les limites, les règles imposée,s redéfinissent complètement l’approche et nous emmène dans une direction insoupçonnée, d’un point de vue créatif.
Cette interdiction de représenter des personnes nues m’a donné l’idée des êtres de l’eau portant des sortes de vêtements, des habits de marins, qui auraient été perdus dans des naufrages, dont les êtres de l’eau auraient hérité et qu’ils auraient adopté, un peu comme certains peuples indigènes.
Il y avait aussi les fonds qui étaient inspirés d’incroyables habitations troglodytes de Turquie. Je ne suis jamais allée là-bas mais j’ai vu quelques images et j’ai décidé d’utiliser cet endroit pour ces créatures, ça a tout de suite été une évidence.
Tu parlais du fait qu’on t’avait refusé de ne pas représenter le botruc sous prétexte qu’il était trop petit, ou de l’interdiction de nudité. Quelles autres consignes as-tu reçu pour ce projet ? Quelle était ta part de liberté ?
En fait, pour autant que je sache j’étais plutôt libre. J’avais le droit de faire plus ou moins ce que je voulais. Au départ, j’ai fait des brouillons pour chacune des créatures et ces dessins devaient être approuvés. La pose, le nombre de membres, la disposition sur la page, ce genre de choses.
C’est passé par plusieurs niveaux hiérarchiques d’approbation je pense, et donc examiné par différentes personnes, probablement J.K. Rowling également. En fait il y a eu très peu de moments où j’ai vraiment eu des retours qui disaient ‘tu dois faire ça différemment’.
Le format de la page influençait beaucoup également la façon de dépeindre chaque créatures. Par exemple l’hippogriffe, je l’avais dessiné au départ comme il est décrit dans le livre, avec le corps d’un cheval et la tête et les ailes d’un aigle.
Pour moi, le corps d’un cheval comprend normalement quatre pattes qui ont des sabots à leur bout. Donc je l’avais dessiné, proportionnellement et anatomiquement, ça fonctionnait, mais lorsque le brouillon a été approuvé, j’étais en train de relire les livres, et j’en suis arrivée au moment où Malefoy est blessé, griffé par Buck. J’ai alors réalisé qu’il n’était pas griffé par un sabot de cheval mais par une serre, donc les pattes avant devaient être celles d’un aigle.
Je suis retournée voir l’éditeur et j’ai dit : « ce dessin a été approuvé, mais en fait, il a des pattes de cheval ». On m’a répondu que j’avais raison et qu’il fallait changer ça, ce qui a changé la manière de représenter la créature, parce qu’une patte d’aigle fonctionne très différemment qu’une patte de cheval, elles sont complètement opposées dans leur articulation.
Par exemple, les pattes de l’aigle sont ses membres les plus forts, les serres d’un aigle sont la partie de son corps la plus dangereuse. Les pattes d’un cheval, lorsqu’il saute au-dessus d’un obstacle, se plient dans le sens opposé des membres d’un aigle lorsqu’il fond sur sa proie. Et il y a aussi la taille, la distribution du poids… Comme je suis une artiste très littérale tous ces points étaient importants pour moi, donc j’ai dû repenser toute la position de l’hippogriffe sur la page à cause de ça.
J’ai décidé de le faire debout et j’ai aussi représenté un jeune hippogriffe, parce que je voulais imaginer à quoi il ressemblerait à la naissance.
J’ai fait des esquisses, je les ai envoyées au directeur artistique, j’imagine qu’ils ont été communiqués à l’agent de J.K. Rowling, peut-être à J.K. Rowling elle-même, et la plupart du temps elles revenaient acceptées et je n’avais plus qu’à produire les illustrations finales. Mais c’était souvent lorsque je commençais les illustrations finales que je rencontrais des problèmes.
J’ai été confrontée à des cas qui, lorsqu’on fait un brouillon rapide, nous font dire « oui, ça fonctionne, ça va rendre bien ». Mais quand je me suis mise à travailler à une échelle plus grande et avec plus de détails, je me suis souvent dit « mais qu’est-ce que je vais faire avec ça ? ». Je me suis créée des problèmes toute seule, et après il faut résoudre.
Merci à Olivia Lomenech Gill de nous avoir accordé cet entretien !
Découvrez aussi notre critique du livre ainsi que notre traduction d’un autre entretien de l’illustratrice, où elle explique comment elle en est venue à illustrer le bestiaire.
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