Fanfiction : quelle place dans le coeur des fans ?
Ah, la fanfiction ! Dans tous les sens du terme, elle fait toujours couler beaucoup d’encre. Il faut dire qu’elle ne date pas d’hier et que les fans de Harry Potter sont tout particulièrement prolixes en la matière. Aujourd’hui, on parle d’elle même en milieu académique, et il est de plus en plus courant de la voir devenir objet d’étude. Malgré cela, les préjugés ont la vie dure et la fanfiction souffre encore très souvent d’une mauvaise réputation.
C’est donc tout naturellement que j’ai souhaité la mettre à l’honneur à l’occasion du NaNoWriMo (National Novel Writing Month, challenge d’écriture créative). Durant tout le mois de novembre, vous avez ainsi été invité.e.s à partager, par le biais d’un sondage, vos expériences de la fanfiction et vos raisons de l’aimer.
Prolongement ou réécriture
Les amateurs et amatrices de fanfiction semblent se diviser en deux écoles. Si les un.e.s préfèrent lire un prolongement de l’œuvre existante, les autres en aiment davantage les réécritures.
Même si ces deux tendances peuvent souvent se rejoindre ou s’entremêler, tout le monde n’aborde pas la fanfiction pour les mêmes raisons. Gaëlle, par exemple, lit des fanfictions consacrées à l’époque des Fondateurs ou des Maraudeurs. Enora, elle, lit essentiellement des histoires de la génération post Harry Potter. Emma, pour sa part, nous parle de la relation de Dumbledore et Grindelwald : pour elle, la fanfiction permet de « découvrir des choses qu’on ne voit pas dans les livres ».
Dans le même esprit, KrystalBlack écrit : « Elles me permettent de voir, connaître ce que les autres fans ont imaginé sur les parties non écrites. » Abblepuff le résume aussi très bien : « Cela me permet de nourrir mon imagination et de combler certains manques des sept tomes originaux. »
Enerys4 soulève encore un autre type de développement permis par les fanfictions qui prolongent l’univers canonique : « J’aime énormément les fanfictions innovantes qui nous en apprennent plus sur des thèmes peu développés dans les films (vampires, le passé de certaines familles, les Sangs-Purs,…). »
Certain.e.s fans trouvent aussi un moyen de se défaire d’une éventuelle frustration face à l’épilogue, comme c’est notamment le cas de Mathilde Peyre : « En effet, je trouve que J. K. Rowling ne nous a pas trop décrit « l’après » de la Bataille. On est directement passé 19 ans plus tard, et je pense que les fans (dont moi) sont un peu restés sur leur faim ».
D’autres personnes préfèrent lire des fanfictions qui réinventent et réécrivent l’un ou l’autre aspect de l’histoire originale. Les féru.e.s de romance, notamment, se retrouvent davantage dans cette « catégorie ». C’est aussi le cas des what if ou, autrement dit, des histoires alternatives. Stinyan disait d’ailleurs : « L’univers Marvel a « What If » pour imaginer des trucs qui pourraient se passer dans d’autres réalités, bah les Potterheads ont les fanfics ! »
Diversité, partage et évasion
La fanfiction est souvent associée à une grande diversité de thèmes abordés et de genre. Mystix résume très bien la chose : dans la fanfiction, « les seules limites sont celles de l’imagination ». Clara.helenaist trouve que « c’est beau, ça permet aux fans de continuer à leur façon cette incroyable histoire d’Harry Potter ».
Bien sûr, cela peut parfois être frustrant de voir d’autres imaginaires s’opposer au sien, comme le raconte Jafar le Gris au sujet d’une fanfiction qu’il lisait : « […] parfois les libertés prises par l’autrice vont à l’encontre de ce que j’imaginais du monde magique ».
Un grand nombre de participant.e.s ont également mis en avant la notion de partage, centrale dans l’univers de la fanfiction. Elle est d’abord un partage entre fans de Harry Potter car, comme le dit Tatiana, « on n’est pas obligé de tout aimer, mais on aime la même œuvre et on s’en inspire tous ».
Pour les auteurs, elle est un partage de leur propre vision de l’œuvre et de leur imagination. Pour M1mbletonia notamment, « c’est très important de partager, d’interagir avec ceux qui ont pris la peine de lire. Et quand les retours sont plus que positifs sur mon intrigue, ma plume, que j’arrive à transporter les lecteurs, c’est du baume au cœur. Ça fait un bien fou. »
Isabelle Pearl nous dit encore : « C’est incroyable d’entrer dans la tête des personnes qui écrivent et de découvrir de véritables talents. J’ajoute que c’est grâce à vous, en 2007 que j’ai découvert les Potterfictions, un monde entier s’est révélé à moi ! »
La plupart des participant.e.s au sondage ont aussi parlé de la fanfiction à la fois comme d’une « évasion », une « échappatoire », et comme d’un retour dans le monde de Harry Potter. La fanfiction est donc une façon de s’échapper hors du réel pour se rapprocher à nouveau de Poudlard !
En outre, elle permet de « ne pas laisser les personnages partir », comme le dit Sophie, de rester dans l’univers qu’on aime, où, en reprenant les propos de SamanthaSerpentard, « de faire continuer la magie […]. De nous faire rêver encore plus. »
Créativité et écriture
Parmi les participant.e.s au sondage, certain.e.s sont revenu.e.s sur le processus d’écriture en tant que tel, évidemment fondamental dans la fanfiction. Bien sûr, toute personne autrice de fanfiction n’a pas forcément le goût ou le talent de l’écriture en particulier. Noémie nous disait d’ailleurs : « J’ai essayé plus jeune, mais je n’ai pas de talent pour l’écriture et j’ai laissé tomber. » Alics E. Junn a commencé à écrire par la fanfiction.
Quant aux raisons qui poussent les fans à prendre la casquette d’auteurs, elles sont presque les mêmes que celles qui leur donnent l’envie d’en lire : développer l’histoire à leur façon, approfondir une ou plusieurs relations, travailler sur la caractérisation des personnages, laisser parler leur imagination et leur créativité, « exprimer son art » comme le disait très bien Stella Collas.
Les auteurs de fanfiction ne sont parfois pas que cela : Quenotos Bernard, par exemple, a illustré sa fanfiction. Amy, pour sa part, nous raconte : « J’ai créé avec un ami une fanfiction entre nous deux car nous voulions nous adapter à ce monde avec notre propre signature. Cela nous permet un meilleur ancrage dans ce magnifique monde et aussi à nous renseigner chaque jour toujours plus pour que notre histoire soit attentive au moindre détail important. »
Certains de ces écrivains se plient en effet à d’importants travaux de recherche pour l’écriture de leur fanfiction, et d’autres travaillent sur de véritables projets d’écriture à longue durée.
Voyons par exemple Faylis qui nous dit : « J’ai créé un personnage, j’ai commencé à réfléchir à la timeline, à des dénouements, à résumer toutes les dates connues et données par JKR pour y insérer mes ajouts et que ça soit cohérent. Mais je ne prévois pas de mettre ça à la vue de tous, je n’ai pas cette confiance (pour moi je n’ai aucun talent d’écriture). Mais c’est un exercice que je prend très au sérieux, que je trouve très intéressant à faire étant donné la richesse de cet univers. Mon personnage est de plus en plus crédible, cohérent, j’en assez fière. »
Fantasmes et projection
Écrire des fanfictions, comme écrire tout court, permet aussi de répondre à des fantasmes. Angelina F. nous parlait par exemple de s’intégrer soi-même dans l’univers de Harry Potter via les mentions « TP » présentes dans le texte de la fanfiction, signifiant : « Ton Prénom ».
Laetitia nous explique quant à elle que la fanfiction lui permet de traiter sa propre réalité : elle écrit son propre journal mais en fait une histoire se déroulant dans l’univers d’Harry Potter. Bien sûr, il est aussi question des originals characters (O.C.) en général, c’est-à-dire des personnages originaux créés par les fans auteurs et intégrés dans l’univers de Harry Potter.
En revanche, il semble important de distinguer l’écriture de la publication car s’il existe énormément de fanfictions publiées, il y a aussi des personnes qui écrivent sans jamais sauter le pas de la publication. Le processus et la démarche créative n’en sont pas moins intéressants ! D’ailleurs, si vous êtes de nature curieuse (et aventureuse), vous pouvez toujours vous risquer à la lecture de la “pire” fanfiction Harry Potter.
Engagements et inclusivités
Peu de participant.e.s en ont parlé mais cela semble toutefois prendre de plus en plus d’ampleur au sein des communautés de fanfiction : l’inclusivité.
En réponse au sondage, Cory nous signalait que l’une des raisons de son goût pour la fanfiction s’expliquait par la bonne représentation LGBT+ qu’elle offrait, bien supérieure à celle des romans. Pouik partageait avec nous ses objectifs en tant qu’auteur.ice de fanfictions : « J’écris sur des thèmes qui me semblent importants : le consentement, la résilience face aux épreuves de la vie, la rédemption, l’amitié et l’amour. J’aborde aussi des sujets type le viol/les agressions sexuelles et comment s’en remettre, être épaulé et obtenir la justice, le harcèlement et le soutien des amis, etc., etc. Je veux sortir des clichés de la fanfiction et faire passer des messages. »
La fanfiction peut donc aussi représenter un engagement, transmettre une idée, défendre ou simplement traiter une réalité encore discriminée dans notre société, ou en tous cas incomprise, marginalisée. Nous parlions déjà un peu de cela dans l’article dédié aux couples LGBT+ des fanfictions Harry Potter.
Voilà donc une énième preuve de la diversité de la fanfiction et de la pertinence de cette diversité ; un autre contre-argument à l’égard du préjugé d’immaturité et d’illégitimité entourant la fanfiction.
Tout public ou trop libre ?
Si l’on se base sur les statistiques d’âge des participant.e.s au sondage, on réalise très vite que le public de la fanfiction semble extrêmement varié, les participant.e.s étant âgés de quinze à quarante-huit ans !
Contrairement à certains préjugés, les adeptes de la fanfiction ne s’en détournent donc pas forcément une fois passé l’adolescence ! Si quelques-uns d’entre eux n’en lisent plus aujourd’hui, certains en lisent depuis des années sans s’en lasser, d’autres le font par phase, etc.
À ce sujet, Isabelle Pearl dira que, pour elle, écrire des fanfictions c’est « un moyen de rendre la saga plus adulte et de continuer à grandir avec Harry ».
Il existe donc des contenus plus ou moins matures, des intrigues plus ou moins poussées, des thématiques abordées plus ou moins adultes… Comme nous le disions, la fanfiction offre une très grande diversité de créations. Est-ce toujours une bonne chose pour autant, sachant que la fanfiction, se lisant globalement sur des plateformes numériques, n’est que très peu soumise à une forme de censure ?
Solène nous faisait part de son expérience à cet égard : « Vu mon âge, il y en a certaines où j’aurais pu m’abstenir… mais j’étais curieuse aussi et en pleine puberté. En y repensant, je regrette d’avoir lu certains passages qui m’ont perturbée à l’époque. »
La bienveillance veut que les auteur.ice.s utilisent de plus en plus souvent des tags, des trigger warnings et autres indications de contenus choquants ou matures, mais tout le monde n’y accorde pas forcément la même importance ou la même signification. Selon Stinyan, avec le temps et l’habitude, il est possible de s’y retrouver correctement dans les tags et de se faire ainsi une « safe place ».
Frontière entre œuvre et fanfiction
Si la question d’une frontière entre le réel et la fiction se pose déjà très souvent, il est intéressant de s’interroger ici sur la relation qui unit – et désunit ? – l’œuvre originale de la fanfiction. Son existence semble se faire un chemin entre dépendance filiale vis-à-vis de l’œuvre dont elle est toujours, par nature, issue, et autonomie et liberté acquises au fil du temps par le biais des communautés qu’elle engendre, du renouveau créatif qu’elle implique. C’est une réflexion qui me tient fort à coeur et qui a été soulevée par certaines bribes de témoignages.
Au même titre que les autres créations de fans, la fanfiction fait partie de ce qui fait continuer l’œuvre au-delà de l’œuvre. Mais alors, qu’est-ce qu’elle est ? Issue de l’œuvre mais au-delà d’elle, la fanfiction est une multitude d’embranchements de l’histoire originale, dont certains perdent presque entièrement le lien avec l’intrigue canonique, n’en gardent plus qu’un fil extrêmement fin et ténu…
Certains personnages ont une caractérisation propre à l’univers des fanfictions, une caractérisation absente du canon. C’est le cas de Blaise, par exemple, comme le rappelle stynian, qui nous dit aussi : « Le truc c’est que, parfois, je mélange un peu l’univers fanfic et la vraie saga. Y’a des trucs qu’on retrouve dans beaucoup de fanfics, qui sont presque considérés comme canons à force de les voir, alors qu’en fait pas du tout. Et parfois je suis perdue si le truc que je pense savoir, c’est vraiment dans la saga ou c’est un truc de fanfic ».
Parfois, les deux s’entrecroisent et alors on ne sait plus si ce qu’on sait de l’univers vient du canon ou de la fanfiction. Selon Jafar le Gris, il faut se rappeler que les histoires des fanfictions ne sont pas l’histoire « officielle ».
Le mot de la fin
« Un monde entier », la fanfiction ! Elle rassemble des fans, des shippers, des passionnés d’écriture,… Elle crée des communautés dans la communauté de fans de Harry Potter. Pour tous ceux qui l’apprécient, elle est toujours synonyme de plaisir, d’émotions, de créativité,…
Je tiens à remercier chaque participant.e du sondage pour avoir accepté de partager avec moi et avec la Gazette son amour de la fanfiction. Continuez de lire, d’écrire, d’oser (re)créer ! Comme vous nous l’avez presque tous écrit, c’est ce qui fait vivre l’œuvre.