Être sœurs dans Harry Potter
Comme vous le savez sans doute, avoir une sœur n’a rien de simple. Tantôt meilleures amies, tantôt pires ennemies : ces relations sont mouvementées, dans le monde des moldus comme dans celui des sorciers, où un élément vient compliquer la tâche : la magie ! Jumelles, fratrie tiraillée, complicité perdue… être sœurs dans Harry Potter, ça donne quoi ?
Lily Potter et Pétunia Dursley
Ces deux sœurs naissent de parents moldus, du nom de Evans. Pétunia, l’aînée, porte le nom d’une fleur, qui, dans l’Angleterre victorienne, symbolise le ressentiment et la colère, deux notions qui caractérisent particulièrement le personnage. Lily est la traduction anglaise de lys, une fleur qui incarne l’image de la pureté. Les deux sœurs sont déjà, par l’onomastique, placées en opposition.
Le nom de famille Evans signifierait, quant à lui, filles de guerriers. Un symbole fort, surtout quand on sait que Lily s’est battue lors de la première guerre des sorciers. On apprend dès Harry Potter à l’école des sorciers que Lily, la plus jeune, reçoit sa lettre pour Poudlard à l’âge de 11 ans, pour le plus grand bonheur de ses parents. Pétunia, elle, n’est pas une sorcière et ne reçoit pas de lettre. À partir de là, un profond déséquilibre s’installe entre les deux sœurs. L’aînée tentera elle aussi d’intégrer l’école de magie en envoyant une lettre à Albus Dumbledore, mais sa demande sera, hélas, rejetée…
Entre les deux sœurs, la guerre est déclarée. Pétunia rejette en bloc tout ce qui concerne cet univers et jalouse Lily au plus haut point. D’autant plus que ses parents la délaissent véritablement, trop « heureux d’avoir une sorcière dans la famille ». Alors que Lily est considérée comme l’enfant prodige, Pétunia se voit comme le vilain petit canard de la fratrie. Lorsqu’elle fait la connaissance de Severus Rogue, qui présente les mêmes aptitudes que sa sœur et se trouve être son ami, elle se met à le détester lui aussi. Elle l’appellera d’ailleurs encore « l’affreux garçon » des années plus tard.
Les deux sœurs évoluent en tant que jeunes filles, puis jeunes femmes, dans une atmosphère extrêmement malsaine. Dès leur plus jeune âge, leur rapport sont gâchés par l’arrivée de la magie dans leur vie. Leur relation ne s’apaise pas avec les années, bien au contraire. Pétunia épouse Vernon, pour qui la normalité, voire la banalité, est une mentalité. Rien ne doit dépasser. La jalousie de Pétunia envers Lily se transformera en haine, si l’on observe la façon dont elle traitera Harry, l’enfant de cette unique sœur, un membre de sa propre famille… Elle rejette sur son neveu tout le ressentiment qu’elle accumule depuis toutes ces années, même une fois sa sœur décédée.
C’est peut-être le pire dans la relation entre Pétunia et Lily, et sans doute ce qui la fait ressembler à une tragédie grecque. Les deux sœurs ne parviendront pas à se réconcilier avant qu’il soit trop tard. Pétunia ne parlera pas de sa sœur à son neveu pour faire vivre son souvenir. On ne nous dit pas que Pétunia ira sur sa tombe pour s’y recueillir. La haine se poursuit par-delà la mort. Il ne semble pas y avoir de réconciliation possible entre elles deux. Pourtant, Pétunia entre-ouvre une porte, dans le septième tome de la saga. Elle dira à Harry : « Tu n’as pas juste perdu une mère cette nuit-là, j’ai aussi perdu une sœur ». C’est l’unique fois où elle prononcera ce mot avec ce ton, n’évoquant ni la haine ni la jalousie.
Padma et Parvati Patil
Parmi les différents couples de sœurs, l’autrice a placé des jumelles, de vraies jumelles, quasiment indifférenciables. Il s’agit de Padma et Parvati Patil. Leur relation n’est pas très exploitée au sein des romans, c’est pourquoi nous nous appuierons également sur leur représentation dans les films pour apprendre à mieux les connaître.
Pour commencer, Padma et Parvati sont deux prénoms typiquement indiens. Padma signifie, en sanskrit, lotus. En Inde, cette fleur est symbole de pureté et de beauté. Parvati est le nom d’une déesse, qui incarne dans la culture hindou le paroxysme de la puissance féminine. La répétition de la particule « pa » dans leur prénom et dans leur nom de famille n’est, selon moi, pas un hasard. Il s’agirait de lier les deux sœurs par une racine commune. En sanskrit, les mots se lisent et s’écrivent en syllabe. Les deux prénoms ont de fait des orthographes similaires, ce qui rappelle l’idée de la gémellité.
C’est lors de leur rentrée à Poudlard que le destin va affirmer leur différence. En effet, si nous avons l’habitude de voir les membres d’une même famille aller dans les mêmes maisons (comme les nombreux Weasley), ce n’est pas le cas des jumelles Patil. Padma sera envoyée à Serdaigle et sa sœur Parvati à Gryffondor (ce qui n’est pas le cas dans les films où les deux sœurs sont des élèves de Gryffondor). Ce choix de l’autrice démontre que la gémellité ne signifie pas que ces deux personnages sont identiques ou interchangeables (contrairement à ce que l’on peut observer chez les jumeaux Weasley, où chacun termine les phrases de l’autre). Serdaigle incarne l’intelligence, la sagesse, la créativité et l’originalité, des valeurs que les hindous attribuent aussi à la fleur du lotus. Tandis que Gryffondor reflète le courage, la force, la témérité, ce qui est en adéquation avec les attributs de la déesse Parvati. Dans les deux cas, le lotus et la déesse Parvati sont rattachés à la notion de beauté divine. La beauté des deux sœurs est d’ailleurs soulignée à plusieurs reprises.
Lors du bal de Noël du Tournoi des Trois Sorciers, Harry demande à Parvati de l’accompagner. Sa sœur Padma, qui n’a pas de cavalier, se retrouve avec Ron, qui est libre également. Ce choix n’est pas sans intérêt : comme nous le savons, le Choixpeau a souligné la singularité de chacune des sœurs. Or, elles se retrouvent avec deux meilleurs amis, inséparables, lors de la même soirée, bien que Ron et Padma ne soient pas franchement assortis.
Cette soirée est particulièrement intéressante. Dans le film Harry Potter et la Coupe de feu, elles se rendent au bal habillées de la même manière, à quelques détails près. Elles forment par leur tenue un duo, facilement identifiable. Elles sont à la fois semblables et assorties, mais pas rigoureusement identiques. Bien que ces tenues soient sévèrement critiquées, (cf cet article à ce sujet, en anglais) les couleurs qui les composent ne sont pas dénuées de sens. L’orange est sacré chez les hindous. Il symbolise la spiritualité, la pureté et représente la couleur du feu, on l’associe d’ailleurs à la caste des guerriers Rajpoutes. Le rose, quant à lui, symbolise la sagesse divine. Cette couleur est de préférence portée par les jeunes filles (dans les tenues traditionnelles en Inde). Dans le livre en revanche, Parvati est vêtue d’une robe rose vif et Padma d’une robe turquoise. Le bleu est en Inde associé à la sagesse divine, au courage, à la pureté des sentiments et à la capacité à lutter contre le mal. Des valeurs que l’on pourrait tout aussi bien attribuer à une élève de Gryffondor.
Les deux sœurs sont donc bel et bien complémentaires. Leur relation, leur caractère, forment un équilibre. Cet équilibre est peut-être aussi dû au personnage de Lavande, aussi élève à Gryffondor. Cette dernière est inséparable de Parvati. Les deux amies passent beaucoup de temps ensemble et semblent avoir des points communs, notamment leur attrait pour la divination. Les jumelles sont ouvertes sur le monde, elle ne sont pas fusionnelles au point de s’isoler. Il y a de la place entre elle pour une amie proche. Parvati passe sans doute plus de temps avec Lavande, qu’avec Padma et cela ne semble pas poser problème à cette dernière.
Fleur et Gabrielle Delacour
Nous faisons connaissance avec ce duo de sœurs dans le quatrième opus de la saga, toutes deux élèves à l’école Beauxbatons, Fleur est choisie pour représenter ses camarades au Tournoi des Trois sorciers. Sa petite sœur, Gabrielle, lui servira même d’otage lors de la seconde tâche. Tout d’abord, on peut constater que les sœurs portent toutes les deux un prénom évoquant la notion de douceur et de pureté. Fleur induit aussi l’idée de beauté et de douceur. Quant à Gabrielle, il provient de l’hébreu Gabriel et correspond au nom d’un ange dans la Bible. Les deux jeunes femmes sont donc mises sur un pied d’égalité, et non pas en opposition comme ça a pu être le cas entrée Lily et Pétunia.
Dans les films comme dans les livres, la relation qu’elles entretiennent semble tout à fait saine et naturelle. Fleur étant l’aînée, elle protège sa petite sœur. Rappelons-nous sa réaction lorsqu’Harry lui sauve la vie en la sortant du lac de Poudlard alors que Fleur vient d’échouer. Plus tard, on apprend aussi que Gabrielle est nommée demoiselle d’honneur par Fleur, pour son mariage, et lui aide à mettre sa robe. Ces moment de complicité fraternelle sont rares au sein de la saga. Toutes deux ne semblent éprouver aucune forme de jalousie l’une pour l’autre. Il n’y a donc pas de concurrence entre elles, ce qui mènent d’autres fratries (comme Lily et Pétunia) à la perte.
Cette relation est l’une des rares à être à l’image de ce qu’on peut attendre de deux sœurs ; de l’entraide, de l’empathie, et de l’amour.
Narcissa, Andromeda et Bellatrix
Ces trois sœurs sont les filles de Cygnus Black, descendantes donc de la famille Black, qui vénérait le sang pur des sorciers. À elles trois, elles incarnent trois visions de la magie.
Bellatrix, l’aînée, s’en tient à la devise de la famille qui est « Toujours pur ». Elle choisit clairement son camp et décide de servir le Seigneur des ténèbres, en devenant une Mangemort, crainte pour les nombreux actes de barbarie qu’elle commet. Bellatrix est le féminin du latin bellator, qui veut dire guerrier (bellum signifiant la guerre). Bellatrix est donc une femme-guerrière, au sens propre, puisqu’elle se bat fanatiquement dans l’armée de Voldemort. Son nom de mariage « Lestrange », vient de l’ancien français où étrange s’écrivait estrange. Un personnage un peu fou, en somme. Mais, malgré sa folie et son impulsivité non-dissimulée dans la saga, Bellatrix ressent de l’empathie pour deux personnes : Voldemort, qu’elle aime secrètement, et sa sœur cadette Narcissa. Elle est prête à braver le Seigneur des Ténèbres pour venir en aide à cette dernière. Toutes les deux s’appellent mutuellement dans une scène « Cissy » et « Bella », ce qui devaient être leurs surnoms lorsqu’elles étaient enfants et témoignent de leur complicité passée, qui semble subsister malgré les années.
Sa petite sœur, Narcissa, tient beaucoup de son aînée. En effet, même si elle ne fait pas le choix de devenir une Mangemort, elle est malgré tout dévouée aux forces du Mal. Par le biais de son mari Lucius, elle fera partie des proches de Voldemort. Une chose cependant la différencie de sa grande sœur ; son sens de la famille. Un sens dont Bellatrix semble être totalement dépourvue. Et en cela, Narcissa ressemble bien plus à sa petite sœur Andromeda. Narcissa défendra corps et âme son fils unique Drago, allant même jusqu’à mentir au Seigneur des Ténèbres en affirmant que Harry Potter est mort.
Et enfin vient Andromeda. La plus différente. En deuxième position dans la fratrie, elle est celle qui décide de se détourner complètement de son clan et de fonder son propre foyer, à l’opposé des valeurs transmises par ses parents. Andromeda coupe les ponts avec ses deux sœurs et ces dernières ne cherchent pas à la recontacter. Andromeda est véritablement ostracisée du clan Black. Son portrait est brûlé sur l’arbre généalogique familial. Le feu, un symbole fort pour une sorcière. Son erreur ? Avoir épousé Ted Tonks, un né-moldu. La pire injure imaginable pour une telle famille. On sait aussi d’elle que, physiquement, elle ressemble énormément à sa sœur Bellatrix, qui pourrait représentée une version maléfique d’elle-même, si elle avait suivi la voie imposée par sa famille. L’incarnation de tout ce qui peut arriver de pire pour Andromeda.
Ces trois sœurs illustrent, comme nous l’avons décrit, trois rapports à la magie noir. Mais leur fratrie évoque d’autres pistes. Tout d’abord parce que les sœurs Black sont trois, un chiffre est lourd de symbole. Lorsqu’il est évoqué en littérature, on l’associe rapidement à la Sainte Trinité. Mais quand ce n’est pas une référence à Dieu, il peut aussi être une provocation, voire une insulte au sacré. Et en effet, ces trois sœurs, du moins les deux premières qui agissent pour le Mal, se donnant le droit de vie ou de mort sur autrui, ce qui normalement n’est pas du ressort des hommes, mais du divin. Une telle interprétation est envisageable dans Harry Potter dans la mesure où on appelle Voldemort, le Seigneur des Ténèbres. Dans les différentes prières de la religion catholique, on s’adresse à Dieu en l’appelant Seigneur également. D’autre part, le chiffre trois, trois femmes, n’est pas sans rappeler le mythe des Parques dans la mythologie grecque. Ces dernières ont le destin des hommes entre leur main. Mais elles ne sont qu’une allégorie. Elles sont neutres et n’agissent pas sur ce dernier. À nouveau, les sœurs Black noircissent ce mythe, car elles jouent avec la destinée.
Avec la mort et la vie. L’usage de la magie change le cours des choses. Leur victime ne choisissent pas leur destin, les Black s’en chargent. Bellatrix fait sans cesse usage des sortilèges impardonnables, prenant ainsi le droit de vie ou de mort sur quiconque s’opposerait à elle. Si les trois sœurs Black avaient toutes suivi le même chemin, celui instauré par leurs parents, elles formeraient sans doute une Trinité maléfique. D’ailleurs, c’est Bellatrix qui vient tuer la fille unique d’Andromeda. Cet acte est à l’image de la haine profonde de Bellatrix envers tout ce qui se rattachait à sa propre sœur. Celle-ci ayant simplement fait le choix d’épouser quelqu’un d’autre qu’un sorcier de pur souche. Alors que Bellatrix a épousé un homme qu’elle connaissait à peine, simplement pour maintenir la pureté du sang Black.
Ces trois sœurs, sorcières, sont aussi une référence shakespearienne. Nous savons en effet que J.K. Rowling s’est appuyée sur les trois sorcières de MacBeth en écrivant Harry Potter. Cela se vérifie dans le choix du nom du groupe de rock qui joue au bal de Noël dans le quatrième tome de la saga. Le groupe se nomme Weird Sisters (en français, les Bizarr’ Sisters). Or c’est justement ainsi que Shakespeare nomme ce trio de sorcières qui vient commettre des méfaits dans la pièce MacBeth. Mais l’influence du dramaturge s’étend au delà de ce groupe de rock. De ces personnages répugnants et démoniaques, l’autrice a puisé les caractéristiques psychologiques de Bellatrix et Narcissa, telle que l’art de la manipulation et une certaine forme de folie, surtout pour Bellatrix.
Les trois sœurs Black ne sont donc pas complices, malgré les quelques exceptions citées ci-dessus. Leur rapport sont profondément déséquilibrés par la devise familiale, sur laquelle elles n’ont pas réussi à s’accorder, et par la folie profonde de Bellatrix. Leur fratrie peut être vue comme trois façons possibles d’envisager le monde des sorciers, mais ne laisse que peu d’espoir au vue du destin de leur descendance : le sang pur de Drago ne permet pas de « sauver » le monde des sorciers et Nymphadora, une sang-mêlée, meurt. La relation de ces trois femmes échoue, et relève du tragique. L’amour qui peut exister dans une famille ne permet de les rapprocher ou de les raisonner.
Conclusion
Avoir une sœur, dans l’univers de Harry Potter n’est donc pas de tout repos. Cela peut même être dangereux. Cela est souvent synonyme de conflits, d’incompréhension, de haine.
Cette absence est peut-être due au fait que nous avons déjà un exemple avec Fred et Georges Weasley, qui incarnent le stéréotype des jumeaux complices et complémentaires. D’autre part, si dans cet univers les liens du sang sont souvent décevants, c’est l’amitié qui prend le relais. Les nombreux enfants uniques de la saga parviennent à s’épanouir par exemple. Parvati a créé une complicité avec Lavande, Andromeda est parvenue à se défaire du poids des traditions perpétuées dans sa famille. Si Lily a perdu une sœur en entrant à Poudlard, elle y a trouvé une autre famille, tout comme son fils des années plus tard.
Sources : Wizarding World, Bynativ