Etude d’un succès interplanétaire – El Nazed, fourbe mais fascinant
Aujourd’hui paraît le vingtième tome de la BD « El Nazed le Fourbe ». C’est l’occasion de se pencher un peu plus sur ce personnage haut en couleurs…
Si vous demandez à un sorcier du Moyen-Orient, belge, grec ou français, qui est El Nazed le Fourbe, il se mettra immanquablement à rire. Ensuite, seulement, il répondra qu’il s’agit de « ce célèbre héros de roman et de BD ».
Ce célèbre antihéros, plutôt.
Mégalomane, vivant au 16e siècle, El Nazed le Fourbe est un sorcier bien décidé à conquérir le monde par tous les moyens. Seulement voilà, il s’agit d’un sorcier un peu raté qui a du mal à contrôler ses sorts et tout ce qu’il entreprend tourne au ridicule et à la catastrophe. Chacun de ses plans méticuleux lui revient dans la figure …
Mais ce qu’on oublie trop souvent, c’est qu’il a bel et bien existé (Voir notre biographie).
Le créateur du personnage des romans
C’est en 1952 que El Nazed est révélé au grand public, sous la plume du marocain Youssef Haleur (décédé en 1989), greffier du Ministère de la Justice. C’est son goût pour l’Histoire et ses talents de conteur qui l’ont poussé à publier les histoires qu’il inventait pour ses enfants. Il a fait de ce personnage une star de la littérature en le dépeignant comme un héros catastrophique. Il a également brillamment continué sa carrière d’écrivain avec ses « Contes du Renard Rouge » pour les enfants, son roman autobiographique « L’enfant des dunes » et ses guides touristiques parodiques, où l’on retrouve son style espiègle et enlevé.
L’un des facteurs du succès des romans vient sans doute des illustrations de Madame Haleur (illustratrice de toutes les œuvres de son mari, décédée en 1992), une demi-douzaine dans chaque livre. D’une part, il faut souligner l’humour et la grâce de ces illustrations, d’autre part rappeler leur caractère novateur à l’époque : en effet, il s’agissait de la période d’après-guerre où les Sortilèges d’Animation, perfectionnés au Japon (tout à fait classiques aujourd’hui), avaient débarqués en Occident, donnant aux premiers volumes d’El Nazed un caractère exceptionnel.
S’inspirant de textes historiques, Youssef Haleur a créé un bouffon dont les aventures ont fait la joie de plusieurs générations de sorciers.
Un succès phénoménal
Le premier volume, « Les exploits d’El Nazed le Fourbe », devient immédiatement un best-seller dans les pays arabes. Le deuxième, « Les mésaventures d’El Nazed le Fourbe », paru en 1955, rencontre encore plus de succès et Mr Haleur démissionne pour se consacrer à l’écriture. En 1958, le triomphe du troisième, « El Nazed le Fourbe chez le Sultan » est sans précédent et fait de son auteur un millionnaire.
Les dernier volumes, « Les tribulations d’El Nazed le Fourbe » et « Le retour d’El Nazed le Fourbe », parus respectivement en 1962 et 1970, n’ont pas démenti l’affection que les lecteurs portaient aux œuvres de Mr Haleur.
Si El Nazed devient un héros au Moyen-Orient, il conquiert bientôt le sud de l’Europe. La première traduction française, en 1955, est déplorable, sans les merveilleuses illustrations de Madame Haleur, et porte le titre de « Le lamentable Dunaze le Fourbe ». Le tir est corrigé dès que les droits sont rachetés, en 1957, par les éditions Hurluberlu avec ceux du deuxième tome, et ils deviennent aussitôt un succès dans les pays francophones. La Grèce et l’Espagne sont également deux pays où El Nazed devient vite aussi connu que les héros nationaux. Les livres plaisent à tout le monde, grands et petit, et de nos jours encore ils continuent à se vendre. L’Italie, les pays slaves et l’Afrique ne seront vraiment « contaminés » qu’avec l’adaptation BD.
Le triomphe de la BD
La fabuleuse aventure ne s’arrête pas là. En effet, il semblerait selon les dires de certains que les romans de Mr Haleur ont plus qu’inspiré un auteur moldu de bande dessinée français, Mr Goscinny, qui est très connu dans le milieu de la BD franco-belge moldue pour sa BD « Iznogoud », les mésaventures d’un vizir qui veut être calife à la place du calife, et dont la méchanceté et la malchance rappelle fortement El Nazed.
C’est sans doute cette rumeur, qui n’a jamais pu être prouvée par ailleurs, qui pousse un jeune dessinateur belge à se lancer dans l’aventure à la fin des années 70. Les négociations sont âpres, mais finalement, aidé par Regulus Mécèna, le directeur du journal français « la Gazette du Sorcier»(actuellement à la retraite), Filibert Minederien obtient les droits des romans de Mr. Haleur et la première adaptation BD des « Exploits d’El Nazed le Fourbe » paraît en langue française puis arabe en 1979.
C’est de nouveau un triomphe, et les albums sont traduits en une vingtaine de langues.
Actuellement, le vingtième tome termine le troisième livre, et le vingt-et-unième commencera à être pré publié dans « la Gazette du Sorcier» d’ici quelques mois. Mr. Minederien, dont le trait et les Sortilèges d’Animation ont acquis leur plénitude à partir du quatrième tome, est un travailleur acharné qui jure que dessiner El Nazed ne le lasse pas.
Les controverses
Il ne se gène toutefois pas pour prendre quelques libertés avec le roman, et s’il s’inspire de recherches historiques, certaines histoires, comme celle du Retourneur de Temps, celle où El Nazed rencontre son dessinateur, ou le 9e tome « El Nazed et la Lampe Magique » qui le met aux prises avec un génie particulièrement vicieux, sont entièrement issus de son imagination et certains puristes le lui reprochent.
On a aussi beaucoup parlé de l’importance que donne Mr. Minederien au serviteur moldu d’El Nazed, Bêhbeth, qui n’apparaissait que très peu dans le roman, et dont l’authenticité historique est plus que douteuse. Certains se sont plaint que Mr. Minederien en faisait une caricature qui lui permettait de dénigrer les moldus. Mais celui-ci affirme que Bêhbeth « est un personnage comique certes, mais plus par sa méconnaissance de la sorcellerie et la bêtise de son maître que par sa propre stupidité. Il ne parodie en rien les moldus. D’ailleurs, ce sont souvent les moldus qui l’emportent aux dépends d’El Nazed, comme Soliman le Magnifique et ses conseillers, le marchand de poteries dans « El Nazed en Espagne », ou la gardienne de hammam dans « El Nazed n’en fait qu’à sa tête » ; ce sont eux qui finissent par bénéficier des idées d’El Nazed à sa place. »
Le succès mondial
En 1987 et 1991, deux études, l’une française (« El Nazed le Fourbe, la transformation d’un personnage historique en figure symbolique dans les textes du 16e et 17e siècle » de Jacqueline Bienbon (académicienne), Les Editions du Crépuscule, collection Histoire de la Sorcellerie, Paris, 1987) et l’autre saoudienne (« Les choix marginaux d’El Nazed le Fourbe face à la rigueur de la norme magique au 16e siècle », du professeur Mustafa Bisbyll, éditions Zénith, collection Essais, La Mecque, 1991), qui se complètent parfaitement, réhabilitent quelque peu le personnage. En effet, de patientes recherches tendraient à démontrer qu’El Nazed était plutôt un « savant fou », un doux dingue plutôt que le méchant malchanceux que l’on connaît.
Un excellent ouvrage iranien a aussi analysé le succès de ce personnage historique et littéraire en 1993 (« El Nazed le Fourbe, analyse d’un succès mondial », de Marjane Alibi, éditions Zéro, 1993).
El Nazed le Fourbe est plus connu dans les pays arabes, mais il fait aussi parti du paysage littéraire des sorciers grecs, français, africains, belges et suisses. Les pays anglo-saxons, asiatiques et germains sont un peu à la traîne, mais les BD ont de plus en plus de succès.
D’ailleurs, les plus grands sorciers apprécient autant les romans que les BD.
Ainsi, Albus Dumbledore, Grand Commandeur de l’Ordre de Merlin et directeur de Poudlard, a avoué à une reporter, Rita Skeeter, qu’il adore pouffer dans son fauteuil le soir en relisant les ouvrages de Mr. Haleur.
. La directrice de la Justice Magique française, Madame Françoise Delatoge, reconnaît volontiers acheter les BD d’El Nazed pour mes enfants, pour moi, et aussi pour mon frère, féru de Bandes Dessinés, il exige de n’en rater aucune alors qu’il a trente-cinq ans !
(Madame Delatoge vient d’une famille moldue). Quand à Yasmina Ben Nazeth, co-directrice de l’Institut de Jérusalem, c’est mi-figue mi-raisin qu’elle évoque les innombrables fois où les élèves ont écorché son nom pour s’en moquer. (Son mari et collègue, Mr. David Solomon, fera la même chose durant notre rapide entretien….)
Il est indéniable que ce personnage populaire continuera à faire rire des générations de sorciers, et on ne peut que conseiller la lecture de ces ouvrages
Magnus Sagace