Harry Potter à l’université – 2 : les discriminations dans le Wizarding world
Cette chronique présente un.e universitaire qui analyse Harry Potter sous l’angle de sa spécialité (anthropologie, histoire, littérature, médecine, etc.)
Ce mois-ci, coup de projecteur sur deux chercheuses américaines en sciences sociales, Elizabeth Ebony Thomas et Sarah Park Dahlen. Elles ont ensemble supervisé l’ouvrage collectif Harry Potter and the Other: Race, Justice, and Difference in the Wizarding World publié en juin 2022 (University Press of Mississippi).
Les stéréotypes de la saga Harry Potter sont depuis des années soulignés par les fans sur la toile. On se souvient par exemple du texte de Rachel Rostad en 2013 « To J.K. Rowling from Cho Chang »
D’autre part, des textes ou des livres importants écrits par des personnes expertes du fandom – qui peuvent aussi en être issues – abordent ces stéréotypes. Dernièrement, l’ouvrage Harry Potter décrypté par les fans traite des discriminations de genre et d’origine dans deux chapitres entiers.
Dans le champ universitaire en revanche, E. E. Thomas et S. P. Dahlen sont parmi les premier.e.s à consacrer des recherches entières à ces thèmes. Elles défendent l’idée que les questions de race et de discrimination sont omniprésentes dans le monde et donc sont cruciales pour de nombreux lecteurs et lectrices. Le « color blindness » du Wizarding World (« daltonisme racial » en français) pose donc une série de problèmes sur lesquels elles reviennent dans leurs ouvrages et articles.
La saga est enserrée dans une série de stéréotypes que les fans ne manquent pas de contester
Sarah P. Dahlen est une spécialiste de l’apprentissage et de la littérature jeunesse, professeure à l’Université d’Illinois. Elle est cofondatrice de la revue universitaire Research on Diversity in Youth Literature. Ses recherches se concentrent sur la perception dans la littérature de la diaspora coréenne et en particulier des enfants coréens adoptés aux États-Unis depuis les années 1950. Elle se bat pour une littérature jeunesse plus représentative de la diversité culturelle.
Dans le récent Harry Potter and the Other: Race, Justice, and Difference in the Wizarding World, Sarah P. Dahlen publie avec Kallie Schell le chapitre « Cho Chang is trending. What it Means to Be Asian in the Wizarding World« . Ce contenu d’une vingtaine de pages est disponible gratuitement à la lecture ici.
Dahlen et sa consœur analysent les stéréotypes de la saga Harry Potter visant les personnes asiatiques ou d’origine asiatique. Elles marchent là encore dans les traces du fandom, très actif sur le sujet depuis des années. On pense au texte de Rachel Rostad ou aussi aux critiques visant le scénario du film L’Ordre du phénix où Cho Chang devient la traîtresse à la place de Marietta Edgecombe.
Trois stéréotypes enferment le personnage de Cho Chang dans son identité asiatique. Premièrement la taille, elle est décrite comme mesurant « une tête de moins que Harry » malgré un an de plus. Deuxièmement, elle est chez Serdaigle, la maison où vont les élèves les plus doués. Enfin, et surtout, son nom est proche phonétiquement du sobriquet péjoratif « Ching chong » utilisé aux États-Unis et ailleurs pour moquer les personnes d’origine asiatique. « Cho » et « Chang » peuvent être d’origine chinoise ou coréenne et dans les deux cas sont plutôt des surnoms.
Ces stéréotypes prennent au fil du récit le pas sur les autres qualités de Cho Chang, son courage et ses aptitudes sportives. Elle devient un « supporting character« , n’étant mis en avant que brièvement pour servir le dessein du personnage principal, Harry. Elle le conseille d’aller observer la statue de Rowena Serdaigle dans le dernier tome, sans pour autant l’accompagner ou agir de son côté.
Par ailleurs, Cho Chang est largement utilisée dans le récit comme une concurrente de Ginny aux yeux de Harry. Pour in fine renforcer le personnage de Ginny puisque Harry « choisit » celle-ci. Des notes de travail de Rowling rendues publiques confirment que cette mise en concurrence était centrale dans le développement du personnage de Cho Chang par l’autrice.
Le plus regrettable est l’absence de toute histoire familiale et culturelle pour Cho Chang – et la plupart des personnages de couleur dans Harry Potter dont nous savons très peu de choses. C’est une occasion manquée selon Dahlen de rendre visible les différences culturelles et d’origine au lieu de chercher à les éluder (maladroitement puisque le nom de Cho Chang les rappelle sans cesse…). « L’absence de récit sur le passé de Cho Chang sous-entend que la race et le contexte culturel n’existent pas en substance ou n’importent pas dans le monde de Harry Potter« .
Les fans les plus concernés dépassent ces stéréotypes et s’émancipent de la narration originelle
Présentons désormais Ebony Elizabeth Thomas. Elle est professeure spécialisée en sciences de l’éducation à l’université de Michigan aux États-Unis. Son expertise sur la représentation raciale dans la littérature jeunesse est reconnue internationalement. Elle fait partie du fandom américain au tout début des années 2000. Elle rédige une fanfiction sous le pseudonyme Angiej en hommage à Angelina Jolie, qu’elle doit retirer suite à des accusations de plagiat.
Dans son ouvrage phare The Dark Fantastic. Race and the Imagination from Harry Potter to The Hunger Games (NY Press, 2019), elle explique que la fantasy véhicule les stéréotypes raciaux et de genre alors même qu’elle pourrait – devrait – être un lieu où ces préjugés sont combattus. Elle appelle à « décoloniser nos fantaisies et nos rêves« .
Elle décrypte en particulier l’histoire bien connue dans le fandom de Hermione noire. Selon elle, imaginer une Hermione noire a représenté pour les fans africains-américains une expérience rare d’émancipation vis-à-vis de la narration white-centered de J.K. Rowling.
Ebony E. Thomas cite en exemple le témoignage d’Alanna Bennett en 2015. Cette fan raconte comment elle s’est progressivement représentée une Hermione noire via une lecture allégorique de la jeune héroïne, une « née-moldue dans un monde qui la méprise pour des raisons biologiques« . Cette identification à un personnage phare de la saga, jusqu’à la couleur de peau, est une revendication forte. Elle est d’après Thomas un acte d’empowerment dans le sens premier du terme c’est-à-dire qui permet de donner du pouvoir à des personnes qui n’en ont habituellement pas.
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Comme l’écrit Sarah P. Dahlen, « Harry Potter aurait pu être un lieu propice pour refléter et critiquer les réalités sociales du monde racialement stratifié dans lequel nous vivons » mais échoue finalement dans cette quête. Mais comme le montrent les deux autrices, le fandom a su en grandissant faire de la saga un outil de critique et d’émancipation. N’hésitez pas à découvrir leurs différents ouvrages pour aller plus loin sur ces sujets.
Sources :
LA reviews of books ; ischool Illinois ; Mugglenet ; Fansplaining ; Université du Michigan
Retrouvez bientôt les prochaines chroniques de Harry Potter à l’université pour découvrir les travaux d’un.e nouvelle universitaire sur Harry Potter !
Vous pouvez également (re)lire notre première chronique sur le thème de la nourriture ICI.