Une Hermione de couleur : pourquoi certains ont du mal
Dès que nous avons vu l’annonce du casting de Nom Dumenzweni dans le rôle de Hermione Granger, on a su à la rédaction que les prochaines heures allaient être intenses en matière de débat. C’est cool le débat ; mais on en arrive vite à un point où les gens qui veulent dire quelque chose en disent une autre sans s’en rendre compte. Alors on va revenir sur cette annonce, les raisons pour lesquelles elle ne nous dérange pas, voire nous ravit, mais aussi les raisons pour lesquelles elle pourrait nous déranger.
Ce n’est pas un secret, la rédaction de la Gazette a toujours trouvé attrayante l’idée de représentation alternative. Un Rogue barbu, un James Potter métis, un Norbert Dragonneau de couleur… ce sont de nombreuses idées que nous avons mises en avant par le passé pour rappeler l’importance d’une vision alternative, personnelle, variable. C’est l’importance de se remettre en question ; de se demander “pourquoi est-ce que j’imagine ce personnage ainsi alors que je découvre maintenant qu’on peut l’imaginer autrement et que ça me plaît ?”
AVERTISSEMENT : j’écris cet article en tant que fan qui a toujours imaginé Hermione comme blanche de peau et qui est particulièrement sceptique à l’idée que Cursed Child soit une suite. Ceci ne m’empêche pas d’accueillir ce casting tel qu’il est et de rester ouvert à l’idée d’une Hermione de couleur que je trouve particulièrement intéressante.
Fidèle aux livres ?
Hermione “de couleur” n’a jamais eu droit à son article à elle, mais ce n’est pas pour autant que nous refusons cette interprétation cohérente avec les livres. Comme de nombreuses personnes l’ont déjà expliqué avant nous, la couleur de peau de Hermione n’est jamais proprement décrite dans la saga. Le tome 3 est le plus riche en la matière, nous la décrivant comme “bronzée” à un moment et “livide” à un autre : deux états qui, n’en déplaisent à certains, peuvent s’appliquer à une personne noire, blanche, métisse, asiatique ou autre. Les cheveux de Hermione, frisés voire crépus, sont également très communs dans les populations latinos ou africaines.
Ceux qui n’ont pas connaissance de cette interprétation peuvent effectivement être surpris par ce qui est, pour eux, une découverte, mais rien dans les livres n’indique le contraire ; c’est donc à chacun de se faire son image mentale.
Les arguments qui mettent en avant les illustrations ou les couvertures oublient que celles-ci ne sont que des interprétations d’un artiste, pas plus définitives que les dessins réalisés par des fans. D’ailleurs, Drago et Lucius Malefoy ont des cheveux noirs sur les couvertures finlandaises (ci-contre). Aragog a des lunettes et une moustache tandis que Dobby a une toison de cheveux noirs sur les couvertures ukrainiennes !
Les plus tenaces, qui refusent vraiment d’imaginer Hermione autrement qu’avec une peau de pêche, pointeront du doigt ce dessin sans équivoque de J.K. Rowling ; Hermione y est clairement blanche et, si ça vient de Rowling, c’est que c’est “vrai”, non ? L’autorité absolue de l’auteur est un débat sur lequel la Gazette se penchera en détail un autre jour ; en attendant, Jo a également affirmé sur Twitter que ce choix d’actrice était conforme au :
Canon: brown eyes, frizzy hair and very clever. White skin was never specified. Rowling loves black Hermione. [Canon : yeux bruns, cheveux frisés et très intelligente. Une couleur de peau blanche n’a jamais été spécifié.]
Bonne chance pour réconcilier ces images dans votre tête si tout ce que dit J.K. Rowling est un fait établi et immuable ! Il vaut mieux passer outre pour éviter la migraine.
Par rapport aux films
Un fois qu’on passe l’argument livresque, il y a celui de la cohérence avec les films. Oui, effectivement, si on considère la pièce comme la suite des films, ça devient étrange. Cependant, il ne faut pas oublier que les films sont en réalité comme les illustrations : une interprétation des livres. N’a-t-il pas souvent été répété qu’il fallait voir les deux de manière distincte ?
Car, non seulement les films ont changé les personnages, tant par leur physique que leur psychologie ; mais ils sont aussi parfois incohérents avec eux-mêmes ! Citons notamment Lavande qui, oui, change de couleur de peau au cours des films sans que cela ne génère de polémique majeure. On passe sur la couleur des cheveux de Neville, qui est blond ; sur l’âge de la génération des maraudeurs ; la couleur des yeux de Harry ; les cheveux lisses de Hermione ; etc…
Réclamer aujourd’hui que la pièce soit cohérente avec les films afin que la saga reste cohérente, c’est réclamer que les dérivés de la saga restent incohérents avec les livres. Pourquoi refuser un retour aux sources ? La pièce est la suite de l’histoire : tant qu’elle colle avec les livres, qui forment l’histoire de base, elle sera cohérente avec la saga.
En revanche, tout comme pour les films, il serait peut-être judicieux de traiter cette nouvelle interprétation pour ce qu’elle est : la vision d’un directeur artistique et d’une équipe sans la moindre obligation pour l’imaginaire de chacun de s’aligner. Après tout, certains continuent à imaginer Harry, Ron, Hermione ou tout autre personnage à leur façon sans se baser sur les acteurs des films ; pourquoi faudrait-il qu’il en soit autrement avec Cursed Child ?
Ils ne correspondent pas à ma vision
Il a été signalé qu’Hermione n’était pas le seul problème. Harry est trop roux ; Ron ne l’est pas assez ; Harry n’a pas les yeux verts… C’est exact. Cela en fait-il de mauvais choix ?
Personne ne verra les yeux de Harry sur une scène de théâtre. La couleur des cheveux de Ron peut s’expliquer par son vieillissement ou se corriger facilement à l’aide d’une teinture… après tout, James et Oliver Phelps (les jumeaux Weasley), Tom Felton (Drago) et Jason Isaac (Lucius) sont bruns de cheveux mais personne ne remet en doute leur incarnation des personnages pourtant roux et blond platine. Quant aux yeux de Harry, l’important est qu’ils soient identiques à ceux de Lily. Au fond, les acteurs des films ne correspondent pas toujours à notre vision des personnages, ce qui ne nous empêche pas d’en apprécier l’ensemble.
Ce sont des détails qui font que les acteurs divergent de la vision personnelle de chacun, mais ce genre de dissonance se produirait avec n’importe quel acteur. Un choix qui satisfera les uns ne satisfera pas les autres. La problématique s’élargit mais, au final, reste la même : si un acteur ne correspond pas à l’imaginaire d’une personne, ça n’en fait pas un mauvais choix.
On peut rester dubitatif
Tout ça pour dire qu’il n’y a aucun argument solide pour dénigrer ce casting. Chacun peut y adhérer plus ou moins, mais ce n’est qu’une question de goût personnel et pas de logique.
En revanche, on peut se demander ce qui a motivé les producteurs et metteurs en scène à faire le choix d’une Hermione de couleur ; est-ce justifié dans leur scénario ? Cela apportera-t-il vraiment quelque chose à l’histoire ? Ou est-ce simplement un choix pour faire parler de la pièce et faire dans la provocation ?
Auquel cas, ce serait aussi regrettable : aussi positif que cela soit de donner un élément de représentation à certains fans, il serait triste qu’il leur soit offert pour de mauvaises raisons.
On peut se demander si Noma Dumezweni a entendu parler des auditions pour la pièce et postulé en pensant “rien ne dit que je ne peux pas être Hermione” ; si elle a directement été contactée pour le rôle, comme l’a été Eddie Redmayne pour Les Animaux Fantastiques ; ou si la couleur de peau faisait partie des critères de sélection. Il y aurait là une différence de taille.
En conclusion
Si on adhère à ce casting, il ne faut pas pour autant oublier qu’il s’agit d’une vision parmi d’autres et que certains peuvent être déçus par le manque de correspondance avec leur imaginaire… comme ils l’auraient sans doute été avec d’autres acteurs. Si on n’adhère pas à l’idée d’une Hermione noire, il faut cesser de se réfugier derrière des arguments qui n’en sont pas ; ce n’est pas un drame de ne pas se sentir en accord avec la vision artistique d’un autre, c’est beaucoup plus problématique si ce désaccord est fondé sur de mauvaises raisons.
Nous, on dit : cette nouvelle Hermione, pourquoi pas ?