Podcast ASPIC ep. 22 : Harry Potter à l’université
Pour notre 22è épisode, nous avons été invitées à animer une discussion entre Valère Ndior, co-auteur du livre Le droit dans la saga Harry Potter et Blandine Le Callet, autrice du Monde antique de Harry Potter, à destination de leurs étudiants respectifs.
Nous y discutons du fait de faire de Harry Potter un sujet d’études, comment cette démarche est perçue dans le monde universitaire, quelles sources sont considérées comme canon, quelle considération pour les créations de fans, et bien d’autres choses !
Bonne écoute !
Retrouvez également notre épisode enregistré avec Valère Ndior et Nicolas Rousseau sur le droit dans Harry Potter ; celui avec Blandine Le Callet sur les références antiques ; et la table-ronde enregistrée lors de notre évènement anniversaire.
Chroniqueuses : Marjolaine & Alix
Invité.e.s : Blandine Le Callet, Valère Ndior
Graphisme : Salem
Montage : Marjolaine
Générique : Kalegula, d’après des thèmes de Patrick Doyle et John Williams
Transcription : Rowenaz
Musique. Sorcières, sorciers et moldus, érudits ou curieux, bienvenue dans ASPIC, l’Académie des Sorciers, un podcast intéressant et captivant, une émission proposée par la Gazette du Sorcier.
Marjolaine (M) : Bienvenue dans ce 22e épisode de l’Académie des Sorciers, je suis Marjolaine…
Alix (A) : Et je suis Alix… Et cet épisode un peu particulier est la captation d’une table ronde sur Zoom, qu’on a réalisée avec Blandine Le Callet, maître de conférence en lettres classiques de l’Université de Créteil et Valère Ndior, professeur de droit international à l’université de Brest.
M : On espère que vous allez autant apprécier que nous la richesse de cet échange et on vous retrouve à la fin de l’épisode !
Valère (V) : Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans cette conférence, cette rencontre qu’on organise avec Blandine Le Callet et l’équipe de la Gazette. Donc je vais laisser mes camarades du jour se présenter. Moi, comme je le disais tout à l’heure, je suis professeur de droit et je suis le co-directeur de l ‘ouvrage « Le droit dans la saga Harry Potter ».
Blandine (B) : Bon alors du coup je me représente aussi, je suis Blandine Le Callet, je suis maître de conférence de latin à l’université de Créteil et j’ai écrit un livre sur les références à l’Antiquité dans la saga Harry Potter, qui s’appelle « Le Monde Antique de Harry Potter », voilà. Et donc on a aujourd’hui avec nous Alix et Marjolaine qui s’occupent, qui gèrent le site de la Gazette du Sorcier.
A : Et donc on est co-animatrices du podcast ASPIC, l’Académie des Sorciers, un podcast intéressant et captivant ! Et donc qui propose d’étudier Harry Potter dans une vue académique et on avait déjà reçu Valère et Blandine dans des épisodes individuels consacrés à leurs ouvrages, donc là c’est l’occasion d’enregistrer un épisode aussi, un peu en direct comme ça. Avec des thèmes croisés.
M : Et on les avait même reçus une deuxième fois en live, lors de l’événement de l’anniversaire des 20 ans de la Gazette du Sorcier en septembre dernier où on avait pu inaugurer un format de table ronde et discuter, qui a donné l’envie a priori de poursuivre la discussion aujourd’hui, notamment. On est ravies de pouvoir continuer à profiter de Blandine et Valère pour continuer à discuter.
V : [précisions d’ordre technique sur le déroulement de la discussion sur Zoom]
B : Je voulais juste expliquer un petit peu comment est née cette journée. En fait Valère et moi on s’est rencontrés en septembre dernier, justement dans le cadre de l’événement de la Gazette du Sorcier, pour les 20 ans de la Gazette du Sorcier. On avait participé à une table ronde. C’était “Les Professeurs de Poudlard”, c’était intitulé comme ça, et les professeurs en l’occurrence c’était nous, des universitaires ou des intellectuels qui avaient travaillé sur Harry Potter, réfléchi sur Harry Potter. Et en fait à l ‘issue de cette table ronde, Valère et moi on a un petit peu échangé et on s’est dit que ça serait vraiment intéressant de réfléchir à quelque chose autour de Harry Potter à l’Université des Moldus. Qui serait : comment l’étude de la saga Harry Potter, qui est si riche, qui est un monde si complexe, permet en fait à des universitaires d’offrir une porte d’entrée à l’enseignement de leur discipline ? Et c’est un petit peu ça qu’on va essayer de faire aujourd’hui avec vous. Chacun dans son domaine on va vous expliquer comment l’étude de Harry Potter peut aider à l’enseignement du droit, ou du latin et du grec, voilà, c’est vraiment ça le thème qui nous réunit aujourd’hui.
V : Alors j’ai peut être justement une précision parce qu’on a un public à la fois de juristes et des étudiants en droit, et donc des étudiants en latin et grec, lettres classiques. Donc quand vous faites un commentaire, une information, n’oubliez pas que vous n’êtes pas juste entre représentants d’une discipline donnée, notamment les juristes si vous avez des questions notamment juridiques, n’utilisez pas des termes trop techniques qui ne pourraient pas être compris par les autres. L’idée c’est vraiment de créer une passerelle entre nos disciplines à travers un saga que l’on connaît tous et qu’on apprécie, à savoir Harry Potter.
M : De toute façon, vu que Alix et moi qui ferons le relais de vos questions ne sommes spécialistes ni en droit ni en latin et grec, on fera nous-mêmes le filtre genre “Alors cette question on la comprend pas, mais on va la poser quand même, mais va falloir la traduire”.
B : Alors parmi mes étudiants, il il y a aussi des étudiants qui sont en licence santé. Et puis la majeure partie de mes étudiants c’est des étudiants de lettres modernes, donc je pense que y aura pas de questions trop techniques sur le latin et le grec.
A : Bon, lettres modernes ça va !
V : Bon, super ! Je crois qu’on a fait le tour des mots d’accueil, et puis évidemment merci à toutes les personnes qui ont pris le temps de se joindre à nous un samedi après-midi, on sait que le temps extérieur est précieux, surtout en ces périodes de couvre-feu donc merci d’avoir pris ce temps pour vous joindre à nous. On va commencer Blandine et moi assez brièvement, moins de dix minutes, par présenter un peu nos démarches respectives. On a beaucoup échangé sur ce qu’on voulait faire de cette rencontre donc on va chacune, chacun, témoigner de notre démarche qui nous a menés à rédiger ou codiriger des ouvrages. Et puis ensuite Marjolaine et Alix vont nous adresser un certain nombre de questions et puis vous pouvez évidemment intervenir dans tout ça. Blandine, j’ai envie de te donner la parole vu que c’est moi qui vient de parler, j’ai pas envie de me donner la parole à moi-même, donc je te propose que tu commences, et j’enchainerai !
B : Et ensuite je te passerai la parole !
V : C’est super !
B : Moi je vais vous raconter en quelques mots, alors certains d’entre vous le savent déjà parce que j’ai déjà eu l’occasion d’en parler avec mes étudiants, qu’est-ce qui m’a poussée à écrire “Le Monde Antique de Harry Potter”. C’est assez intéressant parce que précisément ce sont mes étudiants il y a quelques années… c’est-à-dire que c’est vraiment une démarche pédagogique qui est à l’origine de l’écriture de ce livre. Avant d’avoir l’idée de l’écrire j’ai commencé à préparer des cours sur Harry Potter, dans le cadre de mon enseignement à l’université, et ce à la demande des étudiants. J’aime bien demander parfois aux étudiants de me donner des thèmes sur lesquels ils aimeraient que je fasse un cours, et cette demande m’avait été faite il y a quelques années. J’ai eu un petit moment d’hésitation parce que le monde universitaire est toujours un petit peu réticent à s’intéresser à des œuvres de culture populaire. Il y a un petit peu un sentiment qu’on dévalorise la matière lorsqu’on s’intéresse à des choses qui sont trop populaires tout simplement. Et puis en fait il m’a fallu que quelques secondes avant de me dire “Mais oui, Harry Potter c’est une formidable porte d’entrée dans l’étude du latin et du grec” ! En tout cas des étymologies grecques et latines, et puis de la culture gréco-romaine en général, aussi bien la culture mythologique, que historique, et que la civilisation. Donc voilà, c’est parti comme ça, j’ai préparé deux séances de cours, et puis l’été qui a suivi quand j’ai voulu un peu approfondir le cours en me disant, il y a encore des choses à dire, j’ai beaucoup travaillé, je me suis rendu compte qu’il y avait tellement de choses à dire que ça méritait un livre.
Donc en gros les trois directions, les trois portes d’entrée que Harry Potter peut représenter dans ma discipline, bah la première c’était tout simplement que vous le savez, les sorciers parlent latin. Lorsqu’ils lancent des sorts, lorsqu’ils choisissent des mots de passe par exemple pour les maisons de Poudlard, c’est en latin. Donc il y a une espèce de familiarité de la culture sorcière avec l’antiquité via la langue. Et donc tout simplement lorsqu’on étudie les formules magiques, les mots de passe, Fortuna Major, Caput Draconis, la devise de Poudlard « Draco Dormiens Nunquam Titillandus »… On fait du latin. Et pareil pour les sortilèges. Alors c’est un latin qui est pas toujours hyper rigoureux mais qui la plupart du temps est tout à fait exact : J.K Rowling elle a étudié le latin et le grec. Donc voilà, c’est vraiment une porte d’entrée ludique dans le latin et le grec. Alors l’autre porte d’entrée, toujours autour de la langue, c’est les prénoms des personnages. On aura peut être le temps d’y revenir dans la discussion, mais Albus Dumbledore, Rubeus Hagrid, Severus Rogue, ce sont des prénoms latins qui ont une signification en rapport avec la biographie et le caractère du personnage. Donc c’est pas seulement du latin pour faire beau, c’est du latin qui est signifiant. Albus il est blanc, c’est la pureté morale, Rubeus, rouge c’est Hagrid le rougeaud, Severus Rogue sévère…etc. Donc là encore J.K Rowling s’est amusée à organiser des échos entre les noms qu’elle choisissait pour les personnages et leurs caractéristiques. Et puis elle crée aussi beaucoup de néologismes à partir de racines grecques et latines. Donc vraiment à partir de Harry Potter on peut faire du latin et du grec, de manière parfaitement sérieuse. Donc première porte d’entrée, j’allais dire.
Et puis la deuxième porte d’entrée c’est évidemment que il y a énormément de noms de personnages de Harry Potter qui sont des transpositions ou des références directes à des héros, des dieux, des monstres de la mythologie gréco-romaine. Touffu c’est Cerbère, Argus Rusard c’est le monstre Argus qui a des yeux sur tout le corps, Minerva McGonagall la déesse Minerve… La liste est immense, et à chaque fois, là encore, porte d’entrée vers des histoires mythologiques, des monstres, des personnages historiques aussi, greco-romains… Et là encore ce qu’il y a d’intéressant c’est qu’il s’agit pas d’un système de référence qui est là pour faire beau, pour faire cultivé. Non. A chaque fois, il y a une corrélation entre le personnage et le personnage greco-romain auquel il fait référence. Un exemple tout bête : Minerva McGonagall, la déesse Minerve, c’est une déesse vierge célibataire, qui a un maintien extrêmement austère, qui se tient très raide… Donc là on retrouve des caractéristiques du professeur McGonagall. Minerve c’est l’acolyte de Zeus, c’est l’enfant préférée de Zeus à qui il délègue une partie de son pouvoir… Dans le microcosme de Poudlard Albus Dumbledore, le directeur qui est une image de Zeus, travaille avec Minerva McGonagall qui est co-directrice. Et puis Minerva McGonagall, c’est une guerrière, c’est elle qui dirige la bataille de Poudlard à la fin du dernier tome. Et évidemment Minerve c’est la déesse de la guerre. Donc voilà, on peut multiplier ce genre de corrélations qui font qu’il y a un réseau signifiant qui est extrêmement rigoureux dans l’utilisation des références à l’antiquité que fait J.K Rowling.
Et puis la troisième porte d’entrée c’est la civilisation gréco-romaine, c’est-à-dire : pourquoi ce système de référence à l’Antiquité si systématique dans la saga Harry Potter ? C’est parce que J.K Rowling veut créer l’illusion d’une culture sorcière qui plonge ses racines dans l’Antiquité. C’est à dire que dans la liste des sorciers célèbres qui apparaissent sur les cartes de Chocogrenouilles, vous avez Circé par exemple. Ou vous avez des devins comme le devin Mopsos. Ce sont des personnages mythologiques. Et l’illusion que crée J.K Rowling c’est que la culture sorcière, elle a ses origines, ses racines dans cette antiquité lointaine. Donc c’est pas étonnant qu’on trouve dans le système social des sorciers des pratiques ou des éléments qui semblent directement hérités de l’antiquité et légèrement modifiés. Alors deux exemples parmi beaucoup d’autres : l’atrium du Ministère de la Magie. L’atrium, ça fait référence à la pièce dans les maisons romaines qui était la pièce centrale où il y avait le feu qui était fait. Et l’atrium, ça veut dire noir, ater en latin, il s’appelle comme ça parce que les murs étaient noircis par le feu du foyer domestique. L’atrium du Ministère de la Magie, il est très noir, très sombre et puis il est garni de cheminées par laquelle arrivent les sorciers qui travaillent au Ministère. Donc vous voyez une espèce de transposition assez maligne qu’a fait J.K Rowling. Autre exemple et j’en finirai par là, le processus d’affranchissement des elfes. Pour affranchir un elfe de maison, on lui donne un vêtement. On peut notamment lui donner des bonnets. D’ailleurs, Hermione qui veut libérer les elfes tricote des pièces de vêtements dont des bonnets informes qu’elle dispatche un peu partout dans la salle commune de Gryffondor. Eh bien dans l’Antiquité, les esclaves affranchis romains recevaient un bonnet phrygien que leur donnait leur maître, et qui était le signe social de leur affranchissement. Donc vous voyez que là encore J.K Rowling joue avec tout ce qu’elle sait de la civilisation gréco-romaine et qu’elle va le transposer dans son univers romanesque à elle.
Et puis pour finir évidemment, tout ce système de référence est bien pratique quand on veut faire un cours sur Harry Potter à l’université parce qu’il est très facile de mettre en parallèle des passages de la saga avec des extraits de la littérature gréco-romaine. Harry qui joue de la flûte pour adoucir Touffu c’est Orphée devant Cerbère. On a des descentes aux enfers de l’antiquité qui peuvent être mises en parallèle avec les scènes où les héros eux aussi descendent dans les profondeurs du sous-sol. On a aussi des parallèles très nombreux puisque Harry Potter est un roman épique, avec des passages de l’Iliade, notamment le combat d’Achille contre Hector, ou la mort de Patrocle, qui ressemble à celle de Cedric Diggory. Donc vous voyez que c’est une sorte de réservoir foisonnant, Harry Potter, qui est une espèce de cadeau, de pain béni quand on est un enseignant de lettres classiques, pour faire découvrir l’antiquité aux étudiants.
Voilà, j’en ai fini cette brève présentation, j’espère que j’ai pas été trop longue, je vais passer la parole à Valère Ndior, qui va vous parler lui du droit.
V : Merci beaucoup Blandine, tu n’as pas été trop longue, c’était évidemment passionnant. Je connaissais certains aspects de ta démarche mais on en découvre à chaque fois d’autres au fil de nos échanges. Alors tout d’abord je tiens à excuser mon comparse, on est un peu Fred et George Weasley, Nicolas Rousseau avec qui j’ai co-piloté le projet “Harry Potter et le droit » qui est devenu « Le droit dans la saga Harry Potter ». J’aurais voulu qu’il soit à mes côtés mais il avait des engagements ce week-end et malheureusement il ne pouvait pas être des nôtres mais il vous salue tous et il a hâte de voir la vidéo.
Alors je pense que la trajectoire qui a été suivie dans notre cas est assez différente de celle de Blandine. Elle est vraiment partie de l’enseignement, d’exemples, d’illustrations, quasiment du case study à faire avec des étudiants. Nous c’est parti justement de la volonté de faire un cadeau aux étudiants, de façon plus générale. Tout a commencé en 2015, Nicolas et moi sommes juristes de formation, moi je suis universitaire, lui n’est pas universitaire mais en gros on se rend compte qu’on a un intérêt commun pour la saga. J’ai grandi en lisant, en tant qu’adolescent, les tomes d’Harry Potter. Et au fil d’une discussion dont on a déjà parlé il me semble avec Marjolaine et Alix il y a quelques mois, on s’est dit « Bah tiens en fait il y a des nords-américains qui depuis un certain nombre d’années travaillent sur le droit, la fiction, dans différentes oeuvres, cinéma, séries, bande-dessinée, même le jeu vidéo… ». Voilà il y a beaucoup d’études qui ont été menées sur la littérature de manière générale, et on avait vu qu’il y avait un ouvrage qui s’appelait « The Law of Harry Potter » mais qui n’était pas vraiment une analyse de l’univers mais plutôt, comment dire… une utilisation de l’univers, de ses personnages pour expliquer des règles de droit. En fait c’est comme si un manuel avait été réécrit en utilisant des personnages, et des situations pour expliquer des règles de droit. Et on s’est dit « Tiens c’est assez intéressant, scientifiquement il y a vraiment une démarche pédagogique, c’est sûr qu’un étudiant en droit américain va avoir envie de lire cet ouvrage et il va comprendre certaines choses”. Mais ce qui nous intéressait c’était peut-être d’essayer plutôt d’analyser l’univers d’Harry Potter, la société, les institutions, les règles, les exceptions… Et de voir si on pouvait y déceler une forme de cohérence, en gros si on pouvait constater l’existence d’une sorte d’ordre juridique tel que celui dans lequel on vit en France, dans d’autres pays… Et c’est vrai que c’est parti de là, on a essayé d’identifier un certain nombre de thématiques. On n’était pas à ce stade du tout en train d’envisager de créer le site internet, et on s’est dit “Bah tiens, il y a quand même pas mal de choses, il y a le fonctionnement du ministère, il y a les règles qui sont relatives au déplacements, les règles relatives à la majorité, la Trace…”.
Et donc on se retrouve un joli dimanche après-midi à faire une liste de thématiques comme ça, et on sentait qu’on allait en faire quelque chose mais on savait pas trop quoi. Et c’est comme ça qu’on se trouve avec une liste de thèmes, assez ouverte, et puis on sollicite des gens de notre entourage, des universitaires, des avocats, des juristes de manière générale, pour prendre en charge ces thématiques et aussi pour nous en proposer. On a eu pas mal de propositions, et ça a fini par devenir ce site « Harry Potter et le droit » qu’on a publié en 2015, l’idée étant vraiment de faire quelque chose de sympa, plutôt destiné aux étudiants, mais en analysant l’univers d’Harry Potter. C’est ainsi qu’on s’est retrouvés avec une liste de thématiques, alors je vais pas vous donner la liste complète parce qu’elle est assez longue. La question de la liberté de circulation, les sorts impardonnables, les institutions, la coopération internationale, la protection de la faune, de la flore, des créatures magiques, le statut de Poudlard, la question du renseignement, la question de l’état d’urgence aussi parce que mine de rien on a dans Harry Potter une situation qui est assez proche de celle qu’on a pu vivre à partir des années 2015, et voilà, donc évidemment le Magenmagot, le fonctionnement de la justice, les droits de la défense…
On s’est rendus compte qu’il y avait vraiment une variété de questions juridiques qui se posaient. Et c’est à partir de là qu’évidemment on a dû se poser pas mal de questions, et on arrive un peu à la thématique qui nous intéresse aujourd’hui, celle de la démarche. Moi j’étais universitaire, j’étais pas encore titulaire, je venais de sortir de ma thèse, on savait très clairement que le projet était destiné à être publié en ligne. Mais la question s’est vraiment posée de savoir si on utilisait simplement Harry Potter comme outil pour faire comprendre à des étudiants en droit et même à des non-juristes un certain nombre de règles : qu’est-ce que c’est que l’administration, qu’est-ce que c’est un contrat, est-ce que la baguette magique est un bien ? Ou est-ce qu’on essaie de se positionner comme des juristes du monde des sorciers et d’analyser le monde des sorciers de l’intérieur, donc pas simplement utiliser la fonction pour décrypter le droit français. Et on a décidé plutôt de suivre la deuxième démarche, donc d’essayer de comprendre, d’identifier les fondements de la société des sorciers. Et c’est ainsi que nous sommes arrivés, à travers les publications qui ont été rédigées par des gens qui ont été franchement extraordinaires, ils ont fait des billets dont la longueur allait de 2 à 4 pages, on a vraiment été amenés à analyser les règles, les pratiques, les coutumes, les institutions, les mécanismes conventionnels, les processus judiciaires… Et donc concrètement on s’est dit bah voilà, si on devait écrire un livre de droit de la société des sorciers, à quoi ressemblerait-il ? Et ça a tellement bien marché que finalement quelque chose qui était plutôt destiné à faire plaisir aux étudiants à une époque qui était je crois l’époque de Noël, donc l’idée c’était un site internet en guise de cadeau, qu’on a décidé d’en faire un livre et d’approfondir cette démarche.
Alors je ne vous cache pas, et je veux pas être trop long non plus, que évidemment on s’est posé un certain nombre de questions, je crois qu’on aura l’occasion d’y revenir. Tout d’abord, celle de la manière dont ce projet serait reçu, quand c’était un site internet les gens trouvaient ça plutôt sympa, ça faisait sourire, c’était quelque chose d’assez éphémère… Et à partir du moment où moi, devenu professeur, je décide de lancer un ouvrage, et de dire aux gens qui ont contribué au site “Voilà, écoutez, peut-être qu’on va en faire un livre”, attention à un moment donné ça veut dire qu’il va y avoir mon nom associé à Harry Potter sur les étals d’une librairie juridique. Et puis je pense que l’équipe de la Gazette qui est entrée dans une librairie juridique au moment de la sortie a pu constater que c’était un ouvrage qui faisait presque tâche, tout violet avec des lettres en or, dans une librairie dans laquelle on a plutôt des côtés rouges, des livres bleus et autres… Et puis en fait on s’est lancés et globalement le projet a été bien reçu. On a pas mal de juristes qui ont suivi en disant “Bah ouais, c’est plutôt cool, on va en parler à nos étudiants”. On a beaucoup d’étudiants en droit qui nous ont dit qu’ils avaient compris certaines règles, certains mécanismes juridiques qu’ils n’arrivaient pas à saisir autrement que par le biais d’Harry Potter, donc c’était un peu notre objectif. Et ce qui nous a vraiment fait plaisir c’est qu’à un moment donné on a même eu un tweet et une publication Facebook du Ministère de la Justice qui a recommandé l’ouvrage, ce qui était vraiment une bonne surprise.
Et donc voilà, on est assez contents que ce projet ait été bien reçu, ce que je tenais toutefois à préciser c’est que même si on a fait preuve d’une grande rigueur dans la préparation de cet ouvrage… Je pense que comme Blandine, comme Gaëtan Boulanger qu’on a rencontré en septembre, il y a eu un travail rigoureux de recherche de la part de chacun des contributeurs, on a relu tous les livres, on a revu les films, on a regardé les sources internet… Et concrètement on est partis du principe que ce n’est pas parce que c’est un ouvrage sur Harry Potter qu’on oubliait qu’on était des juristes, des universitaires, des avocats, des magistrats et même une gendarme qui a participé à l’ouvrage. Et donc concrètement on s’est contraints à respecter les canons attendus de notre discipline en se disant : comme on fait bouquin sur le droit et Harry Potter, on doit être encore plus rigoureux ou exigeants qu’on le serait sur un ouvrage qui serait beaucoup plus classique. Et voilà, je pense que c’est quelque chose qu’il est important de préciser. Pour autant, et mes étudiants pourront en témoigner, Harry Potter n’est pas un outil d’enseignement, contrairement à Blandine. C’est vrai que je n’ai pas eu l’occasion, j’ai pas forcément cherché à utiliser Harry Potter dans les enseignements même si parfois je me fends peut être d’une blague ou deux sur le sujet.
Donc voilà pour cette petite présentation que je voulais faire, j’espère ne pas avoir été trop long, et puis je suis vraiment très content d’avoir l’occasion d’échanger avec vous tous, Alix, Marjolaine je vous passe la parole.
M : Merci beaucoup. Déjà on invite du coup tout le monde à utiliser le chat, surtout n’hésitez pas à poser toutes les questions qui vous passent par la tête. Nous on en a préparé pas mal donc pas de problème ! Mais l’avantage aussi d’avoir ce format là par rapport à nos podcasts habituellement, c’est qu’on a un public qui peut poser des questions donc c’est super ! Alix va garder un œil sur le chat mais va aussi intervenir pour compléter les questions qu’on a préparées ensemble.
Alors déjà pour replacer, on l’a déjà dit un peu en introduction, Alix et moi avons des formations universitaires aussi, dans des secteurs différents, mais là c’est vraiment en tant que fans curieuses et passionnées qu’on analyse Harry potter et qu’on anime ASPIC qui nous donne l’occasion de rencontrer des universitaires qui croisent leurs spécialités avec la saga. Et du coup là on a déjà plus d’une vingtaine d’épisodes de sortis et ça nous a permis de commencer à comprendre comment les démarches de fans et les démarches d’universitaires peuvent se croiser donc c’est un peu notre fil dans notre discussion je pense. Et je voulais déjà commencer par une question, c’est un peu quelque chose de récurrent dans nos discussions avec les universitaires puisque j’ai l’impression qu’un des débats qui fait se croiser souvent les fans d’Harry Potter et les universitaires c’est la question du canon, du corpus : qu’est-ce qu’on utilise dans tout cet univers Harry Potter, ce monde magique, qu’est-ce qu’on considère. Justement, Valère tu parlais d’essayer d’étudier un monde cohérent mais plus le monde s’étend plus il y a des risques d’incohérences. Avant de parler de cet univers qui s’étend, je voulais déjà revenir sur : qu’est-ce que vous prenez en compte, l’une et l’autre, dans votre démarche ? Est-ce que c’est que les livres ? Je sais que Blandine toi tu utilises un corpus très très large, tu utilises beaucoup de choses hors des livres mêmes… Et là ça rejoint les débats sur : qu’est-ce qui est canonique ? il y a l’école de « C’est que les 7 livres et rien d’autre », d’autres qui disent « Bon alors les films c’est peut-être un canon qui se complète, qui est à part », et puis d’autres qui disent « Tout ce qui sort de la bouche de l’auteure est canonique », et d’autres qui disent « Maintenant c’est plus possible de dire ça » donc voilà faut ouvrir cette question sur le canon. Dans une démarche universitaire on veut quand même étudier un ensemble cohérent, qu’est-ce qu’on utilise ?
B : Alors je peux peut-être prendre la parole si tu permets Valère. Moi je me suis évidemment beaucoup posé la question et j’ai choisi une voie moyenne c’est-à-dire que je pars du principe que ce qui est canonique c’est ce qui est de la main de J.K Rowling, ce qu’elle écrit. Donc ça m’a conduite évidemment à étudier tous les tomes, les sept tomes, mais aussi la bibliothèque de Poudlard, c’est-à-dire des livres publiés. Donc “Le Quidditch à Travers les Âges”, “Les animaux Fantastiques” et “Les Contes de Beedle le Barde”, d’autant que pour le coup c’est vraiment en totale cohérence, ce sont des titres qui sont cités dans la saga, donc c’est écrit en totale cohérence avec les livres. Et puis je me suis aussi intéressée à toutes les informations qu’elle donnait sur le site Pottermore, c’est-à-dire des prolongements biographiques et des renseignements supplémentaires sur tous les personnages du canon. En revanche, lorsque j’avais affaire à des personnages qui étaient cités dans les écrits annexes mais pas les écrits publiés, je les fait apparaître dans l’encyclopédie avec des entrées en minuscule. Ce qui permet de mon point de vue de hiérarchiser quand même. Pour moi il y a le canon qui correspond à ce qui est publié, et ensuite il y a ce qu’écrit J.K Rowling. Et puis je me suis quand même intéressée aux produits dérivés parce qu’ils sont développés en totale cohérence avec le système qu’elle a mis en place et je sais qu’elle garde un oeil, notamment lorsqu’il s’agit d’inventer des nouveaux sorts, des nouvelles formules…etc. Donc je trouve que c’était intéressant de s’y intéresser, mais pour moi c’est en petites capitales donc ça ne fait pas partie du canon, de l’œuvre proprement dite. Et puis il y a la question des Animaux Fantastiques. J’ai considéré que comme les films n’étaient pas clos, moi j’attends que tout soit terminé avant de voir s’il y a une cohérence que je juge suffisante pour éventuellement intégrer ça dans l’encyclopédie. Pour l’instant on en a beaucoup parlé avec Valère, t’auras sans doute des choses à dire, je suis pas tout à fait convaincue. Mais surtout je considère que c’est pas une œuvre close, c’est une œuvre en devenir donc j’attends la fin pour voir ce qu’il en sera. Si la fin arrive, parce que là vous avez vu que le rythme s’essouffle, là je crois que c’est en 2022 qu’on va avoir droit au troisième film… Mais bon, est-ce qu’on va arriver jusqu’au bout ? Je n’en sais rien.
V : Oui la question des sources, c’est là qu’on reconnaît notre côté académique. On s’est posé beaucoup de questions de méthode avant de commencer à travailler sur nos ouvrages respectifs. On a eu une véritable discussion avec Nicolas, on a eu beaucoup d’échanges téléphoniques, mails. Sur le site internet on était restés sur une démarche assez simple consistant à citer, à effectuer des renvois aux films ou aux livres. On considérait que le livre faisait foi mais que les films faisaient partie d’un ensemble cohérent, supervisé par J.K Rowling. Et les choses étaient relativement simples, un système de citations qui permettait au lecteur de savoir si on s’appuyait plutôt sur le film, plutôt sur les livres.
Avec le livre, on s’est véritablement posé la question des sources pertinentes. On a considéré après discussion que, évidemment, les livres et les films relevaient du canon. On s’est appuyés comme Blandine sur des sources quasiment estampillées J.K Rowling donc Pottermore, “Le Quidditch à Travers les Âges”, “Les Animaux Fantastiques” version livre… Et le problème s’est effectivement posé des Animaux Fantastiques. Bon c’est peut être le côté un peu puriste, moi j’ai grandi avec Harry Potter donc en gros pour moi c’est vrai que la référence ce sont les livres. Et puis au niveau des Animaux Fantastiques on a eu véritablement un doute pour une raison simple, c’est qu’il y a des considérations juridiques qui sont développées dans les Animaux Fantastiques, premier film notamment sur l’existence d’un congrès, le MACUSA, les Etats-Unis, sur l’existence d’un mécanisme de coopération internationale entre les forces de l’ordre magiques, si vous me permettez l’expression. Et on s’est dits « Houla, concrètement on a pas assez de recul sur cette nouvelle saga pour la considérer comme une source pour nos travaux”. Beaucoup de nos auteurs étaient un peu inquiets, ils nous on dit « Est-ce qu’on est censés en tenir compte ? ». Certains nous on dit très honnêtement “Bah voilà, moi j’ai lu les livres mais j’ai pas envie d’intégrer les Animaux Fantastiques”. On a vraiment eu ces échanges là et on a décidé de ne pas intégrer les Animaux Fantastiques, ce qu’on ne regrette absolument pas depuis qu’on a vu le deuxième film.
Et voilà, je pense que ça fait aussi partie d’une démarche de gens qui sont un peu rigoureux scientifiquement de se dire “Bah voilà, quelle est notre base, quelle est notre méthodologie ?”. Et donc on s’est dit “On va se limiter à ce qui nous permet d’ébaucher et de définir une réflexion cohérente”. Et donc voilà, on a pas voulu prendre le risque de dynamiter de l’intérieur nos réflexions en utilisant des sources dont la pertinence dans la saga Harry Potter, dans l’univers qui a été créé par J.K Rowling, est très très discuté. Là je pense que Marjolaine, Alix vous êtes mieux placées que nous pour nous donner un aperçu des débats très animés que ça peut susciter. Et puis je pense que c’est une question qui se pose pour toutes les œuvres dès lors qu’il y a un remake une suite… Ça ne se limite pas à Harry Potter.
M : Mais c’est vrai que… si on reparle un peu des parallèles entre fans et chercheurs, universitaires, on sait que dans la démarche d’analyse il y a eu pendant la publication des livres et maintenant à nouveau avec les Animaux Fantastiques toute la démarche d’analyse des fans qui vise à analyser tous les indices qu’on a maintenant pour essayer d’anticiper ce qui va arriver après. Et donc j’imagine que d’un point de vue universitaire c’est pas forcément la même démarche qu’on peut avoir, mais en même temps on a commencé à avoir des analyses universitaires alors que les derniers livres n’étaient pas sortis. Mais j’ai l’impression que ça a quand même explosé après 2007, après que le dernier tome est sorti, même si ça a commencé dès le début des années 2000. Et du coup j’ai l’impression qu’il y a deux positionnements un peu différents là de se dire « On attend que ce soit fini pour l’analyser comme quelque chose de potentiellement cohérent ou pas, on verra ».
Moi je tiens à glisser quand même que je suis une grande défenseuse des Animaux Fantastiques, j’adore cette saga et j’ai énormément d’espoir pour la suite donc voilà, je tenais quand même à défendre cette saga. Et notamment pour les thématiques que ça aborde, on parlait des références historiques, du juridique, je sais pas je m’y connais pas assez mais en tout cas au niveau morale aussi, philosophie morale… Et du coup j’ai beaucoup d’espoir que ça va susciter des analyses aussi intéressantes. Mais je veux poser la question, peut-être par rapport à d’autres univers de fiction, comment on se positionne en tant que chercheur, fan maintenant aussi, les deux on se pose les mêmes questions, dans un univers en extension en fait où il y a aussi maintenant des auteurs différents ? J.K Rowling est toujours très présente mais on sait qu’elle n’est pas la seule, elle sera de moins en moins la seule à écrire les Animaux Fantastiques. Ily a déjà du contenu au niveau des jeux-vidéos mais v a y avoir de plus en plus de contenus qui se déroulent dans cet univers donc qui doivent être cohérents avec le reste mais qui sont écrits par d’autres personnes.
A : Par exemple, la pièce de théâtre, on sait qu’ils sont trois auteurs, ils ont été trois à travailler dessus, et puis après les comédiens apportent aussi leur propre interprétation, vont improviser… On est plus dans le cas d’un moteur unique qui domine.
M : Du coup c’est vrai qu’en préparant, moi tout de suite, je pense à Star Wars où c’est une autre franchise que j’apprécie énormément notamment pour le côté foisonnant de plein de façons de raconter des histoires différentes, de choses qui s’agglomèrent, qui explorent plein de pistes…etc. Au-delà des films hein, je parlais série, animes, série-live maintenant, les bd, les romans… Je me demande du coup : comment on se place en tant que chercheur ? Est-ce que c’est quelque chose de foncièrement différent d’étudier un roman ou une série de romans clos ou d’étudier quelque chose qui a plusieurs auteurs, qui part dans plein de directions différentes… ?
A : Et dont on ne voit pas la fin aussi.
M : Qui n’aura pas de fin a priori.
B : Moi je veux bien donner un élément de réponse. Moi le fait qu’il y ait plusieurs auteurs n’est pas quelque chose qui me gêne en soi, en revanche je pense que c’est la cohérence en fait qui fait… C’est aussi pour ça que j’ai actuellement une réserve à l’égard des Animaux Fantastiques, des films, c’est qu’on sait que J.K Rowling, avant de commencer à écrire la saga, elle a passé des années à construire son univers, à bâtir un plan, et qu’elle allait dans une direction très précise quand elle a écrit la première du tome 1. En gros elle savait, j’en ai même des preuves à travers les noms qu’elle a choisis pour les personnages, elle savait comment ça allait finir. Son univers était bâti de façon cohérente. Je crois que les Animaux Fantastiques, elle ne sait pas exactement où elle va, en tout cas on sent qu’il y a quand même un peu de mou dans la corde à nœuds. Et puis en plus on est typiquement dans un médium, le cinéma, où il y a tellement de considérations, d’argent, de temporalité, le format d’un film qui doit pas excéder, en gros, 2h30 maximum, fait qu’il y a tellement de contraintes que je pense que la cohérence reste un pari. Donc je suis pas sûre que quand les cinq films seront terminés, on sera face à une œuvre cohérente. Et moi c’est uniquement ça qui est ma pierre de touche, c’est à dire que si quand la série est finie on sent qu’il y a vraiment quelque chose de pensé, que certains éléments du deuxième film annoncent des choses qui seront dans le cinquième…etc, j’y vais à fond. Mais je crains qu’on s’achemine vers quelque chose qui est comme une hydre qui s’étend dans tous les sens et qui finit par se diluer un petit peu comme Star Wars depuis qu’ils sont en train d’exploiter la franchise, ça devient un peu n’importe quoi.
M : Je ne suis pas d’accord !
V : C’est vrai que Star Wars c’est un bon exemple. Il y a plein d’univers qui ont échappé à leur créateur et qui sont en train de se transformer en de véritables écosystèmes. Peut être que Péran Plouhinec et Quentin Le Pluard qui ont travaillé respectivement sur Game of Thrones et sur Star Wars voudront en dire un mot tout à l’heure, sur la méthode qu’ils ont décidé de suivre. En gros à un moment donné on se demande si on a pas affaire à de la fanfiction, c’est-à-dire que la seule différence entre ce qu’on pourrait qualifier de fanfiction et puis ce qu’on appelle l’univers étendu, c’est peut être la validation octroyée soit par l’auteur soit par les studios, soit par la maison d’édition. Par certains aspects, les Animaux Fantastiques commence à ressembler à une très bonne fanfiction, bien menée, avec des personnages qui s’intègrent dans la mythologie potterienne, mais il est vrai que pour réaliser un produit fini, un objet fini, un ouvrage, qui reste quand même un outil d’étude, il est difficile de s’appuyer sur un processus qui est manifestement en cours. Je dis pas qu’une fois que le cinquième film sera sorti on va pas faire une deuxième édition du “Droit dans la saga Harry Potter” – est-ce qu’on l’appellera toujours le droit dans la saga Harry Potter ? Faudra en discuter avec Nicolas.
Mais encore une fois comme le disait Blandine, à condition qu’on constate que ce qui a été construit patiemment pendant cinq ans finit par trouver une forme de cohérence, en gros que malgré certaines distorsions entre la saga d’origine et cette nouvelle saga, on a une trame qui semble tenir la route. Pour l’instant je suis pas sûr que ce soit si évident que ça. Je prendrais simplement l’exemple de Nagini : l’apparition de Nagini dans les Animaux Fantastiques a suscité sur Twitter des levées de bouclier. Je suis plus trop dans la communauté de fans mais de temps en temps je regarde un peu par curiosité et c’est vrai qu’on se dit « Houla, on va avoir encore d’autres surprises comme ça donc on va peut-être pas s’appuyer sur ces sources et puis on verra dans quelques années si on peut en faire quelque chose ». Mais pour l’instant ça inspire pas forcément confiance en terme de cohérence, et j’insiste vraiment sur la cohérence.
A : Et c’est vrai que je repensais à ce que Blandine disait sur le fait que sur un film il y a beaucoup de questions de budget et de technique…etc. Et c’est vrai que dans ce deuxième film il y a un exemple, je pense, qui est très parlant, c’est que on a ce moment qui apparaît, qui fait beaucoup scandale où on voit des personnes transplaner dans l’intérieur de Poudlard alors que c’est techniquement impossible. Et en fait si on regarde le livre scénario du film, c’est pas écrit qu’ils transplantent, ils disent juste qu’ils marchent dans Poudlard. Et en fait c’est un choix de la réalisation de dire « Bah il faut quelque chose de visuel, qui accroche donc ils vont transplaner plutôt que juste marcher ». Mais du coup au dépends d’une règle de magie, de fonctionnement de l’univers qui a été établie à l’origine dans les livres, et donc c’est vrai que du coup il y a ce choix-là qui est fait qui n’est pas cohérent avec l’oeuvre d’origine et par rapport aux règles de l’univers en lui-même.
B : Oui alors après il y a aussi le fait qu’elle a été obligée, J.K Rowling, de modifier le canon pour pouvoir intégrer certains éléments. Elle a vieilli McGonagall qui apparait comme une jeune femme dans les Animaux Fantastiques, ce qui n’est pas cohérent avec la chornologie des romans. Et donc ça fait toujours, moi je trouve, un petit pincement au coeur quand on est obligé de détruire, d’abîmer un peu ce qui a été fait dans un premier ensemble qui est brillant de cohérence et de qualité pour arriver à récupérer des éléments dans une série de films qui, malgré tout reste quand même je trouve un petit peu en-deçà – c’est pas faire insulte à J.K Rowling que de le dire. J’espère qu’il y a aura pas trop d’entorses au canon dans la suite parce qu’à force c’est dommage. C’est comme un mauvais… quand on a le deux vous savez, les Bronzés font du Ski, puis les Bronzés font du Ski 2 et que le deuxième est tellement mauvais qu’on en est triste. Sex and the City, le film après la série, on est juste consterné, on préférait que ça n’existe pas. Donc j’espère que c’est pas ça que nous donnera comme impression les Animaux Fantastiques quand la série sera terminée.
M : Alors on a une question dans le chat de Yannis, qui demande : « Est-ce que vous n’avez pas l’impression que Voldemort est une figure de l’hubris ? Si on y pense bien, sa quête de l’immortalité vient de son désir d’être au-dessus du commun des mortels, un petit peu comme le mythe d’Icare. ».
V : C’est pour Blandine !
B : D’ailleurs je connais Yannis. Bah oui effectivement Voldemort c’est dans la saga une incarnation de l’hubris c’est-à-dire de ce désir d’être au-dessus du commun des mortels. Et sa quête d’immortalité, très clairement, fait de lui un peu un double de Sisyphe, le héros qui veut vaincre la mort. Et puis ça fait aussi de lui le double de Prométhée. Prométhée c’est une figure dans la mythologie qui est une figure de bienfaiteur : c’est lui qui offre le feu aux hommes. Mais Prométhée c’est aussi celui qui veut prétendre à des pouvoirs et à des techniques qui normalement devraient rester inaccessibles des hommes, donc c’est une figure hyper ambiguë. Et donc oui, Voldemort c’est une pure incarnation de l’hubris. Et d’aileurs à la fin du roman, vous vous souvenez quand il y a cette scène dans un double de la gare, cet univers tout blanc où Harry se trouve projeté durant coma à la suite de son affrontement Voldemort dans la Forêt Interdte ? Il rencontre le fantôme… ou l’âme de Dumbledore, et puis il voit qu’il y a une espèce de petit personnage tout rabougri, tout souffrant, tout supplicié. Et en fait c’est un avatar de Voldemort, ce qu’il est en train de voir c’est l’âme de Voldemort qui ressemble à une âme de supplicié dans cet au-delà. Et donc Voldemort il est puni de son hubris par cette espèce de dénaturation de son âme, il est assimilé à la fin à un supplicié des Enfers, exactement comme Sisyphe est devenu un supplicié des Enfers. Donc là encore elle joue beaucoup avec les codes mythologiques, J.K Rowling, pour suggérer justement que Voldemort s’est voué à une sorte de damnation dans au-delà infernal parce que justement il a prétendu incarner, il a voulu dépasser en quelque sorte la condition normale de sorcier mortel qu’il est. Très bonne question Yannis !
M : C’est vrai que souvent le personnage de Voldemort inspire vraiment des analyses. Je sais que récemment avec Alix, en ayant suivi la Harry Potter Conference qui est la grande conférence anglophone des chercheurs qui travaillent sur Harry Potter, on a eu vraiment des présentations sur ce que représente Voldemort au niveau de la morale, de la politique…etc. A chaque fois on peut aller plus loin, on peut le réactualiser et ça me fait une super transition vers ma question ! J’ai même pas fait exprès mais ça marche bien avec la suite de la ma question puisque bon… C’est un peu à contre courant de ce qu’on a dit d’un univers qui s’étend, là si on revient vraiment sur la saga des sept tomes, cette oeuvre là qui est finie, c’est quand même une oeuvre qui a déjà vingt ans, en tout cas pour la première partie des livres. Alors je sais que du point de vue des cultures antiques ça semble pas spécialement vieux, mais je pense que vingt ans c’est quand même déjà pas mal pour considérer que c’est quelque chose qui a été produit dans un contexte et qui a été lu pendant vingt ans. Et du coup, au fil des ces vingt ans, le monde a aussi changé, on a pu avoir des lectures différentes. Et du coup, encore une fois une citation qu’Alix avait retenu de la Harry Potter Conference qui était qu’au final, la fiction et le rapport qu’on entretient avec elle nous permet de mesurer à quel point notre monde évolue. Donc de la manière dont on les lit, dont on lit Harry Potter en 2021, ou la manière dont on le lisait en 2001 ou même en 2007, il y a des choses qui changent déjà.
Je voulais déjà poser la question à Valère d’un point de vue justement des institutions politiques et juridiques. Je sais que tout à l’heure tu as parlé de l’état d’urgence, que le fait qu’on l’a vécu nous-mêmes ça nous fait lire différemment. Mais est-ce que t’as d’autres exemples de choses qui, soit sont devenues d’actualité depuis que la saga est sortie, que les livres sont sortis, ou alors des choses que vous avez vu vraiment comme plus symptomatiques de la fin des années 90, début 2000 et qui sont maintenant moins d’actualité ?
V : Alors c’est effectivement une très bonne question. C’est vrai que quand on lit Harry Potter en étant adolescent et puis quand on relit Harry Potter en ayant fait des études de droit international – puisque moi c’est le droit international, mais je suis avant tout juriste, publiciste – on perçoit des choses dont on se demande si elles ne sont pas une critique à peine voilée d’un système politique donné ou de certains faits internationaux. Alors déjà ce qui est certain c’est que la saga Harry Potter est clairement une œuvre du 20ème siècle et qui est le résultat d’un intérêt marqué de J.K Rowling pour l’histoire européenne, l’histoire des démocraties européennes… On sait qu’elle a passé du temps au Portugal, on se pose des questions sur ce qu’Harry Potter peut révéler de son intérêt pour l’histoire du 20ème siècle, on se demande parfois si Voldemort ne serait pas un franciste, ou tout simplement une figure hitlérienne, il y a tout ce discours sur la pureté du sang qui évidemment fait écho à ces périodes… Ily a aussi concrètement une critique des organisations politiques, des systèmes politiques contemporains avec un ministère pléthorique, le Ministère de la Magie qui en réalité est un gouvernement mais avec… On avait fait la liste avec Nicolas et les auteurs : on a des centaines de départements dont on ne sait pas nécessairement à quoi ils servent, dont on se demande s’ils sont particulièrement utiles. Et puis d’ailleurs lorsqu’Harry, Hermione, Ron arrivent au Ministère, ils ont quand même l’impression que ça va dans tous les sens, ont du mal à identifier une forme de rationalité dans la manière dont le monde des sorciers est gouverné. Le Ministre de la Magie est quand même une figure, une personnalité politique particulièrement antipathique qui cède assez rapidement, facilement aux passions populaires, qui essaie de rassurer… en tout cas, qui est souvent dans le déni.
Donc c’est sûr que lorsqu’on regarde toute cette société on se dit « Bon, il y a une critique à peine voilée d’un certain nombre d’organisations politiques, d’un certain nombre de mouvements, d’un certain nombre de courants ». Et sur ce point-là, il y a pas de doute. Il y a aussi quelque chose d’assez intéressant, un exemple qu’on a peut-être mentionné dans le livre, c’est que les sorciers ont l’air d’être un peu plus évolués que nous du point de vue de la coopération internationale. Parce qu’on apprend que la Confédération Internationale des Sorciers existait bien des siècles avant que l’organisation des Nations Unies ait été créée, c’est-à-dire après la Seconde Guerre mondiale. Et J.K Rowling avait répondu à une question sur Twitter il y a quelques années, on lui demandait si la Confédération Internationale des Sorciers était inspirée des Nations Unies et elle avait répondu assez naturellement : « Oui oui, la différence c’est que les sorciers l’ont créée beaucoup plus tôt ». Donc il est vrai que J.K Rowling, outre l’inpiration et tous les éléments qu’elle a pu tirer de la mythologie – ce que Blandine explique beauocup mieux que moi – est aussi une femme du 20ème sècle et manifestement quelqu’un qui a été intéressé par l’histoire contemporaine et par un certain nombre de faits qui ont affecté nos sociétés.
Alors pour répondre à la deuxième partie de la question, est-ce que certaines choses qu’on lit ou qu’on voit dans Harry Potter se sont produites d’une manière ou d’une autre après sa publication ? Harry Potter, je rappelle, est censé se dérouler dans les années 90. Je trouve que les derniers tomes avec la situation de l’état d’urgence et les mesures liberticides qui sont présentées dans les derniers tomes – limitation des déplacements, utilisation de tous les moyens de renseignement, nécessité de justifier de sa présence, un système d’alarmes qui est placé à Pré-Au-Lard pour vérifier que personne ne transplane… On lit ça au début des années 200 on se dit « Bon c’est quand même un peu abusif », on arrive en 2015, instauration de l’état d’urgence en France, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, on se dit « Ah oui tient quand même, limitation de l’accès à certains bâtiments, pouvoir étendu de cretaines administrations, de certaines autorités que ce soit en France ou même dans d’autres pays pour surveiller certaines communications… ». Et donc on se dit « Ah tiens finalement l’état d’urgence c’est pas une spécificité du monde d’Harry Potter, c’est un mécanise d’exception qui peut être mis en place dans n’importe quel système politique lorsqu’une menace caractérisée, donc le terrorisme, crise sanitaire… – on est dans une forme d’état d’urgence sanitaire – lorsqu’une crise, ou en tout cas une menace, représente un danger pour les institutions pour la stabilité d’un état et pour la population ». Donc c’est vrai que lire Harry Potter en 2020 ça fait quand même réfléchir. On se dit qu’il y a peut-être des phénomènes qui se répètent et moi j’en suis convaincu, je sais pas ce que vous en pensez mais moi je suis convaincu que J.K Rowling a créé cet univers en s’inspirant de différents systèmes politiques européens pour l’essentiel – les britanniques bien sûr, mais pas que. On reconnaît des éléments du Portugal, de l’Espagne… J’espère avoir répondu à la question !
M : Oui totalement. Et pour rebondir avec Blandine, parce que tout à l’heure tu disais qu’il y a aussi cette tentative de créer une culture sorcière cohérente et qui est notamment beaucoup d’inspiration dans la mythologie gréco-latine. En fait c’est assez étrange cette culture sorcière parce que d’un côté elle est en avance sur certains points dans le déroulement historique, de l’histoire de l’europe par exemple, et dans d’autres elle est archaïque sur certaines… Dans son attachement au latin, et qui rappelle plus le Moyen-Âge peut-être, ou certaines périodes de la fin du Moyen-Âge ou de la Renaissance, avec l’école, la manière dont fonctionne Poudlard… Donc on a une espèce de mélange de références plus anciennes et d’analyses contemporaines et d’incorporation d’analyses contemporaines de politique, etc. Du coup je me demande si c’est ce mélange là qui permet aussi de rendre ça un petit peu plus intemporel, en tout cas un peu moins daté au moment où ça a été écrit au final.
B : Oui je crois que c’est ça qui est assez génial et qui fait que Harry Potter a vraiment tout pour devenir un classique, c’est que la société des sorciers elle se développe en dehors de ce que les moldus appellent le progrès c’est-à-dire qu’ils n’utilisent pas l’électricité, ils ne savent pas utiliser la technologie… Donc il y a un côté un petit peu hors du temps et c’est quelque chose que j’ai trouvé assez réussi dans les adaptations cinématographiques, c’est la mode chez les sorciers. C’est à dire qu’ils sont pas à la mode des années 90 dans lesquelles c’est censé se dérouler, ils sont un petit peu décalés.
Et pour en revenir à la rencontre entre Harry Potter et le monde moderne, en fait ce qui est assez intéressant… Je suis en train de me pencher un petit peu là-dessus parce que j’ai ce projet dont je vous avais parlé d’écrire un livre sur la monstruosité dans Harry Potter. En fait ce qui est intéressant c’est que tout le système de la mythologie gréco-romaine s’adapte particulièrement bien à un thème qui est central dans la saga Harry Potter qui est la transposition de toute la montée du nazisme, le racisme, la persécution des juifs…etc, toutes ces questions raciales qui ont mené à la deuxième guerre mondiale et qui sont actuellement réactivés par la montée de nationalismes en Europe, et puis toute la question raciale aux Etats-Unis. Enfin voilà, c’est une question qui est complètement dans notre monde contemporain. Et ce qui est intéressant c’est que tout le système mythologique hérité de l’antiquité permet à J.K Rowling de replacer cette question au cœur de sa saga. Parce qu’on a une classification des êtres, on a toute la question du statut du sang dans le monde sorcier, le statut des hybrides, Hagrid c’est un hybride de géant et de sorcier. On a toute la question du droit du sang, des mariages mixtes…etc. Eh bien la présence d’être hybrides comme les centaures à qui on donne un statut juridique particulier au sein du cette société qui est une société de castes et de ségrégation, la question du statut des gobelins, des êtres intelligents, des mariages inter-raciaux, des rapports entre communautés, toutes ces questions sont héritées du monde contemporain et du passé historique récent en Europe. La récupération des êtres mythologiques dont notamment des êtres fantastiques, hybrides…etc permet à J.K Rowling de le développer.
Donc finalement, l’Antiquité se marie très très bien avec le monde contemporain en l’occurrence dans le cadre de sa saga et d’une manière hyper intelligente permet à J.K Rowling de développer des questions politiques qui ont des échos très forts avec notre histoire contemporaine et notre histoire ancienne. Ily a des nazis dans la saga Harry Potter très clairement. Le monument qui dans l’atrium du Ministère de la Magie remplace la fontaine de la fraternité magique, ce monument “La magie est puissance” qui représente des sorciers assis sur des trônes qui sont en fait constitués par des corps nus enchevêtrés de moldus suppliciés, on ne peut ne pas penser à la Shoah, à l’extermination des juifs…etc.
Donc c’est très intéressant là façon dont le monde hors du temps, presque anhistorique, hors du temps et un petit peu archaïque des sorciers rencontre des thèmes brûlants, des thèmes contemporains qui sont brûlants sur le plan politique.
M : Et d’ailleurs je crois que Yannis dans les commentaires a noté un exemple bien précis qui illustre bien ce que disait Valère et Blandine.
A : Oui : « je me rappelle une citation du Ministre de la Magie dans l’Ordre Phénix : ‘Les lois peuvent être changées Dumbledore’, lors du procès de Harry Potter où Dumbledore joue le rôle d’avocat et disait que Harry n’avait pas enfreint la loi ».
V : Ah oui, alors la question de la loi dans Harry Potter et puis de la sécurité juridique, oui effectivement, on pourrait y passer des heures ! Justement l’un des contributeurs s’est intéressé à la question de la justice magique et au côté, pour reprendre les termes de Marjolaine, archaïque du système judiciaire du monde des sorciers. Oui il est sûr que le Magenmagot n’a rien d’un tribunal contemporain, moderne, dans lesquels les droits de l’accusé seraient garantis et dans lequel celui-ci pourrait prétendre à une égalité face… invoquer des droits qui semblent essentiels et indiscutables aujourd’hui. Le procès d’Harry Potter pour l’affaire Little Whinging c’est quand même un non-procès ! Il n’a ni la possibilité de se défendre, ni d’apporter des preuves… La personne qui est censée le représenter, Albus Dumbledore, est manifestement écartée. On lui donne le mauvais horaire pour qu’il ne soit pas en mesure d’assurer la défense d’Harry.
M : Et il n’est pas avocat Dumbledore !
V : Et Dumbledore n’est pas avocat. Toutes ses fonctions lui donnent manifestement le droit de défendre les intérêts d’Harry Potter. Mais oui, c’est sur que mêmes les institutions judiciaires, le Ministère, ont tout d’archaïque. Et là on sent que comme le disait Blandine, on est dans un système qui est hors du temps.
B : J’ai une question, est-ce que c’est une démocratie ? J’ai pas le souvenir qu’on fasse référence à des élections démocratiques.
V : Je crois me souvenir qu’on a eu cette discussion avec Marjolaine et Alix quand on a fait le podcast avec Nicolas, il y a un an ou deux. Ilme semble qu’on était arrivés à la conclusion que le monde sorcier n’était pas nécessairement une démocratie, notamment pour une raison particulière, celle de la désignation du Ministre de la Magie. On a eu beau lire, relire, fouiller – je sais que Nicolas devait travailler sur cette question-là, sur le rôle du Ministère dans nos systèmes politiques – et on n’était pas en mesure de déterminer de quelle façon ce chef d’État était désigné.
A : Il me semble que c’est mentionné, mais vraiment une ligne, qu’il est élu.
M : Et on sait pas par qui !
A : On sait pas par qui, on sait pas si c’est un suffrage direct, indirect, on sait pas qui fait partie des électeurs, quels sont les critères pour être un électeur, on sait pas qui sont les candidats non plus…
V : On ne sait pas s’il y a des partis politiques, en tout cas ils sont jamais mentionnés. Le pluralisme semble assez limité.
M : On sait que Dumbledore a refusé de devenir Ministre, donc s’il a pu refuser c’est qu’on a essayé de le désigner.
A : En tout cas le pousser à être candidat au minimum.
M : C’est quand même une large question. Est-ce que le monde magique est une démocratie ? Je suis toujours tentée de remettre les Animaux Fantastiques dans la discussion parce que j’ai vraiment envie de les défendre mais c’est vrai que de ce qu’on voit de ce qu’y se passe dans les années 20, en tout cas aux Etats-Unis, c’est pareil on peut se poser aussi des questions. On a l’impression qu’ils sont dans un état d’urgence permanent où le Secret Magique est tellement plus important que tout le reste, qui justifie un état un peu totalitaire quand même.
A : Le Secret Magique est vraiment « Vivons heureux, vivons cachés à tout prix », mais du coup le paradoxe fait que c’est « à tout prix » au point de vraiment protéger ça quoi qu’il arrive. Et en fait ça devient une espèce de société de la loi du plus fort où il y a pas d’autre règle que celle de protéger le Secret. Après c’est juste : tout le monde est un peu armé de la même manière avec la magie justement.
B : En revanche y a une chose qui m’a frappée pour les Animaux Fantastiques c’est que c’est censé se passer dans les années 20 et si je me souviens c’est une femme noire qui est ministre.
V : Ça m’avait marqué aussi.
B : Donc il y a quelque chose qui peut paraître paradoxal puisque c’est évidemment en total décalage avec la société américaine de l’époque. Et s’il y a un archaïsme et un fonctionnement un peu bizarre de la démocratie au sein du monde des sorciers, ça n’empêche pas à cette période là des personnes de couleur d’arriver dans hautes sphères de l’Etat. Donc il y a une espèce de truc qui est pas forcément cohérent en tout cas par rapport…
M : Bah c’est cohérent par rapport à ce qu’on sait. On sait que les premières ministres de la magie femmes en Grande-Bretagne arrivaient bien bien avant. C’est comme si, aux Etats-Unis, la ségrégation concernait les sorciers et les moldus et que la question de race elle s’était déplacée sur des choses spécifiques pour les sorciers. C’est souvent ce que dit J.K Rowling, d’ailleurs, quitte à en faire un peu un argument fourre-tout de dire « Oh y a pas de problème d’inégalités de sexe ou de race dans le monde magique parce qu’ils ont ce problème du statut de sang » ce qui est une façon un peu facile de se dire « C’est tolérant ».
V : Les discriminés du monde magique ne sont pas les discriminés du monde des moldus. Manifestement la couleur de peau n’est pas un sujet dans le monde des sorciers mais par contre le fait d’être un Loup-Garou est beaucoup plus problématique.
M : Et tout à l’heure on parlait des procès dans le monde magique, ça me permet d’aborder autre chose qu’on voulait discuter. C’est là où on trouve un peu des parallèles et surtout des croisements entre les fans, les chercheurs, les universitaires, les juristes, les politistes…etc. À travers l’organisation dans notre monde de procès de personnages d’Harry Potter, je sais que ça existe aussi dans d’autres univers, qu’il y a des procès de Dark Vador, ce genre de de choses… Mais en tout cas les procès de personnages de la saga Harry Potter y en a assez souvent. Je sais que Valère t’as gardé un œil dessus. Du point de vue de fan on se dit « Oh bah ça rappelle des choses, des pratiques de fans aussi au niveau du jeu de rôle, peut-être du cosplay, de ce genre de choses » mais c’est aussi quelque chose qui est intéressant du point de vue de ta discipline j’imagine.
V : Oui effectivement j’ai vu un nombre assez important de procès fictifs étant organisés à partir de certains personnages d’Harry Potter, essentiellement Voldemort et Severus Rogue parce que c’est pour eux que c’est le plus facile. Il y a eu peut-être aussi un procès de Dumbledore, à Lyon peut-être. Il y en a plusieurs organisés par certaines universités donc j’ai eu plusieurs invitations. Parfois c’était organisé par des étudiants, parfois par des collègues, c’est assez intéressant. Et souvent les juges, en tout cas le jury était composé – on s’est rencontrés dans ce cadre avec la Gazette, c’était à Sciences Po peut-être – d’universitaires, d’avocats, de magistrats… Donc c’est assez intéressant de voir que des praticiens du droit même très prestigieux n’hésitent pas à se prêter au jeu.
On trouve deux types de procès fictifs. Ily a le procès fictif qui relève plus de la performance théâtrale, c’est-à-dire que lorsque ça commence, tout est déjà joué. Les arguments sont déjà établis, les plaidoiries sont écrites à l’avance donc en gros on sait à peu près comment ça va s’achever. Et puis parfois on laisse un peu plus de place à l’improvisation avec la possibilité soit pour les membres du jury soit pour le public de voter pour déterminer si la personne accusée sera coupable ou non. Et je trouve que c’est assez intéressant parce qu’en principe c’est l’accusé, les avocats et autres, les rôles sont assurés par des étudiants, donc je trouve que c’est assez sympa. Ça leur donne l’occasion de faire preuve d’éloquence et certains sont particulièrement impressionnants parce qu’ils entrent dans les rôles de Harry, de McGonagall, de Dumbledore, de Malefoy… Moi j’étais vraiment impressionné par la qualité de prestations lors du procès fictif qui a été organisé à Sciences Po Paris, vraiment on avait affaire à des acteurs !
Mais parfois ce sont des vrais avocats ou des magistrats qui jouent le jeu, ils endossent pendant une heure le rôle de conseillers sorciers ou de magistrats sorciers et là je trouve ça assez excellent de voir un avocat ou un magistrat célèbre plaider la cause de Voldemort, de Rogue… Alors évidemment ça attire un public particulièrement enthousiaste. On remplit des amphis comme ça ! Je trouve que ça s’est un peu calmé, on a eu vraiment une vague de procès entre 2015 et 2017 et puis tout d’un coup ça s’est calmé. Je pense qu’il y a vraiment eu une hype des procès fictifs et puis là… Y en a un peu moins. Je trouvais l’exercice assez intéressant, faut pas en faire trop souvent parce qu’une fois qu’on a assisté à deux procès de Voldemort, de Rogue on se dit qu’on a fait le tour. Mais je trouve cet exercice vraiment intéressant. C’est vrai que pour des juristes ça permet de pratiquer l’art oratoire et je pense que c’est toujours bienvenu parce qu’on a quand même une formation qui repose beaucoup sur notre capacité de prendre la parole en public. Et le faire avec un chapeau de sorciers, je trouve ça assez drôle !
M : C’est vrai que c’est intéressant parce que ça mêle vraiment l’intérêt pour se former en tant que juriste…etc, mais aussi pour les fans c’est hyper riche parce qu’il y a ce côté immersion qui est beaucoup recherché par les communautés de fans. Ça apporte ça avec le côté “On joue mais on joue sérieusement quoi”.
V : On joue très sérieusement, effectivement. Généralement les arguments qui sont présentés sont de véritables arguments juridiques. Pour le coup il y a une rigueur qui est quand même incontestable.
A : Pour rebondir un peu sur la question des initiatives de fans comme ça et de ce qui se fait autour de la saga, en tant qu’universitaire, en tant que chercheur qui va se pencher sur Harry Potter, comment vous allez appréhender ces créations de fans qui sont très riches, de types très variés aussi ? On va avoir des fanfictions, des fan films, du Wizard Rock donc de la musique, il y a des supports très variés, des comédies musicales… Est-ce que c’est quelque chose que vous écartez systématiquement parce que c’est pas partie du canon ? Quel intérêt ça va avoir pour vous dans un processus de recherche ?
B : Pour moi, la question elle recoupe un petit peu le débat qu’on avait autour des Animaux Fantastiques le film, est-ce qu’on s’y intéresse, est-ce qu’on s’y intéresse pas ? Moi à priori tout m’intéresse potentiellement si c’est un produit de qualité et s’il y a un cohérence manifeste avec la saga. Maintenant c’est tentaculaire donc je ne m’intéresse pas particulièrement aux fanfictions et à tout ce qui se passe autour parce que pour moi ce qui compte c’est quand même le centre névralgique, qui sont les livres, d’où part tout cet enthousiasme. En tout cas, moi personnellement j’ai pas vocation à m’intéresser à tout l’univers proliférant de créations qui naît de l’enthousiasme des fans, c’est pas quelque chose qui fait partie de mes intérêts immédiats. Je ne sais pas Valère…
V : Je pense que c’est un peu la même chose parce que ça peut pas être un outil de travail. Après en tant que juriste je m’y suis intéressé à un moment donné dans la perspective de la préparation d’une conférence de présentation de l’ouvrage. On nous avait dit : est-ce que vous pouvez nous expliquer un peu les problématiques suscitées par les créations de fans ? Alors évidemment ça pose beaucoup de questions : le statut de la fanfiction, la question de la propriété littéraire et artistique… C’est un point qu’on doit quand même oublier, il y a une forme de quérulence très marquée de la part de la Warner Bros. et de la maison d’édition de J.K Rowling.
Évidemment dès lors qu’on regarde les créations de fans, on se pose la question : est-ce que ces personnes ont pu être inquiétées, est-ce qu’il y a eu des poursuites, des menaces, des intimidations…? On sait que de ce point de vue là, il y a eu quand même un certain nombre d’exemples. Ily a des entités, des sites qui sont validés par J.K Rowling et pas la maison de production et d’autres non. C’est drôle parce qu’en fait au moment où vous me posez la question, je pense presque à notre propre statut en tant qu’auteurs ou directeurs d’ouvrages sur une saga comme Harry Potter, parce que d’une certaine manière, on peut considérer qu’on est des fans mais on produit un travail qui est un travail académique, littéraire ou de commentaire, comme vous voulez. Je crois qu’on en avait discuté à la table ronde, question de savoir de quelle manière est-ce que la maison d’édition de J.K Rowling, la Warner Bros. pourrait réagir à l’annonce de la publication de nos ouvrages respectifs.
Nous on a quand même bien verrouillé le terrain dans le format du livre, le format des contributions, dans la longueur des citations… pour être sûrs de pouvoir être qualifiés de travail de commentaire scientifique, d’analyse d’un ouvrage. En gros on n’est pas juste des fans qui sont en train d’écrire “Harry Potter à l’école du droit”, on fait un travail de commentaire et de mise en perspective, et je crois que Blandine t’as eu des difficultés, ou en tout cas des inquiétudes similaires pour expliquer à la maison d’édition de J.K Rowling ce qu’était ton travail.
B : En fait non, j’ai pas eu du tout de mal à les convaincre de l’intérêt de publier mon travail, ils étaient même très enthousiastes. Et en même temps ils étaient terrorisés à l’idée que ça puisse tomber sous le coup de la loi. Ily a eu une étude juridique très sérieuse, on a fait le choix de ne mettre aucune citation tellement ils étaient paranoïaques, alors que comme tu le dis, les citations en deçà d’un certain pourcentage par rapport à l’ensemble c’est tout à fait légal. Apparemment, effectivement la Warner est très agressive et très tatillonne, c’est sûrement à la hauteur de la prolifération d’ouvrages qui sont écrits autour de Harry Potter.
Par exemple à l’origine le titre devait être « Harry Potter et le monde antique » et les juristes de Stock ont dit « Ça pastiche un peu les titres des ouvrages Harry Potter et…” donc on m’a demandé d’inverser. Idem pour la couverture, à l’origine c’était un phénix qui se battait avec un serpent, c’est une couverture qui avait été faite par ma fille qui a fait les illustrations à l’intérieur du livre, et finalement là encore Stock, paranoïaque, a fait changer l’illustration. Et finalement c’est donc un buste romain avec un chapeau de sorcier sur la tête. Mais bon moi j’avais pas du tout peur, je pense qu’à partir du moment où comme tu le dis c’est un travail universitaire d’analyse, les risques étaient nuls en fait. Mais bon.
V : Oui, donc c’est sûr qu’on a fait preuve d’une certaine prudence. Je sais pas si Péran et Quentin sont dans les parages parce que je me posais la question de leur ouvrage sur Game of Thrones, est-ce que vous avez eu des directives particulières de votre éditeur ou est-ce que vous êtes entrés en contact avec les créateurs de la série, ent out cas ceux qui détiennent leurs droits en France pour vous assurer que vous auriez pas de difficultés du point de vue de la publication de cet ouvrage qui est un ouvrage académique mais qui portait sur Game of Thrones qui était quand même une marque particulièrement protégée à l’époque ?
Quentin (Q) : Non, pour le coup on a effectivement pas eu de problème particulier avec Game of Thrones, avec l’éditeur en tout cas, parce que je pense qu’ils n’ont pas cherché du tout à savoir s’il y avait de problème là-dessus. On a utilisé la police sur la couverture, il y a la police officielle de Game of Thrones. On a pas pris d’image officielle du trône de fer, c’est une image sur un site d’image libre de droits qui ressemble un petit peu au trône de fer mais qui n’est pas un vrai trône de fer. Mais je pense que s’ils voulaient on pourrait avoir des ennuis avec ça, mais c’est tellement petit, dans le sens où ça pas vocation à paraître à des milliers d’exemplaires. Je pense pas que l’éditeur ne se fait de cheveux blancs par rapport à ça.
M : Et comment s’appelle votre ouvrage ?
Q : L’ouvrage c’est « Le droit dans Game of Thrones ».
M : OK !
Q : La même chose pour Disney qui est sorti l’année d’après, du « Droit dans Disney », on a une grosse tête de Mickey qui est sur la couverture et la police officielle de Walt Disney sur le titre et pour le coup pareil, l’éditeur a pas tiqué par rapport à ça, ni pour la couverture ni pour la police. Après c’est peut-être parce que ça a moins de retombées, surtout pour Disney, qu’un ouvrage sur Harry Potter effectivement, qui là fait beaucoup de bruit pour le coup.
V : Et la prochaine étape c’est Star Wars.
Q : Exactement !
B : Après ça dépend des éditeurs, je sais pas qui est votre éditeur…
Q : Pour le coup c’est Mare & Martin. Et effectivement je crois que pour le coup ils sont absolument pas…
B : Parce que Stock fait partie du groupe Hachette et le groupe Hachette peut pas se permettre parce que là on sait qu’il y a beaucoup de sous à récupérer en cas de procès, donc c’est aussi que plus on est gros, plus on risque des procès.
Q : Oui tout à fait, c’est peut-être l’avantage de marcher avec un petit éditeur.
M : Quentin je te propose de rester avec nous parce que j’avais une question un peu ouverte et j’espérais que d’autres personnes du public pourraient partager mais c’était : qu’est-ce que vous diriez tous à des étudiants qui auraient envie de se lancer dans des recherches universitaires sur Harry Potter en particulier ou les cultures de l’imaginaire en général ? A quoi on peut s’attendre au niveau, vous l’avez un peu évoqué au tout début de la discussion, de la réception de ce type d’approche, de l’intérêt que ça peut susciter ou au contraire des craintes de ne pas être pris au sérieux ? Je voulais ouvrir vraiment sur : en tant que jeune chercheur ou en tant qu’étudiant qui se disent « Ça serait vraiment un chouette sujet, j’ai des idées », qu’est-ce que vous diriez ?
V : Blandine tu veux y aller ?
B : Moi c’est sûr que je travaille dans un milieu, le milieu des lettres, alors à fortiori les lettres classiques, qui est un milieu très conservateur et qui méprise beaucoup la culture populaire. Donc c’est clair que pour un chercheur, s’intéresser à Harry Potter c’est pas ça qui va booster ma carrière ! il y a une forme de snobisme et de mépris aussi pour ces œuvres de culture populaire. C’est en train de changer, c’est vraiment en train de changer. On a vingt ans de retard sur le monde anglo-saxon, donc là c’est en train de bien évoluer. Mais disons que pour l’instant je pense que c’est encore problématique.
Moi l’encyclopédie je l’ai écrite comme un ouvrage extrêmement sérieux sur le plan académique mais je pense pas que sur le plan de ma carrière ça sera mis à mon crédit. Je m’en fiche, je suis pas là pour capitaliser des points pour monter en grade, et surtout ce qui m’intéresse c’est que le livre soit utilisé beaucoup dans le secondaire notamment pour les cours de latin, et ça c’est une très belle récompense. Mais j’engagerai pas un jeune chercheur à s’intéresser à Harry Potter, je pense que c’est encore un petit peu tôt, en tout cas dans mon domaine à moi, pour que ce soit valorisé sur le plan académique. C’est dommage ! Mais encore dix ans et tout ira bien.
V : De mon point de vue, effectivement, on a constaté une évolution de l’acceptabilité des travaux sur le droit et la culture populaire. Ily a à peu près dix ans c’était totalement irresponsable de travailler sur le cinéma, sur les séries ou autre. Les personnes qui le faisaient étaient considérées comme des clowns et des parias. Et puis à partir du moment où ça a marché pour les premiers – c’est pas forcément venu de la France, c’est venu d’abord des Etats-Unis puis ensuite en Europe ça a commencé à marcher en Belgique – une forme de tolérance s’est développée, et puis même de soutien. A savoir que je peux affirmer qu’une personne qui était particulièrement critique il y a à peu près sept ou huit ans de ce type d’études a été force de proposition sur une thématique de ce type un peu plus récemment. Donc on voit que les gens ont la mémoire courte !
Donc ce que je dirais aux jeunes chercheurs, aux étudiants qui s’intéressent à ces questions là c’est : ça peut être un élément de construction d’un parcours intellectuel. Moi quand je travaille sur Harry Potter, sur Kaamelott ou sur autre chose, quand je raisonne sur ces œuvres de fictions je raisonne sur le droit, sur les institutions donc ça me permet de réfléchir et de me construire en tant qu’enseignant-chercheur. Mais il est certain que c’est pas ce qui sera mis à mon crédit, au crédit de mon parcours, de ma montée en grade comme le disait tout à l’heure Blandine. Et il faut faire des choses… J’ai envie de dire de façon très pragmatique, pour une étude sur la culture populaire, il faut avoir dans son CV quatre études, quatre travaux qui sont vraiment dans les clous, sur notre objet d’étude. Ilfaut pas qu’à un moment donné droit et culture populaire ou lettres et culture populaire soient l’élément dominant du CV. Parce que l’idée c’est quand même on est dans un domaine où il est difficile en ce moment d’obtenir des postes de titulaires et je pense qu’il faut mettre toutes les chances de son côté, donc voilà, c’est bien de s’y intéresser, il faut en faire, mais moi j’ai commencé à me sentir vraiment libre de travailler sur ces thématiques-là une fois que j’ai eu plus sécurisé mon poste. Et je me suis dit « Bon, concrètement c’est pas quelque chose qui va se retourner contre moi ». Et par ailleurs je suis considéré comme quelqu’un qui travaille sérieusement sur la thématique du droit international donc je peux me permettre de temps en temps de travailler sur Harry Potter, Game of Thrones, Disney ou d’autres thématiques. Avec parcimonie, pour résumer !
M : Quentin et Péran on voit que ça y est, vous avez tous les deux vos micros activés, on aimerait bien vos témoignages !
Q : Monsieur Plouhinec, tu veux commencer ?
Péran (P) : Pour ma part je suis tout à fait d’accord avec ce qui vient d’être dit. J’imagine que les lettres sont conservatrices et que le droit l’est sans doute tout autant. C’est vrai qu’effectivement je pense qu’il y a encore un certain nombre de personnes, peut-être, qui sont plus traditionalistes des choses et pour ce genre de démarches, le droit et la culture populaire, c’est pas forcément dans les canons de la recherche universitaire. Du coup ça peut créer une certaine distance, un regard un petit peu suspect de la part d’un certain nombre de personnes dans la recherche universitaire. Mais je pense aussi effectivement que les choses vont évoluer mais qu’en tout état de cause que ça ne constitue pas, et je suis pas sûr que ça puisse dans un proche avenir, un thème essentiel d’une recherche. C’est des activités plutôt complémentaires avec notre recherche mais qui a quand même beaucoup d’intérêt.
Et si justement on parle de jeunes recherches ou d’étudiants, je pense que c’est intéressant dans le sens où ça permet de mettre en perspective beaucoup de choses. Et finalement comme tout ce qui est de la comparaison, par exemple le droit entre les différents pays…etc, aussi comparer avec des systèmes juridiques de fiction ça implique de se poser d’autres questions, de regarder d’un oeil très extérieur sur ce que l’on fait en France ou dans d’autres pays. Donc ça je trouve que c’est très intéressant et ça permet d’avoir d’autres angles d’approche. Il faut s’y intéresser, finalement je pense, mais ça ne peut pas constituer l’essentiel d’un travail de recherche, ce qui en un sens peut être dommage…
Q : Pour le coup je suis tout à fait d’accord avec ce que Péran vient de dire. D’autre part ça permet d’avoir un point de comparaison, quelque chose de commun avec le public auquel on va s’adresser. Notamment avec nos étudiants, moi en droit des successions l’exemple d’Harry Potter ça me permet de leur apprendre des choses de manière un peu plus intéressante, un peu plus amusante… De se pencher sur le cas de la succession de la maison de Sirius Black dans Harry Potter ça permet de leur donner : qu’est-ce qui se serait passé si on avait regardé ça avec le regard du droit français ? Ça permet de l’appréhender de cette manière. Et donc d’avoir un point commun pour parler d’une chose un peu moins rigolote, un peu plus austère, mais qui constitue notre fond de commerce, à savoir le droit et ici le droit des successions. Donc ça permet… pas de s’abaisser mais de parler la même langue, d’avoir un élément commun pour travailler le droit, et j’imagine que pour les lettres c’est la même chose, d’avoir des éléments communs pour travailler une matière un peu plus austère.
V : Et si je peux me permettre peut être une perspective plus optimiste, je ne sais pas de ton côté Blandine mais le travail sur des fictions ces dernières années a quand même permis de placer l’université sur la carte, l’université avec un petit u et un grand U.
Je m’explique. Outre le fait que nos ouvrage ou nos sites internet aient pu être lus par des personnes qui n’étaient pas du tout des étudiants en droit ou même des juristes, je trouvais ça vraiment génial dans la perspective de conférences, de procès fictifs et autre, de voir des personnes qui ne sont pas du milieu de l’université, qui ne sont pas étudiants en droit, s’intéresser à ce qui se passe dans la fac de droit, dans la fac de sciences politiques… Et se dire « Ah bah tiens, finalement on vous imaginait comme des personnes un peu déconnectées ». L’universitaire est souvent perçu comme quelqu’un d’assez austère, pas forcément très drôle, en gros il y a des lectures autorisées et d’autres qui ne le sont pas, on ne va au cinéma que pour regarder de l’art et essai… Bah non, ce n’est pas la réalité. Je peux lire de la philosophie le samedi matin et puis le dimanche après-midi lire une bande-dessinée. Et c’est toujours agréable de rencontrer des personnes qui ne sont pas issues de la sphère du droit qui viennent assister à ces conférences et qui nous disent à la fin « Merci beaucoup parce que vous m’avez un peu réconcilié avec les juristes, j’aimais pas les juristes et en fait je me suis rendu compte que vous êtes des gens beaucoup plus drôles ou progressistes que je l’imaginais » et donc si ça peut contribuer à ça c’est déjà une petite victoire et ça relativise tout le reste.
B : Je partage complètement ton point de vue. Moi en plus je suis dans une situation qui fait qu’en fait ce livre je l’ai vraiment écrit en tant qu’enseignante de latin et grec – en tout cas j’ai cette formation – et fan de Harry Potter. Et en fait ce qui m’a plu c’est de lui donner cette forme d’Encyclopédie, parce que justement je me suis dit « Vu ma démarche c’est possible de fragmenter ça en articles” avec cette idée que ça allait pouvoir être accessible de manière plus facile, plus ludique et plus libre de la part du public. Donc j’avais vraiment cette idée d’agencer un savoir universitaire et des analyses mais d’une manière à rendre la chose accessible. Parce que je pense que c’est aussi ça dont souffrent nos disciplines, c’est qu’il y a beaucoup de richesses à l’université mais que les universitaires sont pas des bons vendeurs. C’est à dire que c’est vrai que il y a cette incapacité parfois à donner à ce qu’ils ont à proposer une forme attrayante, une forme “consommable” – je mets de guillemets – une forme qui soit facilement accessible par un public qui serait assez désireux de s’intéresser à tout un tas de sujet mais qui est souvent découragé par la forme que prennent nos présentations.
Et donc je pense qu’effectivement s’intéresser à des œuvres de culture populaire c’est en quelque sorte donner un formidable carburant à tout ce qu’on a à offrir en termes de richesse intellectuelle et arriver à faire passer ça plus facilement. Clairement vous écrivez un livre sur Harry Potter, il y a potentiellement des milliers de gens que ça peut intéresser. Et ça c’est chouette pour arriver à véhiculer des tas de choses qu’on a à faire connaître sur nos disciplines.
Et puis je finirai en prêchant pour ma paroisse c’est à dire que je pense qu’en l’occurrence, comme Harry Potter c’est vraiment écrit avec des codes, que derrière certains personnages il y a le personnage antique à qui le nom fait référence, je pense que vraiment en connaissant tout ce fond de référence, on enrichit aussi sa lecture de l’oeuvre, c’est indéniable. Donc voilà, je sais plus par où j’ai commencé ! Mais je pense que s ‘intéresser à la culture populaire c’est une manière pour nous, universitaires, de commencer un petit chemin avec un public plus large, et ça c’est aussi agréable pour nous que, je pense, intéressant pour le public.
M : C’est vrai que je pense qu’il y a un gros enjeu pour l’université de sortir des murs de l’université aussi. Et du coup ce type de sujet ça permet de faire des passerelles. Avec ASPIC on essaie de le faire, et là je profite de vous avoir tous les deux, on a eu beaucoup de retours de lecteurs de la Gazette qui ont lu vos ouvrages, qui sont pas forcément spécialistes de droit ou de lettres classiques et ça leur permet de lire ce type de travaux donc c’est quand même intéressant !
Et je voulais aussi être un peu optimiste ! Même si je pense qu’ils sont un peu isolés, il y a des chercheurs titulaires qui font de leur sujet principal les cultures populaires ou la littérature fantasy. Peut-être qu’Anne Besson est encore un peu isolée mais quand même elle est une bonne figure de proue au niveau de la littérature pour ces questions-là, et du coup elle encourage beaucoup d’étudiants à poursuivre ce type de recherches. On a David Perron en sociologie, sciences de la communication. Du coup peut-être qu’en sciences sociales ce type de sujets peuvent réussir à être portés plus facilement que dans d’autres domaines. Ils existent mais c’est vrai que peut-être qu’ils sont encore un peu… Et du coup c’est des figures qui sortent aussi de l’université comme vous le faites, en étant beaucoup en contact avec des publics non académiques, non universitaires. Donc c’est vrai que ça change un peu aussi la figure de l’universitaire.
A : Pour continuer sur l’optimisme, on peut quand même dire qu’on parlait de la conférence Harry Potter qui avait eu lieu en virtuel du Texas à l’automne dernier, y avait plusieurs dizaines d’intervenants de disciplines extrêmement variées y compris en sciences dures, en chimie, en génétique…etc. Et du coup j’espère voir… Parce qu’en France c’est encore beaucoup centré sur les sciences sociales et donc peut-être que petit à petit on va avoir cette influence américaine avec des dizaines et des dizaines de chercheurs qui se relaient et qui pourront venir, et que cet attrait au niveau des sciences dures pourra aussi prendre en France et en Europe. Ça serait intéressant de voir ça !
M : On a eu plusieurs nouvelles questions de Yannis dans le chat et je pense qu’on va pouvoir prendre une dernière question avant de conclure. Donc si vous avez une dernière question à mettre, c’est maintenant, avant qu’on passe à la conclusion !
A : Question pour Mme.Le Callet : « Le serpent python dans la mythologie et sa mort au main d’Apollon ont-ils un lien, même lointain, avec l’épisode où Harry tue le Basilic dans la Chambre des Secrets ou pas ? Nagini a aussi un lien avec le mythe du serpent python ? ».
B : Oui, évidemment, le Basilic c’est une espèce d’avatar des dragons de la mythologie gréco-romaine. Alors les dragons de la mythologie gréco-romaine c’est pas les dragons médiévaux, c’est juste des serpents géants. Donc en l’occurrence le Basilic c’est une espèce de mélange entre Méduse la Gorgone en ce qu’il a le regard pétrifiant, et puis le serpent géant. Effectivement dans la mythologie on a plusieurs mythes de l’affrontement d’un héros avec un serpent. On a Héraclès avec le serpent qui garde l’arbre où sont suspendues les pommes d’or, et on a évidemment Apollon et le serpent python. Et donc Harry Potter dans la saga il incarne plusieurs héros mythologiques tour à tour, mais notamment Apollon, qui en plus est un dieu de lumière et d’harmonie. Et donc on voit bien en quoi Harry peut être un double d’Appolon. Parce qu’il défend l’harmonie contre les forces du chaos qui sont symbolisées par les Mangemorts.
Nagini avec le mythe du serpent python, disons que je pense que le serpent de façon générale dans la saga Harry Potter est comme dans l’antiquité ; le serpent c’est un symbole ambigu. C’est un symbole maléfique, évidemment, puisque le serpent donne la mort, ça symbolise dans l’antiquité aussi la connaissance, parce que le serpent vient du sous-sol et que dans le sous-sol il y a tous les mystères de la nature, et puis ça symbolise aussi le renouveau, la renaissance parce que le serpent a des mues successives qui font qu’il est considéré comme un symbole de renaissance. C’est pour ça qu’il est associé notamment au Caducée du Dieu de la médecine Asclépios. Et donc Nagini qui est le serpent de Voldemort symbolise toutes ces tendances qui sont en Voldemort : c’est un être mortifère, c’est un être qui détient un savoir important puisque c’est un des plus puissants magiciens, et c’est un être qui inspire à l’éternité, à un éternel renouvellement. Donc Nagini c’est à la fois le symbole antique du serpent mais ça s’adapte parfaitement au personnage de Voldemort qui a toutes ambivalences en lui.
M : On a un gentil commentaire.
B : Oui, merci beaucoup Alexandra ! On va se revoir !
M : Merci beaucoup à tous, à Valère, à Blandine, à Alix, et puis du coup à tout le public pour avoir suivi cet événement. Comme on l’a dit au début, ça sera disponible sur la chaîne Youtube de la Gazette du Sorcier, aussi en format podcast dans le podcast ASPIC. On va pouvoir continuer à diffuser la discussion, à voir si ça provoque d’autres réactions, d’autres questions qu’on pourra vous transmettre aussi Blandine et Valère.
B : Avec plaisir !
V : Avec grand plaisir, et puis merci aussi Marjolaine parce que tu nous a tous remerciés mais merci aussi à toi ! Parce que c’est quand même un travail d’équipe et je trouve que c’était vraiment un moment très agréable à passer avec vous et tant mieux si ça a permis de donner une bouffée d’air frais à tout le monde. Merci à tous et puis les personnes qui se sont connectées et les doctorants qui sont venus en soutien de nos discussions !
B : Oui merci à tous les étudiants qui sont venus nous rejoindre en ce samedi après-midi !
M : Et si ça suscite des idées de thématiques qu’on peut explorer en podcasts avec d’autres invités ou des prétextes pour réinviter Valère et Blandine, envoyez-nous les idées ! On collecte tout ça et nous on est toujours partants pour avoir des nouveaux sujets de discussion et des nouveaux invités ! Vous pouvez écrire à redaction@gazette-du-sorcier.com.
V : Passez un bon après-midi et puis profitez, je sais pas si vous avez du soleil, mais profitez de ces quelques heures de liberté et puis voilà, au plaisir de nouveaux échanges !
B : Moi je dis à mardi à mes étudiants !
V : Au-revoir ! Merci infiniment.
B : Au-revoir !
…
A : Merci d’avoir écouté cet épisode, on espère que ça vous a plu ! Vous pouvez suivre la page de l’Académie des Sorciers sur Facebook « L’Académie des Sorciers », sur Twitter « aspic_gds », vous pouvez nous écrire par mail à redaction@gazette-du-sorcier.com et évidemment nous laisser un avis sur vos plateformes d’écoute préférées. Vous pouvez aussi soutenir l’émission sur Tipee, sur la page de la Gazette du Sorcier, et si vous nous suivez sur SoundCloud n’oubliez pas qu’on a changé de plateforme d’écoute et qu’on est passés sur PodCloud. On remercie Caligula qui a composé le générique d’après les thèmes de John Williams et Patrick Doyle et Marjolaine pour le montage !
M : De rien !
A : A très bientôt pour le prochain épisode de l’Académie du Sorcier !
M : Et chers auditeurs n’oubliez pas…
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