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Lettre de J.K. Rowling à l’Europe, traduction intégrale


Le projet de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne rythme le paysage médiatique depuis la fin du mois de juin 2016. Ceux qui se tiennent au courant de l’actualité sur le sujet savent que suite au refus du Parlement de voter l’accord de retrait du pays, le Premier ministre britannique Boris Johnson s’est vu contraint de demander un nouveau délai, à la date du 31 janvier 2020.

Dans ce contexte, la maison d’édition Coronet a demandé à de nombreux auteurs britanniques de contribuer à un livre épistolaire contre le Brexit. Intitulé “A Love Letter to Europe ” (Lettre d’amour à l’Europe), l’ouvrage a été publié le 31 octobre, pour laquelle le Brexit était prévu, et inclus une contribution de J. K. Rowling.

La lettre de J. K. Rowling a été intégralement retranscrite dans The Guardian, et nous vous proposons ici une traduction complète.


« La lettre était rédigée sur du papier fin de couleur bleu pâle. L’écriture était ronde et soignée. Ma toute nouvelle correspondante allemande, Hanna, se présentait dans un anglais excellent. Il avait été décidé par nos écoles que Hanna et moi serions des correspondantes parfaites l’une pour l’autre, étant donné que nous étions toutes deux (pour le dire sans détours) des bûcheuses. Dans quelques mois, je devrais séjourner une semaine avec elle et sa famille, à Stuttgart, et elle ferait de même dans la mienne peu après, à la frontière galloise. J’avais 13 ans, et cette expérience m’emplissait d’excitation.

Sa maison était chaleureuse, impeccable et délicieusement différente. Je me souviens de bougies décoratives et de tapis sur le sol carrelé, de meubles élégants et bien conçus, ainsi que d’un piano qui rutilait dans un coin de la pièce. Sans surprise, Hanna était une pianiste accomplie. À mon arrivée, sa mère m’a demandé ce que je voulais pour le petit-déjeuner. Voyant que je ne répondais pas immédiatement, elle a commencé à énumérer tout ce qu’elle avait à disposition dans ses placards. Vers la sixième ou septième option, j’ai reconnu le mot allemand pour « gâteau », j’ai donc dit : « Du gâteau, s’il vous plaît ! »

La mère d’Hanna était une cuisinière hors paire. Je me souviens en particulier d’une soupe avec des quenelles, de la saucisse et des lentilles. Et chaque matin, sûrement parce qu’elle pensait que c’était ce que je mangeais d’habitude, elle me donnait du gâteau pour le petit-déjeuner. C’était merveilleux.

Je suis restée en contact avec Hanna pendant des années. Quand j’ai eu 15 ans, sa famille, qui était d’une générosité incroyable, m’a invitée à les accompagner lors d’un voyage d’un mois en Italie. Par conséquent, c’est en compagnie d’Hanna et de sa famille que j’ai pu voir la Méditerranée pour la première fois et que je me suis essayée aux fruits de mer.

Je suis rentrée d’Italie encore plus assoiffée d’aventures européennes. Je me suis trouvée une correspondante française, Adèle, chez qui je suis allée séjourner en Bretagne. Là-bas, j’ai regardé sa mère faire des crêpes (la spécialité de la région) sur un bilig, une large plaque circulaire en fonte. Ces crêpes étaient les choses les plus délicieuses que j’aie jamais mangées, encore meilleures que le homard italien. Quand j’étais hors de vue des adultes, je profitais du prix modique des cigarettes françaises pour m’adonner à ma nouvelle habitude : fumer. Je m’efforçais d’apprécier les Gitanes, et réussissait presque.

À 16 ans, ma meilleure amie et moi avons eu l’idée de visiter l’Autriche pendant quelques semaines, munies uniquement de notre sac à dos. Avec le recul, je me demande un peu à quoi pensaient nos parents en nous autorisant à partir : deux lycéennes, ne connaissant que des rudiments d’allemand, voyageant en train sans aucun objectif précis ou logement réservé. Nous sommes ressorties indemnes de notre périple : nous sommes parvenues à déchiffrer les horaires des trains étrangers, avons toujours réussi à trouver un logement, avons nagé dans des lacs de montagne glacés sous un soleil radieux et avons voyagé de ville en ville au gré de nos envies.

En grandissant, ma détermination à traverser la Manche, même seule ou avec des fonds insuffisants, n’a cessé de croître. Avec un billet Interrail (certainement l’une des meilleures inventions de tous les temps), si vous ne trouviez pas de chambre, il vous suffisait de sauter dans un autre train ou de somnoler dans la gare jusqu’à l’arrivée du suivant. Je suis partie seule, à 19 ans, vagabonder aux quatre coins de la France. Une escapade qui a connu une fin abrupte suite au vol de mon portefeuille.

Malgré cela, j’y suis vite retournée. J’ai passé un an à Paris dans le cadre de ma maîtrise de français. Ma mère, francophile discrète, dont le père était à moitié français, était ravie de me rendre visite sur place ; mon père, sans doute moins, étant donné mes innombrables tentatives infructueuses de faire comprendre aux serveurs que « bien cuit », dans son cas, signifiait qu’il ne devait pas y avoir la moindre trace de rose au milieu de son steak.

J’avais 25 ans quand ma mère est morte. C’est également à cet âge-là que j’ai arrêté de me persuader que je voulais travailler dans un bureau. J’ai alors cédé à ma première impulsion : j’ai pris le vieux manuscrit écorné dans lequel j’écrivais depuis quelques mois mon livre pour enfants et je suis repartie une nouvelle fois de l’autre côté de la Manche. Désorientée par le chagrin, j’avais choisi presque au hasard un des trois postes d’enseignante qui m’était offert. C’était au Portugal, un pays que je ne connaissais pas et dont je ne parlais pas un mot de la langue.

Enseigner l’anglais à l’étranger est un métier on ne peut plus respectable, mais aucun de ceux qui l’ont exercé ne peut nier qu’il séduit principalement les individus sans racines et sans attaches. J’étais les deux. Néanmoins, je suis tombée amoureuse de Porto ; un amour vivace aujourd’hui encore. J’ai été enchantée par le fado, un genre musical populaire aux accents mélancoliques, reflet des Portugais eux-mêmes. Ces gens étaient d’une tranquillité et d’une douceur unique parmi les peuples latins que j’avais rencontrés jusque-là. Les ponts spectaculaires de la ville, ses rives vertigineuses bordées d’édifices anciens, les vieilles maisons portuaires, les vastes places, tout m’émerveillait.

Nous conservons tous des souvenirs inaltérables de notre jeunesse, rendus d’autant plus chers à nos cœurs que nous savons ce qui nous attend nos compagnons de voyage et ce que le futur nous réserve. À l’époque, nous avions la liberté de nous déplacer comme bon nous semblait à travers l’Europe pour nous forger des expériences qui nous ont façonnées et enrichis, tout en ayant la chance de vivre la plus longue période de paix ininterrompue que ce continent ait jamais connue. Des amitiés impérissables, des histoires d’amour, voire des mariages ont pu fleurir. Plusieurs enfants de mon entourage, y compris ma propre fille aînée, ne seraient pas nés sans cette circulation sans frontières offerte par l’Union européenne.

Au moment où j’écris ces lignes, nous ignorons encore si nos enfants pourront jouir des mêmes libertés que nous. Ceux d’entre nous qui sont capables de mesurer avec précision la profondeur de cette perte éprouvent un sentiment de deuil par procuration, auquel s’ajoute notre propre désarroi devant la menace de rupture de relations de longue date.

Je repense à Hanna, ma correspondante d’adolescence, alors que je me remémore une citation de Voltaire. Elle qui laissait rarement passer quoi que ce soit m’aurait probablement accusée d’avoir choisi un philosophe français par pur esprit de provocation.

Hanna avait souvent raison, mais sur ce point, elle aurait eu tort. En vérité, si je pense à elle, c’est parce qu’elle a été ma première amie sur le continent européen, parce que les mots de Voltaire qui résonnent aujourd’hui avec tant de force dans ma tête sont les suivants : L’amitié est la patrie. Hanna, je ne veux pas perdre ma patrie. »

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