Peeves : pourquoi aime-t-on autant l’insupportable esprit frappeur ?
Un.e internaute écrivait récemment sur Reddit que son passe-temps préféré dans le jeu Hogwarts Legacy était de suivre Peeves dans Poudlard : « Quand j’entends le rire de Peeves, j’arrête tout de suite ce que je suis en train de faire et je cours pour essayer de le trouver, car c’est l’assurance d’une bonne rigolade ».
Lorsque des premières infos sur Hogwarts Legacy sont sorties l’année dernière, les fans ont accueilli avec enthousiasme l’annonce de la présence de l’esprit frappeur dans le jeu. Enthousiasme, mais aussi simple soulagement, car l’absence de Peeves dans les films avait beaucoup déçu. Comment avait-on pu écarter l’iconique esprit frappeur ? Poudlard n’est jamais vraiment Poudlard sans ses calembours et son mauvais esprit !
Cet « oubli » des équipes des films (Peeves coûtait, a-t-on, dit trop cher en effets spéciaux, et n’était pas jugé prioritaire) résume bien la figure ambigüe de Peeves : incontournable mais difficile à cerner, amusant mais souvent méchant et humiliant. Il sert la cause des héros mais il peut aussi leur mettre des bâtons dans les roues et semer le chaos…
Pourquoi est-il si important aux yeux des lecteurs ? Pourquoi l’aime-t-on et le respecte-t-on alors qu’il est sournois et méchant ? La première réponse qui nous vient à l’esprit est, comme l’internaute cité plus haut, parce que Peeves nous fait tous beaucoup rire. Mais est-ce la seule raison ?
1. Ni gentil, ni méchant, la figure de « l’idiot créatif »
Dès les premiers chapitres du récit, Peeves se montre odieux et malveillant envers les élèves. Le niveau de ses blagues n’est pas très élevé et son comportement se rapproche du harcèlement scolaire.
Peeves bombardait les nouveaux de morceaux de craies, tirait les tapis sous leurs pieds, renversait des corbeilles de papier sur leur tête ou se glissait silencieusement derrière eux et leur attrapait le nez en hurlant « JE T’AI EU ! » d’une voix perçante.
Harry Potter à l’école des sorciers, chapitre 8
Cependant, il ne commet aucun acte réellement cruel (sauf peut-être quand il demande à Neville de brûler son caleçon pour passer dans un couloir, ça c’est franchement humiliant). Il ne blesse personne. Il n’est pas démoniaque, il est surtout exaspérant. Lors de la Harry Potter Conference qui s’est tenue en octobre 2022 au Chestnut Hill College, la chercheuse américaine Laurie Beckhoff décrit Peeves comme l’archétype littéraire de l' »idiot créatif« , ni bon ni mauvais, mais plutôt naïf et désagréable. Cette figure est répandue dans la littérature ou le théâtre. Dans Les Songes d’une nuit d’été de William Shakespeare par exemple, le lutin Puck a des traits communs avec Peeves.
On découvre à mesure que le récit avance que, tout en restant insupportable, Peeves est aussi vraiment créatif et drôle. Son imagination et ses facéties n’ont aucune limite. Dans le quatrième tome, par exemple, il se cache dans les armures du château et entonne des cantiques de Noël grossiers dès que quelqu’un passe devant.
Ses tenues vestimentaires qui tiennent du clown ou de l’arlequin prêtent aussi à sourire.
Harry leva les yeux et vit Peeves, qui flottait à cinq ou six mètres au-dessus du sol. Il avait l’apparence d’un petit homme coiffé d’un chapeau à clochettes, une cravate orange autour du cou.
Harry Potter et la Coupe de feu, chapitre 12
Au-delà de sa grossièreté et de ses bêtises, Peeves peut aussi se montrer inspiré. Bien connu des élèves pour ses couplets chantés braillés dans les couloirs de Poudlard, il prouve qu’il est un brin poète.
Dans un article publié en 2020, une rédactrice de Mugglenet analyse la maîtrise des rimes chez l’esprit frappeur.
Maîtrise des rimes externes … :
« Oh, most think he’s barking, the Potty wee lad,
Harry Potter et la Chambre des Secrets
But some are more kindly and think he’s just sad,
But Peevesy knows better and says that he’s mad —
…des rimes internes… :
We did it, we bashed them, wee Potter’s the one,
Harry Potter et les Reliques de la mort
And Voldy’s gone moldy, so now let’s have fun!
…comme des allitérations :
Loony, loopy, Lupin
Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban
Peeves n’est pas seulement un poète, il est aussi acrobate et danseur. Galipettes aériennes, glissades, vols planés, ses aptitudes physiques et sa capacité à se rendre invisible lui autorisent à peu près n’importe quel tour ou figure.
Peeves est donc un clown et un artiste qui nous divertit par ses calembours et force notre admiration pour son culot.
Mais cette désinvolture fait plusieurs autres choses que simplement nous amuser :
- Peeves permet de détendre l’atmosphère d’un récit particulièrement sombre. Quand tout va mal à Poudlard, que Harry est au fond du seau, que des gens sont attaqués ou tués, Peeves apporte un peu de divertissement au lecteur. C’est notamment le cas lors des attaques dans les couloirs de l’école dans La Chambre des secrets (« Oh, Potter, you rotter … »)
- Peeves est un des rares personnages (avec Fred et George peut-être) qui possède un esprit rebelle. Partisan de l’anarchie, il remet en cause un monde rigide, dicté par des lois et des normes sociales sévères. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que ses projectiles favoris sont des des cannes et des craies, symboles de la rigidité et de l’enseignement vertical. Même le Baron sanglant, qu’il craint et respecte, ne lui enlève pas totalement son esprit insoumis et ses sarcasmes :
Je suis désolé, votre sanglante excellence, Monsieur le Baron. J’ai commis une erreur, une regrettable erreur, je ne vous avais pas vu. Bien sûr, puisque vous êtes invisible. Je vous demande de pardonner sa plaisanterie à ce vieux Peeves, Monsieur le Baron.
Harry Potter à l’école des sorciers
- Enfin, à plusieurs reprises, Peeves suscite notre empathie car ses frasques et son humour sont incompris. À quelques exceptions près – Dumbledore ou le Moine Gras – il est exclu de la vie scolaire à Poudlard. Cela explique d’ailleurs certains de ses actes particulièrement malveillants. Par exemple, au début de La Coupe de Feu, l’esprit frappeur est exclu du banquet de rentrée car on est certain qu’il va mal se comporter. Résultat, il dévaste les cuisines et terrifie les elfes de maison. Un autre passage traduit bien la condescendance avec laquelle les habitants de Poudlard le traitent :
Argus Rusard : « C’est Peeves, professeur. Il a jeté cet œuf dans l’escalier »
Severus Rogue : « Peeves ? Il n’aurait certainement pas pu s’introduire dans mon bureau […] Je ferme mon bureau à l’aide d’un sortilège que seul un sorcier a le pouvoir de briser […] Rusard, je me fiche éperdument de ce misérable esprit frappeur«
Harry Potter et la Coupe de feu
Pourtant l’esprit frappeur n’est pas dénué de capacités magiques, loin de là. Capable de disparaître et d’apparaître, de se rendre invisible, il sait aussi faire apparaître et animer des objets. Ce statut hybride fait de lui l’objet du mépris des fantômes de l’école (« il n’est pas véritablement un fantôme » dit Nick), qui ne le comptent pas parmi les leurs.
Sans nier son caractère sournois et ses actes parfois cruels, Peeves est un personnage qu’on apprécie non pas seulement par ses blagues, mais plus largement par sa créativité et son caractère unique.
2. Un personnage certes désagréable mais utile et loyal
Dans un essai de littérature comparée publié dans la revue Pagaille, consacrée à Peeves, la chercheuse Lise Moawad recense 165 occurrences du personnage dans la saga. De plus il apparaît dans chacun des 7 tomes. C’est très significatif, estime-t-elle, surtout par rapport à d’autres « personnages de l’ombre » comme Charlie Weasley par exemple. Quels sont les ressorts de cette présence régulière dans le récit ?
1. Loin d’être inutile, Peeves contribue à faire avancer l’intrigue de plusieurs façons.
Dans sa conférence, Laurie Beckhoff souligne le rôle que joue Peeves pour développer les personnages. Insatiable provocateur, l’esprit frappeur révèle certains traits de leur personnalité. Un moyen subtil d’enrichir les héros du livre via des scènes dynamiques plutôt que des descriptions narratives. Là encore, la figure de Peeves se rapproche de certaines créatures classiques de la littérature comme les fées. Celles-ci interagissent avec les héros ou les héroïnes pour les mettre à l’épreuve.
Ainsi Peeves révèle-t-il au début de la saga la perspicacité de Harry qui imite le Baron Sanglant pour le faire fuir, l’adresse de Lupin (« Waddiwasi« ), l’autorité de McGonagall qui l’intime de quitter une salle de classe, le calme et la tolérance de Dumbledore qui parle à Peeves sans mépris, etc.
Par ailleurs, comme le dit Lise Moawad, « directement ou indirectement, Peeves fait avancer le récit, l’accélère ou le ralentit« . La chercheuse cite l’exemple dans le tome 3 du suspense que Peeves maintient sur ce qui est arrivé à la Grosse Dame, absente de son cadre qui a été lacéré (« Quel sale caractère il a, ce Sirius Black !« ). Moawad analyse : « L’enjambement avec rejet et l’usage du pronom cataphorique « il » créent un effet d’attente en attirant l’attention sur ce qui va être communiqué. Le référent est même repoussé d’un cran dans la chaîne via l’inversion et l’adjectif démonstratif « ce ». Lequel indique que l’énonciateur – ici Peeves –considère ironiquement que son interlocuteur partage avec lui un savoir préalablement identifié.«
Enfin, rappelons que J.K. Rowling est une adepte de la préfiguration, une technique littéraire qui consiste à révéler, sans y paraître, un développement potentiel de l’intrigue afin de préparer les lecteurs à cette possibilité. De nombreuses scènes de Harry Potter, comme celle chez Barjow et Beurk, multiplient ces procédés d’anticipation. En outre, les fans se sont aperçus que cette préfiguration se faisait généralement selon une structure en miroir. Celle-ci consiste, pour résumer simplement, à mettre en place des passerelles entre les tomes 1 et 7, 3 et 5, 2 et 6. Avec le tome 4 comme axe de symétrie. Peeves apporte sa pierre à cet édifice romanesque de la préfiguration. Citons quelques exemples (du plus convaincant au plus tiré par les cheveux) :
- Dans le tome 2, il balance l’Armoire à disparaître près du bureau d’Argus Rusard. Un objet encore anodin aux yeux du lecteur mais qui aura une importance capitale dans le 6, quand Drago Malefoy tentera coûte que coûte de la réparer (probablement suite aux dégâts causés par Peeves).
- Dans le tome 1, les premières années entendent les fantômes discuter de donner ou non une seconde chance à Peeves. Ce passage introduit le thème du rachat, très présent dans la saga, en particulier dans le 7e tome, à travers l’histoire de Severus Rogue, mais aussi celle de Kreattur.
- Dans le tome 4, il est vu deux fois par Harry en train de faire des cabrioles dans la Salle des trophées de Poudlard. Une allusion qui préfigure le rôle du trophée du Tournoi des Trois Sorciers, devenu à la fin du tome un Portoloin qui amènera Harry et Cédric vers le cimetière où Voldemort renaîtra.
2. Surtout, Peeves devient progressivement loyal envers Harry et Poudlard et sert la cause du monde des sorciers
L’utilité de Peeves n’est pas seulement littéraire. L’esprit frappeur est acteur de l’intrigue. S’il met parfois des bâtons dans les roues des héros (« ÉLÈVES HORS DU DORTOIR« ) il le fait surtout par amour du bazar et la cacophonie, sans dénoncer les élèves nommément. Il se révèle même être un complice utile, quand Harry, Ron ou Hermione défient les règles de l’école :
J’ai réussi à convaincre Peeves de la laisser tomber juste au-dessus du bureau de Rusard, dit Nick. J’espérais détourner son attention.
Harry Potter et la Chambre des secrets.
Peeves prouve au fur et à mesure du récit sa loyauté envers Harry, Poudlard et le monde libre des sorciers. Cette fidélité n’est pas totalement désintéressée car l’école est son terrain de jeu et sa raison d’être. Mais il se montre courageux pour la défendre, par exemple lorsque le Ministère et Dolores Ombrage menacent l’institution :
Peeves, que Harry n’avait encore jamais vu obéir à l’ordre d’un élève, ôta de sa tête son chapeau en forme de cloche et se mit au garde-à-vous devant Fred et Georges […] il voletait derrière Ombrage pendant des heures durant, en lançant des bruits grossiers chaque fois qu’elle essayait de parler.
Harry Potter et l’Ordre du Phénix
Bien que la fin du 3e tome puisse le laisser penser (« Il est vraiment abominable. Il doit être tout excité parce que les Détraqueurs s’apprêtent à en finir avec Sirius » – cette supposition d’Hermione peut d’ailleurs être discutée), Peeves n’est pas un esprit démoniaque comme un Détraqueur ou un Mangemort. Il prouve sa valeur lorsqu’il chasse Ombrage à coups de canne, ou qu’il combat les alliés de Voldemort. Avec le professeur Chourave, il utilise des gousses de Snargalouf pour retarder l’avancée des Mangemorts durant la bataille de Poudlard.
Et puis, à bien y réfléchir, même lorsque Peeves met Harry à rude épreuve, le fait-il par esprit « sournois » ? Par exemple, quand il affirme que Harry est l’héritier de Serpentard, ses airs ridicules ne contribuent-ils pas à tourner en dérision et discréditer ces accusations plutôt qu’à les renforcer ? Et donc indirectement à disculper et protéger Harry ?
Conclusion
Parfois limite dans son comportement, le personnage de Peeves est ambigu. À l’image de l’archétype de l’esprit frappeur dans la littérature, il n’est ni un héros, ni un antagoniste, ni bon, ni méchant. Ce qui en fait un personnage intéressant. Pour citer une dernière fois l’excellent essai de Lise Moawad, « Peeves est un personnage de l’ombre, mais son héritage littéraire, sa force motrice, son action régulatrice pour le héros et le monde l’extirpent de son statut de personnage plat« . Son évolution vers un personnage actif, rebelle et loyal lui a fait gagner le respect et l’attachement du fandom. Sa popularité a peut-être paradoxalement été renforcée par son absence dans les films, car cette décision des réalisateurs est devenue un des grands sujets de controverses qui animent les discussions potteriennes !
Pour finir, citons un passage du 7e tome qui résume bien le sentiment de bienveillance que nous éprouvons envers Peeves. Un sentiment qui lie également Peeves à la mélancolie que nous ressentons vis-à-vis de Poudlard (où nous aurions aimé vivre) et en général à la saga (que nous rêverions de lire à nouveau pour la première fois) :
Harry en avait la gorge serrée. Le chant de Noël ramenait avec force dans sa mémoire les souvenirs de Poudlard, Peeves qui vociférait des versions grossières de cantiques traditionnels en se cachant dans des armures, les douze sapins de Noël de la Grande Salle, Dumbledore coiffé d’un chapeau trouvé dans un pétard surprise…
Harry Potter et les Reliques de la mort
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Sources :
- Laurie Beckoff, MSc in Medieval Literatures and Cultures, “The Purpose of Peeves: The Puckish Poltergeist and Pranksters of the Past”, 2022.
- Wiki Harry Potter « Peeves ».
- Mugglenet : « Peeves the Poet Peering at the Poetry of Harry Potter« , 2020
- Lise Moawad, « A l’ombre du Poltergeist, Peeves, de personnage fantôme à ghost character dans la saga Harry Potter« , Pagaille, 2022.