Non, tous les fans d’Harry Potter « ne rêvent pas de voler sur un balai »
Depuis plusieurs années déjà, l’image du geek et de la pop-culture ont fortement évolué, passant de « ringard » à quelque chose de plus normalisé, et communément accepté.
Les cultures de l’imaginaire ont été propulsées par l’essor des séries télévisées, de la littérature Young Adult fantastique, et être considéré comme “geek” est presque devenu une mode… jusqu’à un certain degré seulement. Si de nombreuses œuvres iconiques de la culture geek ne sont plus perçues comme de la « sous-culture », il est encore mal vu par certains de les aimer un peu trop.
Dans le cas particulier de Harry Potter, si beaucoup l’ont reconnue comme une œuvre importante de la littérature jeunesse, et admettent sans honte aucune l’avoir lue et appréciée, certains n’hésitent pas à affirmer qu’à partir d’un certain âge, aimer lire et relire Harry Potter est un acte puéril, qui peut être assimilé à un refus de grandir, de se confronter à la réalité, et une envie de s’enfermer dans un monde imaginaire. La passion des fans pour une œuvre associée à la culture geek devient alors parfois source de moqueries et d’humiliation.
On ne compte plus les reportages, émissions, articles, mettant en scène des « super-fans de Harry Potter« . Sauf que ces « super-fans » sont, dans l’immense majorité des cas, présentés au public comme des personnes étranges, qui ne vivent que pour leur passion, et auraient perdu tout sens de la réalité ; qui sont mis en avant sur des plateaux de télévision comme des animaux de foire, des curiosités, parce la passion qui leur permet de s’épanouir ne peut être qualifiée que d’étrange ou d’anormale.
Dans de nombreux cas, ces émissions ou reportages n’hésitent pas à affirmer que ces fans venus parler de leur passion « rêvent de vivre dans le monde magique de Harry Potter, voler sur un balai, jeter des sorts », renvoyant ainsi une image du fan incapable de faire la différence entre le monde réel et le monde fictif de l’œuvre qu’il apprécie.
Dès leur conception, ces émissions, reportages, ou autres, sont problématiques car elles cherchent généralement explicitement dans leurs annonces des personnes qu’elles qualifient eux-mêmes de « super-fans » sans véritablement connaître l’œuvre et la communauté de fans dont il sera question. De ce fait, ils ignorent ce à quoi correspondrait réellement ce qualificatif au sein d’une communauté précise ainsi que le fait qu’il n’y a pas un type de super-fans d’une œuvre ; certains sont plus fans que d’autres, et ceux qui sont « superfans » ne le sont pas tous de la même manière. Le concept même de rechercher « LE super-fan » semble donc risible, tout comme l’idée de faire de ce fan le représentant de tout son fandom pour le public néophyte.
Pire encore, en recherchant des fans qui « rêvent de vivre dans le monde magique de Harry Potter« , et en présentant leur sujet comme tel, ils créent pour leur public une image du fan très éloignée de la réalité de ce qu’est véritablement la communauté ; ils n’essayent pas de comprendre ou de nuancer, mais choisissent de présenter un extrême comme la norme de la « fanitude ». Ils vendent aux téléspectateurs un stéréotype qu’ils ont eux-mêmes créé, celui du fan incapable de dissocier sa passion de la vie réelle.
Alors oui, il existe, bien évidemment des fans qui ont des comportements extrêmes, parfois capables de se mettre en danger pour leur passion ; cela existe dans toutes les communautés, et cela va bien au-delà des passions. Mais ils ne sont pas représentatifs de leur fandom, et le présenter autrement est tout simplement grossier et mensonger.
La très grande majorité des fans est capable d’esprit critique et de recul ; ce n’est pas incompatible avec la passion, loin de là. Être fan d’une œuvre n’implique d’ailleurs pas de devoir en apprécier tous les aspects sans exception.
S’il est presque communément admis que Harry Potter peut avoir un impact positif sur les enfants, en leur faisant découvrir et apprécier la lecture, ou en développant leur créativité, il est pour beaucoup plus difficile à croire que des fans adultes peuvent s’épanouir avec Harry Potter. De nombreux fans ont pourtant pris goût à l’analyse littéraire avec Harry Potter : le nombre de conventions et rassemblements proposant des débats parfois très poussés sur l’univers d’Harry Potter parle de lui-même ; l’œuvre amène le débat, la réflexion, sur des sujets de société actuels, et permet parfois à certains de s’intéresser à des thèmes qu’ils n’auraient fait que survoler dans d’autres circonstances. Citons les multiples discussions sur le féminisme ou la culture du viol dans Harry Potter proposées lors de la LeakyCon ; sur les sujets d’analyse littéraire présentés lors de la conférence internationale consacrée à la saga à l’université de St Andrews ; ou les débats et la prise de conscience qu’a permis le casting d’une actrice noire pour incarner Hermione dans Harry Potter and the Cursed Child.
Mais finalement, ce qui est à mes yeux le plus blessant dans ces reportages ou autres émissions, c’est l’idée même qu’au fond, une passion puisse être considérée comme quelque chose de négatif, de risible, et de nier son importance dans la vie et le développement d’une personne. Qu’elle touche au domaine artistique, sportif, ou autre, une passion devrait être une source infinie d’enrichissement, d’échanges, d’ouverture, de motivation, de dépassement de soi, d’épanouissement, de réconfort : il est toxique et malsain d’utiliser quelque chose d’aussi positif, d’aussi important pour quelqu’un, comme source de moquerie. Et les passions pour les cultures de l’imaginaire ne font pas exception.