La relation aux morts dans Harry Potter et son fandom.
A la recherche d'un certain fantôme ? Bingo ! Vous le voyez aux côtés du Pr Sinistra faire de grands gestes alors qu'elle tente de le convaincre de baisser d'un ton, sous le regard noir de Mme Pince. Celle-ci bougonne que si ce n'avait pas été un professeur, elle les aurait mis à la porte à leur arrivée deux heures plus tôt. Mais pourquoi ont-ils passé deux heures à la bibliothèque ? A vous de jouer ! Donnez votre explication dans le formulaire de réponse, en n'oubliant pas d'indiquer les noms du lieu et des deux personnes en compagnie de qui vous avez enfin retrouvé votre ami disparu !
C’est un fondement moral de notre société, une règle tacite qu’on ne peut enfreindre sous peine d’être jugé par ses pairs : on ne dit pas du mal des morts. Un mort n’est plus là pour se défendre, et si on souligne quelques-uns de ses défauts lors de l’oraison funèbre, ce ne sera que pour le rendre plus humain et montrer à quel point cette personne était un joyaux malgré ses facettes moins reluisantes.
Le monde de Harry Potter ne fait pas exception à cette règle… sauf dans le cas d’un personnage : Rita Skeeter, la journaliste à sensation de la Gazette du Sorcier. Elle est l’une des rares à oser s’attaquer à un personnage après son décès, Dumbledore. Certes, elle le fait de manière incomplète, en déformant la vérité, et c’est répréhensible mais, si elle le faisait de manière exacte, pourrait-on la blâmer ?
Elle serait sans doute autant la victime de critiques si elle avait rapporté des faits exacts. Il suffit de voir les réactions lorsqu’un lecteur critique un personnage comme Dumbledore, par exemple pour son incompétence en tant que directeur. La mort d’un personnage résulte en un effacement de ses côtés les plus sombres : Harry pardonne Dumbledore de l’avoir manipulé, de lui avoir menti (par omission) et d’avoir mis tout le monde en danger sur base d’une simple intuition… oui, c’était un homme très intelligent, mais il ne faudrait pas pour autant oublier ses failles.
Un autre personnage qui bénéficie de cet effet “un mort parfait” au sein de la saga, c’est James Potter. Toutes les personnes qui rencontrent Harry et lui parlent de son père l’encensent : James était drôle, James était beau, James avait du talent, James était un ami remarquable… Mais James était aussi un salaud, un tyran de cours de récréation arrogant dont la cible préférée était Rogue. Il l’humiliait et “ne manquait pas une occasion” de lui lancer un sort. Certes, il n’est jamais tombé aussi bas que Sirius qui, en cherchant à faire une “blague” à Rogue, a mis sa vie en danger mais a également compromis la scolarité de son ami Remus ! (Imaginez, si Remus avait mordu Rogue, le scandale que cela aurait été et les conséquences pour les deux partis.) Le parrain de Harry a bien entendu d’autres torts en la matière.
Notons par ailleurs que le dernier maraudeur à avoir combattu pour l’Ordre du Phénix, Remus, bénéficie également de l’effet un mort parfait, même si c’est dans une moindre mesure. On oublie bien facilement qu’il a voulu un moment abandonner sa femme et son fils, comme si cela réduisait le danger qu’il naisse loup-garou. Harry le remet à sa place, heureusement, mais il avait ses failles comme les autres.
Enfin, le personnage le plus emblématique de cet effet merveilleux, tant dans les livres qu’auprès des lecteurs, n’est autre que Severus Rogue. Traité en héros pour son sacrifice, dont le portrait pend dans le bureau du directeur de Poudlard suite à l’insistance de celui qu’il a maltraité des années durant… alors qu’il n’y a rien d’héroïque chez Rogue et bien peu de qualités à admirer.
Rogue était un professeur injuste, qui torturait psychologiquement ses élèves les plus faibles. Un homme qui n’était pas parvenu à se détacher de son amour malsain pour Lily Evans et de la haine à laquelle il avait donné vie. Un mangemort qui, au fond, n’était pas entièrement convaincu que c’était par sa faute qu’il avait perdu une amie. Rogue ne s’est jamais repenti de ses actions aux côtés de Voldemort : son seul regret est la mort de Lily et son bras n’est jamais mené par un désir de justice, uniquement par l’espoir futile de défaire les actes qui l’ont touché personnellement.
Par convention, les morts se voient pardonner leurs torts. Ce fait s’observe dans les livres mais aussi parmi les fans qui traitent les personnages comme des êtres de chair et de sang. À force, cependant, on en oublie leur véritable nature et tout ce qui faisait d’eux des personnages avec une véritable profondeur ; ce qui, au fond, les rend humains.
On honore ses morts, on ne les excuse pas. Ce n’est pas leur faire justice que d’effacer une part de ce qu’ils étaient. Peut-être est-ce là une des leçons que nous pouvons tirer du tome 7 et du livre Vie et mensonges d’Albus Dumbledore : car, en oubliant qui était véritablement le directeur de l’école, en effaçant les aspects les plus sombres de sa vie, de nombreux sorciers ont également laissé la porte ouverte aux rumeurs et calomnies de Rita Skeeter.