L’importance de la couleur de peau de Lavande Brown
Lors du casting de Noma Dumenzweni dans le rôle d’Hermione, de nombreux fans se sont révoltés ; ce n’était pourtant pas la première fois qu’un personnage de Harry Potter changeait de couleur de peau.
De nombreux débats entourent le personnage de Lavande Brown : est-elle trop superficielle ? A-t-elle survécu à la Bataille de Poudlard ? Mais le moins connu de tous, et celui sur lequel nous allons nous pencher ici, concerne sa couleur de peau. En effet, dans les interprétations que sont les films, Lavande Brown était noire, avant de devenir blanche à l’occasion du sixième film, lorsque Jessie Cave a repris le rôle.
Jusqu’au Prince de sang-mêlé, les films avaient réduit Lavande au rôle d’une figurante, incarnée d’abord par Kathleen Cauley dans La Chambre des secrets puis Jennifer Smith dans Le Prisonnier d’Azkaban. Jusque là, n’importe quel figurant pouvait incarner le personnage qui n’a que peu d’importance, même dans les livres.
Cependant, lorsque vint l’heure d’en faire l’un des personnages clés d’un film, au cœur d’une intrigue sentimentale avec Ron, il a logiquement fallu prendre une actrice avec une certaine expérience et une bonne alchimie avec Rupert Grint. C’est là que survient le problème, puisque c’est Jessie Cave qui obtient le rôle… et qu’elle est blanche, contrairement aux incarnations précédentes !
Les critiques quant à ce changement sont pourtant très limitées, contrairement à la vague de protestations qui a été constatée à l’annonce du casting de Cursed Child. Même s’il est possible d’admettre que, à l’époque, le changement soit passé inaperçu – après tout, qui savait que cette figurante à l’arrière plan incarnait Lavande ? – il est plus difficile d’admettre que, une fois ce changement souligné, certains cherchent encore à le défendre.
Le message envoyé par un tel re-casting et par les tentatives de justification qui s’ensuivent, est en effet extrêmement raciste : si un personnage de couleur devient blanc, peu importe, mais, dans la situation inverse, là c’est un scandale ! Pourtant, l’argument de la supposée continuité, souvent invoqué par ceux qui s’opposent à une Hermione de couleur, devrait plus que jamais s’appliquer dans le cas présent.
En effet, là où Hermione a changé de couleur de peau entre deux interprétations, celle des films et celle de la pièce, Lavande change au sein même d’un média qui se devrait d’autant plus d’être cohérent. Se révolter contre le changement pour Hermione et pas pour Lavande, c’est comme s’opposer à l’idée que Poudlard puisse être différent dans les éditions illustrées de Jim Kay et dans les films (changement entre deux interprétations), mais rester impassible quand Cursed Child se contredit quant au fonctionnement du retourneur de temps (changement au sein d’une même interprétation).
On entend souvent dire qu’il fallait “prendre la meilleure actrice possible” pour Lavande lors des castings pour le sixième film et qu’il ne pouvait donc pas y avoir de critère de couleur de peau ou autre… si c’était vraiment le cas, on pourrait se passer de critères d’âge pour les rôles, ou de sexe, ou de couleur de cheveux ! Les directeurs et directrices de casting sont parfaitement en droit de spécifier la couleur de peau du personnage afin de préserver la continuité des films. Leur travail est de trouver les meilleurs interprètes pour un personnage précis, qui a des caractéristiques physiques données : en l’occurrence dans l’univers des films Harry Potter, une peau de couleur noire pour Lavande.
Il arrive, plus rarement, qu’on se tourne vers les livres pour dénicher la description physique de Lavande. Les romans nous en apprennent peu sur l’apparence du personnage : pas de couleur de cheveux, pas de couleur de peau. Le seul indice potentiel survient lorsqu’elle et Ron s’embrassent et que leurs corps sont tellement enlacés qu’“il est difficile de dire à qui appartient quelle main”. Ceci suggère que la peau de Lavande, dans les livres, est de la même couleur que celle de Ron, même s’il pourrait s’agir d’une simple figure de style pour décrire l’enchevêtrement de bras et de jambes que nous nous sommes tous imaginés.
C’est un argument qui se défend, si on se révolte également contre le casting de Matthew Lewis (Neville est blond), de Fiona Shaw (Pétunia est blonde), l’âge des maraudeurs (et donc le choix de Alan Rickman pour incarner Severus Rogue)… bref, contre tous les détails qui changent entre l’original et l’adaptation. Sinon, on admet que l’essentiel est que les films restent cohérents entre eux, au sein du même média, et que Lavande aurait donc du rester noire de peau, même si elle ne l’était pas dans les livres.
Il n’est, bien entendu, pas question ici de critiquer le travail ou la performance de Jessie Cave, ou de remettre en question son talent. Il ne fait aucun doute que la sélectionner n’aurait pas été un problème si ce casting n’avait pas un impact aussi drastique sur l’apparence de Lavande, ou une résonance aussi forte dans le débat sur la représentativité des acteurs de couleur dans des franchises importantes.
Pour résumer, le choix de changer la couleur de peau de Lavande en cours de franchise et au moment où le personnage prend de l’importance est une parfaite illustration du racisme systémique qui sévit dans le monde du cinéma. Aucun argument pour justifier ce changement ne tient la route.
Il est important de garder cet exemple en tête lorsqu’on discute des choix de casting dans la saga et de la couleur de peau de certains personnages. Le parallèle avec le cas de Noma Dumezweni et Hermione souligne un contraste flagrant au niveau de la virulence des réactions, qui se doit de soulever des questions.
Inspiré d’un article de MuggleNet et des réactions qui s’en sont suivies.