L’hymne de Poudlard décortiqué
Souvenez-vous, dans le chapitre 7 d’Harry Potter à l’école des Sorciers, Dumbledore est pris subitement d’une lubie qui exaspère l’équipe des professeurs : faire chanter l’hymne du collège par les élèves.
Les paroles en sont magistrales :
«Poudlard, Poudlard, Pou du Lard du Poudlard
Apprends-nous ce qu’il faut savoir,
Que l’on soit jeune ou vieux ou chauve
Ou qu’on ait les jambes en guimauve,
On veut avoir la tête bien pleine
Jusqu’à en avoir la migraine
Car pour l’instant c’est du jus d’âne
Qui mijote dans nos crânes
Oblige-nous à étudier
Répète-nous c’qu’on a oublié
Fais de ton mieux, qu’on se surpasse
Jusqu’à c’que nos cerveaux crient grâce.»
Mais, ce ne sont pas les paroles de cet hymne qui ont retenu mon attention au cours d’une de mes énièmes relectures du tome 1. Ce qui m’a interpellé, c’est que tous les élèves entonnent la chanson sur un air différent et au rythme qu’ils veulent. Alors qu’il s’ensuit une véritable cacophonie, Dumbledore se montre contre toute attente très ému par cette prestation et va même jusqu’à verser une petite larme.
La question que je me pose est la suivante : que cherchait exactement Dumbledore en faisant chanter ses élèves de façon si peu harmonieuse ? (et, de façon subsidiaire, en quoi cette scène pouvait-elle être importante pour J.K. Rowling ?)
Cela n’a certainement aucun rapport, J.K. Rowling n’avais surement pas cela en tête en écrivant ce passage, mais cette scène m’évoque un extrait d’un dialogue antique : l’Icaroménippe, de Lucien. Dans ce dialogue fantaisiste, à visée satirique, un homme du nom de Ménippe explique à son ami comment, après s’être attaché des ailes d’oiseaux aux épaules, il s’est envolé jusqu’à la lune et a pu observer, de loin, les activités des hommes du monde entier. Pour que son ami se figure l’extrême diversité des spectacles auxquels il a assisté, Ménippe a recours à une métaphore particulière : celle d’un chœur discordant, où chacun chanterait selon la cadence qu’il souhaite, provoquant une cacophonie insupportable. A travers cette métaphore, Ménippe montre la riche variété des personnages, des peuples qui habitent la terre.
C’est à la lumière de cette comparaison que je vais analyser le passage qui nous préoccupe.
Il est intéressant que Dumbledore fasse chanter tous les élèves de façon discordante juste après la cérémonie de répartition. Dans l’intention de réunir des élèves qui ont été regroupés dans des maisons différentes, qui vont défendre des valeurs qui peuvent les opposer les uns aux autres, il aurait été attendu de les faire chanter en chœur, de façon harmonieuse, pour leur rappeler qu’ils sont tous des élèves de Poudlard. Or, ce n’est pas ce que fait Albus Dumbledore (et c’est peut-être aussi ce qui provoque la crispation des professeurs).
Au contraire, il propose à chaque élève de choisir son propre air, son propre rythme. C’est ainsi que certains élèves terminent la chanson avant les autres et que les jumeaux Weasley peuvent se faire remarquer en étant les derniers à entonner l’hymne.
Il me paraît évident qu’Albus Dumbledore cherchait à enseigner, de façon indirecte, quelque chose de fondamental à ses élèves : même s’ils ont été répartis en groupes, ils demeurent des individus, évoluant à leur propre rythme et ayant leur propre souffle. Les élèves de Poudlard forment un groupe hétéroclite, composé de personnalités différentes et riches.
Par conséquent, si Dumbledore est ému, à la fin de cette cacophonie, c’est parce qu’il a pu entendre la diversité des caractères qui se sont exprimés. D’une certaine manière, il remet en cause ce que pourraient croire certains élèves : même s’ils ont été répartis dans des groupes distincts, leur personnalité reste unique et fait toute leur richesse. Ce message, qu’Harry n’a pas encore la maturité de comprendre, vise des élèves qui peuvent complexer parce qu’ils n’évoluent pas de la même façon que leurs camarades. Cela peut concerner Harry, qui doute de devenir un grand sorcier un jour, mais aussi Neville Londubat, qui mettra plus de temps que les autres pour s’épanouir.
Je n’ai aucune certitude, mais il est possible que J.K. Rowling ait tenu à inclure cette scène dans la cérémonie de répartition pour préparer indirectement les lecteurs à voir tous ces jeunes élèves évoluer en même temps qu’Harry et jouer un rôle plus ou moins important. D’une certaine façon, ce passage est révélateur de ce que J.K. Rowling fera par la suite : développer tout au long de la série de nouveaux personnages, plus ou moins attachants, avec leur propre caractère et une évolution particulière. Elle nous prépare à son projet à long terme, à la multiplicité des personnalités que nous allons rencontrer au fil de notre lecture
Notez que la scène équivalente présente dans le film La Coupe de Feu, est aux antipodes de tout ceci.
L’hymne de Poudlard annonce donc la façon dont J.K. Rowling va construire ses personnages. Il nous nous introduit également à l’un des thèmes fondamentaux de la série : la mort. Malgré l’insouciance dont Dumbledore fait preuve, il est intéressant de remarquer que l’hymne se conclut sur l’air de la marche funèbre. Si cela ne peut qu’être une plaisanterie de la part des jumeaux Weasley, peu enthousiastes à l’idée de reprendre les cours, le choix de cette chanson est aussi symbolique. Si chaque air représente le parcours individuel de chaque personnage, la marche funèbre peut, dans cette perspective, symboliser la mort qui attend tous les élèves et les professeurs présents dans la salle. Encore une fois, J.K. Rowling, de façon subtile et déguisée, rappelle que nul n’échappe à la mort.
Voici comment, dans une scène en apparence anodine, certains thèmes de la série peuvent apparaître de façon sous-jacente, sans qu’on s’y attende.