Par la barbe de … Severus Rogue !? – Illustrer Harry Potter autrement
Cet article n’est pas destiné uniquement à vous faire prendre conscience d’un fait peu connu ou reconnu ; au travers de ces lignes, c’est aussi un désir de rappeler que la saga est, avant tout, une série de livres et que l’imaginaire y a sa place.
À l’heure où Bloomsbury annonce une édition entièrement illustrée et où les couvertures des nouvelles éditions s’inspirent de plus en plus souvent des films, je voulais nous offrir un retour en arrière ; une visite dans ces images du passé que d’autres “perceptions” nous ont faites oublier.
Parce que, oui, depuis qu’Alan Rickman s’est glissé dans la peau du professeur de potion de Poudlard, plus moyen de l’imaginer autrement que rasé de près. Pourtant, sur les premières images de Rogue qui sont parvenues aux lecteurs, le maître des potions portait une barbe !
La première à le dépeindre ainsi fut Mary GrandPré, illustratrice pour les première édition américaines chez Scholastic. Rogue n’apparaît sur aucune couverture, mais les en-têtes de chapitres ne trompent pas. Dans les tomes 3, 5 et 6, c’est bien Rogue qui arbore une magnifique barbe de style Van Dyke.
C’est ensuite l’illustrateur français, Jean-Claude Götting, qui nous montre Rogue arborant une barbe de style similaire… Ou devrais-je dire, d’abord ? Puisque ce dessin apparaît sur la quatrième de couverture de la première édition de Harry Potter à l’école des sorciers, parue un an avant la sortie du tome trois aux États-Unis.
Mais qu’est-ce qui a poussé ces illustrateurs à doter Rogue d’une barbe, alors que rien dans le livre n’indique quoi que ce soit du genre ? On peut supposer que la barbe est une caractéristique des “méchants”, particulièrement le bouc qui rappelle certaines représentations du diable. Un autre élément, c’est l’apparence négligée de Rogue, qui prête peu attention à son physique comme l’indiquent ses cheveux gras et son teint cireux. Il est facile d’extrapoler et d’imaginer que le maître des potions ne passe pas des heures devant son miroir pour se raser…
J.K. Rowling elle-même semble partager cette perception. Il existe trois dessins de Rogue réalisés par l’auteur et, même s’ils ne sont pas aussi drastiques en matière de pilosité, “son” maître des potions est doté au minimum d’un soupçon de bouc et de favoris, au plus d’une barbe de trois jours. Quoi qu’il en soit, on est loin du Rogue parfaitement rasé qui se retrouve sur de nombreux fanarts.
Quand on parle d’illustrations potteriennes à l’heure actuelle, il est impossible de ne pas mentionner Pottermore. Les illustrateurs qui œuvrent sur le site on cependant fait un choix ingénieux : celui de ne montrer aucun visage. Ils laissent ainsi libre choix aux lecteurs… mais c’est une option que n’ont pas les illustrateurs des livres et qu’ils semblent clairement ne pas envisager.
Jim Kay devra inévitablement se confronter à la question, puisqu’il illustre l’entièreté des romans, tandis que Johnny Duddle pourrait ne pas réaliser de couverture sur laquelle Rogue figurera… mais, celui qui se jettera à l’eau aura une certaine responsabilité : remémorer aux fans le Rogue des origines et que, si les livres ne disent pas “Rogue a une barbe”, ils ne disent pas non plus “Rogue est imberbe”… ou les conforter dans la représentation standardisée qui prend de plus en plus d’ampleur.
S’affranchir de cette dernière, c’est rappeler aux fans qu’ils sont libres d’imaginer, qu’ils ne doivent pas se laisser enfermer dans une vision limitée d’un personnage. Loin de limiter notre imagination, les illustrateurs de livres sont là pour exhumer les possibilités que nous n’avons pas envisagées et les détails qui nous ont échappés. En s’appropriant l’univers, ils doivent l’enrichir, ouvrir des portes et chambouler pour nous ce que nous avions pris pour acquis jusqu’alors.
C’est pourquoi j’attends chaque nouvelle édition avec impatience et c’est sur ce critère que je les jugerai : l’intensité du tremblement de terre qu’elles produiront dans ma tête et le nombre de représentations qu’elles fissureront comme de vieux immeubles ne répondant pas aux normes anti-sismiques en vigueur dans le monde de l’imaginaire.
Et si, à l’avenir, je décidais de me déguiser en Rogue, qu’on ne suggère pas qu’il faut me raser la barbe pour ce faire !
MàJ
Finalement, Jim Kay n’a pas doté Rogue d’une barbe, même s’il a proposé de nombreuses illustrations innovantes et qui se détachent de la vision mainstream de la saga.