J.K. Rowling, interviewée par The Student, parle de Dumbledore, de l’intégrisme et de ses futurs livres
On peut dire qu’Adeel Amini a de la chance. Rédacteur en chef du journal étudiant d’Édimbourg The Student, il est tombé sur J.K. Rowling dans un Starbucks à l’automne dernier. N’écoutant que son âme de journaliste en herbe, il lui a demandé une interview, qu’elle lui a accordée… quatre mois plus tard. Vous pouvez voir le texte original scanné de cette interview ici, chez TLC.
(Note : le texte de l’article d’origine ne comprend pas les questions posées ; pour plus de clarté, nous les reconstruisons ici.)
Est-ce que Harry vous manque ?
Oui. Mais ça va mieux. Juste après avoir fini d’écrire le livre, il y a eu tout le processus d’édition, je travaillais encore dessus. Ça n’a pas pris fin de façon abrupte. Ça m’a vraiment frappée le jour de mon anniversaire, le dernier jour de juillet. Cela faisait si longtemps que je m’y préparais. Pendant les trois derniers mois de l’écriture du tome sept, j’avais un sentiment constant, omniprésent, que c’était la fin. La fin que j’avais préparée depuis si longtemps, que j’attendais d’écrire depuis si longtemps. Alors ça a vraiment été un mélange d’émotions très différentes : moitié allégresse, moitié désolation. Ensuite, il y a eu tout le processus d’édition, puis la sortie du livre, et puis dix jours après, ça m’a frappée : je ne peux plus retourner dans ce monde. Il est parti.
Harry est clairement très important pour vous. Peut-on vraiment dire que vous ne retournerez jamais dans ce monde ?
Non, on ne peut pas. [rires] Personne ne peut comprendre. J’ai un fort sentiment d’isolation. Bien sûr, beaucoup d’écrivains ont créé leurs propres mondes, mais le mien a duré 17 ans. Et au cours de ces 17 ans, ma vie a beaucoup changé ; Harry était ma constante. C’était la chose qui était toujours là, une relation fantastique, mon centre… Et il avait disparu. C’était énorme.
Dans le récent documentaire « Une année dans la vie de J.K. Rowling » vous dites que vous êtes mal à l’aise que des fans et des journalistes vous suivent partout. Qu’est-ce qui vous manque le plus : Harry Potter, ou votre anonymat ? »
C’est une excellente question. Personne ne m’a jamais demandé ça. Pour être honnête, il y a eu des hauts et des bas. Au cours de ces dix dernières années, il y a eu des moments ou j’aurais donné n’importe quoi pour pouvoir redevenir anonyme, mais c’étaient des moments difficiles, ça n’avait rien à voir avec les gens qui m’abordent chez Starbucks. D’ailleurs, les gens qui m’abordent chez Starbucks sont toujours charmants. Toujours. C’est vrai ! Vous savez, aussi loin que je me souvienne… Je pourrais compter sur les doigts d’une main le nombre de personnes qui m’ont abordée et ont été désagréables. Enfin, mis à part ceux qui veulent des autographes pour pouvoir les revendre sur eBay. Ceux-là, ce ne sont pas des fans, ce sont des gens qui veulent se faire de l’argent, ils font parfois peur. Mais il y a eu des moments où j’aurais donné n’importe quoi pour redevenir anonyme. Je me suis parfois sentie assiégée. Je ne m’attendais pas à ce que des journalistes viennent cogner à ma porte. Il y a eu une période, au milieu, où ça a été très stressant. Mais à l’heure actuelle, c’est Harry qui me manque le plus. Le personnage me manque, mais ce qui est intéressant, c’est que ce n’est pas un personnage très populaire dans les livres. Il y a eu un sondage et quelque chose comme 2% des lecteurs ont choisi Harry comme personnage préféré. Il y a des choix bien plus évidents comme personnage préféré : Hagrid, Ron… Tout le monde aime Ron. Franchement, vous connaissez quelqu’un qui n’aime pas Ron ?
Avez-vous jamais relu un de vos livres ?
Le seul que j’ai relu après qu’il est sorti est le tome sept. C’est mon préféré. J’ai travaillé 17 ans vers ce but, alors forcément, ça a été une expérience cathartique et j’y avais beaucoup réfléchi. Et puis aussi, c’était libérateur de ne plus écrire une histoire sur une école, de les faire quitter Poudlard, même si j’adore Poudlard. On pourrait certainement écrire encore quelques bonnes histoires sur Poudlard, c’est très riche, mais être obligé de suivre l’emploi du temps d’une école, c’est une contrainte énorme. Et puis je n’aurai plus jamais à écrire un match de Quidditch ! [rires] C’est ça qui fait que je suis certaine de ne jamais écrire les aventures à Poudlard de la génération suivante : devoir écrire un autre satané match de Quidditch !
Ça doit être incroyable de savoir que les enfants comme les adultes adorent Harry Potter et que vos livres sont devenus des classiques. Une de mes amies m’a dit qu’elle savait que plus tard, elle lirait Harry Potter à ses enfants.
C’est un sentiment incroyable. En fait, ce que vous venez de dire, c’est ça le plus incroyable. Ça représente tellement pour moi. C’est un sentiment merveilleux, merveilleux, de pouvoir se dire qu’on a physiquement – sans vouloir faire ma Pollyanna – qu’on a physiquement rapproché des gens d’âges différents, de générations différentes, que c’est quelque chose que tout le monde a partagé… il n’y a rien, absolument rien, de mieux.
Vous avez dit que vous êtes croyante. N’est-ce pas difficile de concilier vos croyances avec le fait que certains mettent Harry Potter au ban parce qu’ils le trouvent anti-chrétien ?
Un commentateur chrétien a dit récemment que Harry Potter était la plus grosse opportunité manquée de l’Église chrétienne. Et je me suis dit : en voilà un qui a ouvert les yeux.
Mais il y en a qui détestent Harry Potter ?
Oh oui, avec véhémence. Et ils envoient des menaces de mort. Une fois. Enfin non, plusieurs fois. Quand j’y repense, c’est comique. J’étais en Amérique et une librairie à laquelle je devais aller a reçu des menaces, alors la police a dû venir. [Elle s’est rendu à la librairie malgré les menaces.] Tout a été contrôlé. Bien entendu, je n’aurais jamais laissé des enfants venir si j’avais pensé qu’il y avait le moindre risque.
Quel est le meilleur, ou le pire commentaire que vous ayez jamais reçu ?
Le meilleur… Il y en a tellement. À chaque fois qu’un fan me dit ce que les livres lui ont apporté d’un point de vue personnel, c’est toujours incroyable à entendre. Ce sont des gens qui ont autour de 20 ans, ils ont littéralement grandi avec Harry. Lui a grandi, eux ont grandi, et il a eu une grosse influence sur leur enfance. C’est incroyable de savoir ça.
Une mauvaise critique, je peux gérer. Personne n’aime les mauvaises critiques mais une critique utile, c’est une critique qui vous apprend quelque chose. Mais pour être honnête, toutes les histoires avec les intégristes chrétiens, c’était dur. J’aurais été très heureuse de pouvoir débattre avec un des critiques qui attaquaient Harry Potter d’un point de vue moral. D’une certaine façon, nous avons débattu par médias interposés. J’ai essayé de rester rationnelle. Il y a une femme en Caroline du Nord ou dans l’Alabama qui essaye de faire interdire les livres. Elle a quatre enfants et n’a jamais lu les livres. Et puis récemment – je ne mens pas, je ne me moque pas, c’est vraiment ce qu’elle a dit – récemment, on lui a demandé pourquoi, et elle a dit « eh bien j’ai demandé en prière si je devais les lire et Dieu m’a dit que non ». [pause, l’air incrédule] Vous voyez, je ne veux rien avoir à voir avec les gens qui sont de ce côté-là de la barrière. C’est de l’intégrisme. L’intégrisme, c’est « je refuse d’avoir l’esprit ouvert, d’essayer de comprendre vos arguments. Je ne les lirai pas, je ne les regarderai pas, j’ai trop peur ». C’est ça qui est dangereux, que ce soit de l’extrémisme politique, de l’extrémisme religieux… En fait, si on prenait les intégristes de toutes les grandes religions et qu’on les mettait dans la même pièce, ils auraient des tonnes de choses en commun ! Ils détestent tous les mêmes choses, c’est ironique.
Il y a 17 ans, vous et votre fille viviez dans des conditions très difficiles. En quoi pensez-vous avoir changé depuis ?
Je suis beaucoup plus heureuse maintenant, mais pas du tout pour les raisons que les gens s’imaginent comme [sa grande fortune]. Je suis heureuse parce que je fais ce qui me correspond, ce à quoi j’étais destinée, ce qui n’était pas le cas à 25 ans. À 25 ans, j’étais très mal dans ma peau ; aujourd’hui, je me sens bien. Je suis toujours aussi nerveuse quand je dois parler en public, et on aurait tort de penser que chaque fois que j’écris une page, je me dis « ça va être un best seller ». [Parlant de la sortie du tome 7, pour laquelle elle a dû lire devant 1700 personnes.] Je me consolais en me disant ce que je me dis toujours quand je me prépare à ce genre d’événements : je me disais que j’allais peut-être mourir avant que ça n’arrive. Je sais que ça a l’air morbide, mais je me suis vraiment dit : on va peut-être tous mourir avant, je ne vais pas stresser avant l’heure. Avant ça, avant de parler en public, je me disais toujours « ça ne peut pas être pire qu’un accouchement ». [rires]
Beaucoup de jeunes gens, et surtout d’étudiants, sont dépressifs à notre époque. Il est de notoriété publique que vous avez eu des phases de dépression à l’époque où vous habitiez à Leith. Vous vous en êtes sortie grâce à de la [?psychothérapie cognitivo-comportementale].
J’ai eu une tendance à la dépression très tôt. Mais c’est très difficile de reconnaître qu’on est dépressive. Quelque part, c’est un peu triste, mais ce qui m’a poussée à chercher de l’aide, ce qui m’a poussée à accepter que je n’étais pas dans un état normal, c’est sans doute ma fille, et beaucoup de gens de votre âge, de très jeunes adultes, n’ont pas ça. Elle a été ma pierre de touche, elle m’a ramenée sur terre, je me suis dit « ce n’est pas possible, je ne peux pas être dans cet état pendant qu’elle grandit ». Je recommande chaudement la psychothérapie cognitivo-comportementale. Pour moi, ça a été inestimable. Ça a marché pour moi, alors évidemment, c’est une méthode que je soutiens. J’ai reçu de l’assistance psychologique pendant neuf mois. J’aurais pu continuer un peu plus longtemps. J’aurais sans doute dû attendre encore un peu avant d’arrêter, mais… Au final, tout s’est bien passé. Et puis la thérapie vous donne des stratégies pour la suite. Je suis inquiète, après ce que vous m’avez dit sur tous ces gens en dépression, et je veux leur dire qu’il faut qu’ils aillent chercher de l’aide !
Le fait que vous disiez ça va peut-être aider les gens à avoir moins honte d’être dépressifs et d’avoir besoin de thérapie.
Ce qui est drôle, c’est que je n’ai jamais eu honte d’avoir été dépressive. Jamais. C’en est anormal. Mais de quoi devrais-je avoir honte ? Je pense que c’est une époque difficile pour les jeunes. Ça m’inquiète. Ma fille est adolescente et je pense que notre société actuelle a très peur des jeunes. Vous ne trouvez pas ? Ça m’inquiète vraiment. On accepte l’idée que les jeunes sont une menace. Pas partout, mais parfois, quand on parle des jeunes, quand on voit des reportages sur les jeunes.
Récemment, la presse vous a fait des remontrances pour les commentaires que vous avez fait sur l’image qu’ont les jeunes filles de leur corps.
Ce sujet me tient beaucoup à cœur. J’ai répondu à quelques journalistes, dont deux ou trois anorexiques. Mais il y a toujours des gens qui se mettent dans tous leurs états quand on dit quelque chose comme ça, mais selon moi – il faut que je fasse très attention à ce que je vais dire – c’est un fait que sur les sites Internet pro-anorexie, et ils existent, ils utilisent des photos, des photos de certaines femmes célèbres, ce qu’ils appellent de la « thinspiration ». C’est une maladie. On pourrait dire que certaines franges de l’industrie de la mode promeuvent une image corporelle pro-anorexie. Je refuse catégoriquement de croire que certaines femmes mangent et font du sport de façon normale et gardent un corps comme ça. Je ne peux pas y croire.
Comment avez-vous géré tous les commentaires sur l’homosexualité de Dumbledore ?
C’était drôle, dans l’ensemble ! J’avais toujours pensé que Dumbledore était gay, mais quelque part, ce n’était pas très important. C’est juste que dès le début, évidemment, j’ai su qu’il avait ce gros secret, qu’il avait caressé l’idée de faire exactement ce que fait Voldemort, l’idée de domination raciale, qu’il allait assujettir les Moldus. C’était le gros secret de Dumbledore. Pourquoi a-t-il caressé cette idée ? C’est un homme fondamentalement bon, qu’est-ce qui pourrait le pousser à faire ça ? Je n’ai même pas eu à me poser toutes ces questions, ça m’est venu tout seul, je me suis dit « je sais pourquoi : il était amoureux ». Et la question de savoir s’ils ont consommé physiquement cet amour est sans importance. Ce qui est important ici, c’est l’amour, pas le sexe. Voilà ce que je savais sur Dumbledore. C’est important uniquement parce qu’il est tombé amoureux et a perdu son jugement. Il a perdu sa boussole morale quand il est tombé amoureux, et par la suite, il a perdu confiance en son jugement pour ces questions-là, ce qui fait qu’il est devenu asexué. Il a mené une vie de célibat, dans ses livres.
Un personnage homosexuel dans un livre pour enfants, et alors ? C’est une question intéressante, parce que je pense que l’homophobie est une peur de l’amour entre deux personnes du même sexe, plutôt qu’une peur de l’acte sexuel. Il y a comme un dégoût de l’amour qui est jeu, ce que je trouve extraordinaire. Certains se sont demandé pourquoi on n’avait pas vu Dumbledore avoir des angoisses existentielles à cause de son homosexualité. Mais en quoi est-ce que ça aurait eu sa place dans les livres ? Et l’autre crainte que les gens avaient – et j’ai reçu des lettres à ce sujet – c’est que comme il est gay, il y aurait toujours un risque tant qu’il enseignerait dans une école. [air incrédule] C’est un vieillard célibataire. Il faut se poser la question : en quoi sa sexualité est-elle intéressante ? Les gens devraient examiner leur propre attitude. Ce n’est qu’une teinte de son personnage. Est-ce la chose la plus importante à son sujet ? Non. C’est Dumbledore, nom de Dieu ! Il y a vingt choses plus importantes que sa sexualité dans l’histoire.
Pour vos prochains projets, vous avez-parlé d’un « conte de fées politique » pour enfants, d’un autre livre pour adultes et d’une encyclopédie Harry Potter.
Je n’ai pas encore fini le conte de fées. Le livre pour adultes ne verra peut-être jamais le jour. Désolée, je ne peux rien dire de plus ! À l’instant où j’en dis plus, ma vie devient compliquée.
Je travaille sur l’encyclopédie. Je n’ai pas envie de devoir respecter un délai, mais je la mets en place lentement.
J’ai toujours voulu… Je veux que ce soit clair, ce n’est pas ce que je suis en train d’écrire, mais j’ai toujours voulu écrire un roman sur un acteur de one-man-show. Mais ce n’est pas ce que je suis en train d’écrire, alors si quelque chose dans cette veine-là sort la semaine prochaine, ce n’est pas moi ! Mais cela fait une éternité que j’ai envie de faire ça.