Qui a gagné la course à la traduction de Harry Potter ?
Ce qui suit est la traduction d’un article de William Sutton pour le Times. Voir la version originale.
Pour les fans turcs, l’attente est terminée. Harry Potter ve Ölüm Yadigarlar est sorti mardi dernier, moins de 12 semaines après la sortie anglaise de Deathly Hallows. Seule la version ukrainienne, Harry Potter i Smertelni Relikviyi, a été plus rapide.
En France, J.-F. Ménard a traduit les tomes précédents en neuf semaines ; cette fois-ci, sa candidature à l’Académie Française a repoussé la sortie des Reliques de la Mort jusqu’en février. NDLR : cette information est fausse, il s’agit du poisson d’avril écrit par les sites francophones il y a six mois. Voir [le poisson et le démenti. Comme vous le savez certainement, la véritable date de sortie en France est le 26 octobre prochain.] En Italie, des fans en colère ont organisé l’Opération Plume : à la manière des chouettes de Poudlard, ils ont innondé l’éditeur Salani sous les plumes, pour demander une sortie plus tôt.
Il y a toujours une course pour traduire le dernier J.K. Rowling. En plus des versions autorisées, des clubs de fans sur Internet se mettent immédiatement au travail, de l’Allemagne au Vietnam. Mais ils naviguent en eaux troubles du point de vue des droits d’auteur : un adolescent provençal a passé une nuit en prison pour avoir fait circuler une traduction du tome 7 immédiatement après la sortie en anglais. La police l’a relâché, impressionnée par son travail quasi-professionnel.
En mars, les Venezueliens ont pu savourer Harry Potter et l’Ombre du Serpent, une fanfiction prétendant être le tome 7. L’auteur bengalais Uttam Ghosh était désespéré lorsque son Harry Potter a été enlevé des rayonnages des librairies de Calcutta. En Chine, une douzaine de faux tomes Harry Potter sont en vente. On comprend mieux pourquoi Victor Morozov a travaillé 15 heures par jour sur la traduction ukrainienne. « Les pirates sont tellement bons qu’il est difficile de savoir quelle est la version originale », selon lui.
Mais comment traduire des mots comme Wormtail et Quidditch ? Certains noms sont plus faciles à traduire que d’autres. En français, Wood devient Dubois ; Wormtail est Queudver. Le nom italien de Fudge, Cornelius Caramelle, perd la nuance secondaire [NDLR : Fudge veut dire caramel, mais aussi une réponse vague, ou imprécise, de la langue de bois] ; Severus Piton est un nom reptilien, mais pas aussi méprisant que Snape [Rogue]. Albus Silente donne une impression d’autorité tranquille, mais fait fi du sens étymologique de Dumbledore : bourdon. La traduction norvégienne de ce nom a été formée en accollant humle (abeille) et snurr (tournoyer), rappelant aussi surr (bourdonnement). Humlesnurr est un nom rythmique, qui possède aussi le piquant de Dumbledore.
Les jeux de mots et les références sont impossibles. Tom Marvolo Riddle est une anagramme de « I am Lord Voldemort ». Pour conserver l’anagramme, le deuxième prénom devient Vandrolo en hébreu, Marvoldo en turc et orvoloson en italien. Il est Tom Elvis Jedusor en français, Tom Sorvolo Ryddle en espagnol et Trevor Delgome en islandais. Fawkes, le phénix au nom si britannique, est un défi pour le traducteur : faut-il préférer le Vulcan enflammé (norvégien) ou Felix, reprenant la sonorité (Slovaque) ?
Est-ce que ça vaut même la peine de se donner tant de mal ? Les traducteurs sont mal payés, reçoivent peu de gloire et doivent faire face au courroux des fans. Certains apprécient cette position. Au Japon, Yuko Matsuoka a déclaré : « une onde de choc m’a traversé. Je me suis dit ‘voilà ce que j’attendais’. »
D’autres sont moins enthousiastes. Lorsque Warner Bros. a acheté les droits de Harry Potter, la traductrice catalane Laura Escorihuela a refusé qu’on renégocie son contrat. Elle a été remplacée. L’Israelienne Gili Bar-Hillel reçoit des corrections envoyées par les lecteurs. « Chaque erreur me poursuivra pour le restant de mes jours. Les lecteurs sont jeunes, ils ne pardonnent pas. »
Ne soyez pas surpris si vous voyez des traducteurs sauter de la voie 9 3/4 devant un train fantôme. Même Morozov, dont la traduction en 66 jours devrait permettre des ventes record, l’a reconnu : « je suis heureux que ce soit le dernier tome. »