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Interview de JK Rowling sur Cursed Child et Harry Potter – traduction intégrale

J.K Rowling, Jack Thorne (dramaturge), et John Tiffany (metteur en scène) ont été interviewés par Mark Philipps (qui avait déjà interviewé JK Rowling en 1999) pour la chaîne américaine CBS à propos de Harry Potter and the Cursed Child à l’occasion de sa venue prochaine à Broadway. Voici la traduction complète de cette interview.


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MARK PHILLIPS : Notre dernière rencontre semble dater d’une autre vie. Ou est-ce vraiment la même ?

J.K. ROWLING : ?a l’est et ça ne l’est pas à la fois. Quand je me souviens de nous dans ce train, cela semble s’être passé il y a six mois. Mais quand je prends un peu de recul et pense à tout ce qui est arrivé depuis, dans ma vie professionnelle mais aussi dans ma vie personnelle, soudain je me rends compte que non, j’ai créé deux nouveaux êtres humains entre temps.

MARK PHILLIPS : Et quoi, quatre autres livres ?

J.K. ROWLING : Oui, quatre, cinq, six, sept, huit livres. Et collaboré à une pièce de théâtre, écrit deux scénarios. Donc oui, on voit tout ça, et on réalise que ça ne fait pas certainement pas six mois.

MARK PHILLIPS : Je suis tenté de commencer par une question à la Mrs Merton. Qu’est-ce qui vous attire le plus avec le fait de gagner des millions de livres sterling en amenant Harry Potter au théâtre ?

J.K. ROWLING : Michael Jackson voulait que je vienne à Neverland pour parler d’une comédie musicale Harry Potter. Et je ne voulais pas y aller. Non, je ne voulais vraiment pas que Harry monte sur scène. Je ne voulais pas d’une comédie musicale. J’avais le sentiment d’en avoir fini.

MARK PHILLIPS : Avec Harry ?

J.K. ROWLING : Je pensais que si je me sentais vraiment inspirée, je retournerais dans ce monde. Je disais tout le temps « ne jamais dire jamais », parce je savais que la Warner Bros voulait faire quelque chose avec Les Animaux fantastiques, et j’en avais en effet envie. Mais je n’étais pas pressée. Et pour vous dire la vérité, ce n’est que quand Sonia Friedman (la productrice) est venue me voir pour me parler de la possibilité de faire quelque chose sur scène que j’ai commencé à penser, « D’accord, ce que tu me proposes, ça pourrait me plaire, créativement parlant ». Parce que, pour répondre à votre question directement, on sait tous que je n’ai pas besoin d’argent. La vie est trop courte. Je ne veux faire que des choses que j’aime, que je considère comme bien, ou valant la peine de les faire.

MARK PHILLIPS : Mais à part Michael Jackson, l’idée de l’amener sur scène, nous savons tous que c’est quelque chose qui a émergé de votre esprit très clairement et qui a donné naissance aux livres et… non ?

J.K. ROWLING : Non. C’est quelque chose que les gens n’arrêtent pas de dire. J’ai aussi dit que ce serait aller un peu loin d’affirmer que les sept tomes sont sortis complètement aboutis de mon esprit. Le postulat d’un garçon qui ne sait pas qu’il est un sorcier et qui va dans une école de magie, ça, c’est sorti de mon esprit de manière bien définie, oui.

MARK PHILLIPS : D’accord. Et comme de nombreuses personnes le savent, vous aviez écrit le dernier chapitre avant d’écrire les autres.

J.K. ROWLING : Oui, j’ai bien écrit ce chapitre avant, oui.

MARK PHILLIPS : Mais qu’est-ce que le théâtre vous offre comme perspective ? Est-ce que c’était juste le défi de donner vie à ces idées sur scène plutôt que dans l’imaginaire des lecteurs ou grâce aux effets spéciaux [des films], que vous avez trouvé attirant ?

J.K. ROWLING : Pour être honnête, c’était la perspective de travailler avec Jack [Thorne] et John [Tiffany]. Parce que Sonia [Friedman] et Colin [Callender], nos producteurs, m’offraient la chance de travailler avec deux personnes que je trouvais extraordinaires. Et j’avais l’intime conviction après notre première rencontre que nous pouvions créer quelque chose de vraiment spécial.
Maintenant, je peux m’être trompée. Nous nous sommes quand même beaucoup amusés en le faisant parce que nous sommes devenus de très bons amis, et c’est incroyable d’avoir rencontré deux amis grâce à un processus créatif comme celui-ci. Mais il s’avère que nous travaillons très bien ensemble tous les trois, et je pense que nous avons produit quelque chose dont nous sommes tous fiers.

MARK PHILLIPS : Est-ce que c’était l’idée d’amener l’histoire plus loin ? Je sais que nous avons une épée au-dessus de la tête prête à s’abattre si nous parlons de l’intrigue de la pièce donc nous n’en dirons rien. Mais l’idée d’amener l’histoire plus loin, des générations plus tard, c’était quelque chose qui vous attirait ? Est-ce que cela fait partie d’un défi que vous avez ressenti intellectuellement ?

J.K. ROWLING : Eh bien, je l’ai dit publiquement, avant aujourd’hui, que le personnage qui m’intéressait le plus à explorer était celui d’Albus [Potter]. Et il était certainement le personnage auquel j’ai le plus pensé. Le fils qui, clairement, vous le voyez dans le tout dernier chapitre de la série, part pour Poudlard avec le sentiment d’être un fardeau pour l’histoire de sa famille. C’était notre point de départ, oui.
Nous aimerions protéger la mise en scène le plus possible parce que nous aimerions que le public ait la même expérience que tant de gens ont pu vivre à Londres. Donc c’est pour ça que nous ne voulons pas trop en dire.

MARK PHILLIPS : D’accord. Nous avons tous juré de garder le secret jusqu’à un certain point. Je sais que nous sommes ici sous la menace d’une excommunication si nous parlons de l’intrigue, mais que pouvez-vous nous dire ? Est-ce que c’est la continuité de la fin du dernier livre ?

JACK THORNE : Je ne réponds pas à cette question. (Rires)

JOHN TIFFANY : La première scène de notre pièce est le dernier chapitre des Reliques de la Mort donc nous voyons Harry, Ginny et Albus, le fils cadet de Harry, à King’s Cross, ainsi que Ron, Hermione et leur fille Rose. Et comme dans le dernier chapitre, les Malefoy sont aussi là quelque part. Et ils envoient Albus et Rose pour leur premier jour à Poudlard.
James est le grand frère, l’aîné de Harry et Ginny. Il est déjà allé à Poudlard. Mais on voit Albus. Albus, étant le personnage, comme le disait Jo plus tôt, qui l’intéressait le plus, parce qu’il s’appelle Albus Severus, il est nommé en hommage à Albus Dumbledore et Severus Rogue, deux des personnages les plus aimés des livres.

JACK THORNE : Et les plus complexes.

J.K. ROWLING : Et les plus haïs aussi. Oui.

JOHN TIFFANY : James, un peu pour honorer le nom de son grand-père, s’en sort très bien à Poudlard. Alors que Albus, c’est suggéré d’une belle manière, ne va pas avoir la vie aussi facile. Donc voilà pour la première scène. Ensuite, on fait un bon dans le temps de quatre ans, et on les retrouve une nouvelle fois au début de leur quatrième année. Et c’est là que l’histoire commence réellement et prend forme, que les choses deviennent compliquées, très rapidement.

MARK PHILLIPS : Vous savez, les sorts sont possibles dans les films. Les sorts sont possibles dans les livres. Mais lancer des sorts sur scène c’est vraiment autre chose.

JOHN TIFFANY : J’ai été approché par Sonia et Colin et ils m’ont dit qu’ils venaient de rencontrer Jo et qu’elle avait donné son accord pour aller plus loin avec l’idée de faire monter Harry sur scène et d’explorer Harry adulte, de regarder spécifiquement ce qui se passe quand quelqu’un a eu une enfance comme Harry et comment il devient un parent, un père.
Ce que je veux dire c’est que j’ai adoré les livres et les films et que j’étais un grand fan de Jo. Je les ai lus à mes filleuls et mes neveux et j’ai vu ce pouvoir qu’ils avaient sur les enfants, la façon dont ils les transportaient, leur donnaient un sentiment d’appartenance, de bien des manières. Et aussi, j’avais commencé ma carrière à Edimbourg, où même moment où Jo s’y trouvait.

J.K. ROWLING : Et nous nous sommes rencontrés.

MARK PHILLIPS : Vous vous connaissiez déjà à l’époque ?

JOHN TIFFANY : J’étais assistant metteur-en-scène au Traverse Theatre.

J.K. ROWLING : Qui avait un super café où j’avais l’habitude d’écrire. Et il était là. Et quand nous nous sommes rencontrés officiellement pour ce projet, et pour discuter de ce que nous en ferions, je me suis dit qu’il me disait quelque chose. Et il s’est avéré que nous nous étions déjà rencontrés des années auparavant à Édimbourg. Avant la publication d’Harry Potter.

JOHN TIFFANY : Oui, Jo était là, avec sa poussette et son cappuccino.

MARK PHILLIPS : Vous ne saviez pas qu’elle deviendrait JK à ce moment-là.

JOHN TIFFANY : Non, ce n’est arrivé qu’un an plus tard.

J.K. ROWLING : Non, et il était tout de même très gentil avec moi. Il me laissait m’installer là pendant des heures en ne consommant qu’un café.

JOHN TIFFANY : Oui, tu n’arrêtais pas de demander « Ça ne vous dérange pas si je reste là ? ». Et je te répondais « Pas du tout. » Tu ne t’arrêtais pas d’écrire. Et puis un an plus tard, L’École des sorciers est sorti, et elle ne venait plus vraiment au café après ça. Tu n’es pas beaucoup venu ensuite, non ?

J.K. ROWLING : Oh, j’étais toujours dans des cafés, jusqu’à ce que j’en sois chassée.

JOHN TIFFANY : Quand Sonia et Colin [Friedman & Callender, les producteurs de la pièce] sont venus vers moi, j’ai pensé « Wow, c’est une sacrée demande. C’est une œuvre tellement appréciée ». Et puis, visuellement, l’univers avait déjà été magnifiquement exploré dans les films. Mais en même temps, j’avais cette petite voix dans ma tête, j’étais vraiment excité à l’idée de réfléchir à la façon dont la théâtralité pourrait être utilisée pour raconter ces histoires.
J’espérais qu’une histoire de capes, de valises, et de tour de passe-passe pourrait être merveilleusement transposée sur scène. Et alors, j’ai su que si nous poursuivions dans cette direction, qu’une grande partie de notre public serait de parfaits néophytes de la scène, et que c’était l’occasion de leur montrer ce qu’était le théâtre.

MARK PHILIPPS : Mais est-ce que ce n’était pas aussi terrifiant ? Car ces enfants auraient vu les films, où les tours de magie, le vol sur balai, et tout le reste, étaient représentés de manière extrêmement saisissante.

J.K. ROWLING :J’avais totalement confiance en John, je savais qu’il ferait quelque chose d’extraordinaire. Mais je pense qu’à ce stade de ma vie, je ne vois pas l’intérêt de faire quelque chose qui ne soit pas au moins un peu terrifiant. Vous savez, ce serait très facile de refaire la même chose ; les gens aiment, alors répétons les mêmes choses jusqu’à ce qu’ils ne l’aiment plus. Ce qui m’intéresse, c’est de faire des choses qui me plaisent, qui m’enthousiasment, qui me stimulent. La barre va toujours être très haute maintenant.

MARK PHILIPPS : Vous mettez vous-même la barre très haut.

J.K. ROWLING : Il y a des risques à faire ça. Mais créativement, on n’éprouve aucune satisfaction sans prise de risque. Bien sûr, il y aurait forcément des gens qui n’aimeraient pas ce qu’on faisait, qui seraient tristes. Dans un fandom comme celui de Harry Potter, les fans sont vraiment passionnés, et c’est une chose véritablement merveilleuse. Ça vient avec de grandes attentes, et parfois, les gens n’aiment pas ce que vous êtes en train de faire. Je ne peux pas vous dire à quel point j’ai adoré faire Cursed Child. J’ai adoré ça, du début à la fin. Et je suis très fière de ce que John vient de dire, à propos du fait d’avoir fait venir des gens au théâtre pour la première fois grâce à Potter. Nous savons que 60% de notre public n’a jamais vu de pièce de théâtre auparavant. Et nous savons aussi que 15% d’entre eux ne s’arrêtent pas là, et réservent d’autres spectacles. L’idée c’était vraiment de dire, et particulièrement aux jeunes, « ça n’a rien de bizarre ». Tous les trois, notre éducation nous vient uniquement du système public. Nous ne venons pas de famille particulièrement amatrices de théâtre. Nous nous sommes donc dit que c’était l’occasion de faire du théâtre, un lieu souvent perçu comme élitiste – « comment dois-je m’habiller ? Me comporter ? » — un endroit accessible à tous. Le projet a véritablement évolué avec cette philosophie en tête.

JOHN TIFFANY : Oui, en effet.

MARK PHILIPPS : Combien y a-t-il de places dans ce théâtre ? 1200, ou quelque chose comme ça. Comparé à l’impact et au public massifs des livres et des films, ça reste un lieu très fermé, un petit public. Est-ce que ça a été pris en compte au moment de faire évoluer l’idée en une pièce de théâtre ?

JOHN TIFFANY : C’est le principe même du théâtre vous savez. Le théâtre, c’est un groupe de personnes qui s’assoit et regarde une histoire racontée par des acteurs. Nous savions qu’il y aurait une énorme demande en matière de tickets, en raison de l’importance du fandom Harry Potter. Mais nous savions aussi que, si le succès était au rendez-vous, nous réfléchirions rapidement à faire voyager la pièce dans d’autres pays, comme nous nous nous préparons actuellement à le faire à Broadway, et nous sommes très enthousiastes à ce sujet, n’est-ce pas ?

J.K. ROWLING : Très.

JOHN TIFFANY : En développant nos idées pour l’histoire, en discutant de ce que serait l’histoire de Harry Potter and the Cursed Child, j’ai réalisé que nous allions faire quelque chose d’unique, que nous allions prendre un groupe de personnages que le public avait suivi pendant sept livres et huit films et que nous allions raconter une nouvelle histoire à propos de ces personnages. Ça a été un tel honneur, de s’asseoir dans le public depuis les toutes premières représentations et de voir les gens entrer en connaissant ces personnages sans pour autant savoir ce qui allait leur arriver. Et les exclamations ! C’est exactement pour ça que j’allais au théâtre et que je suis devenu metteur en scène ; pour entendre les gens crier et rire, pour ne former qu’une seule entité découvrant cette histoire ensemble. Ça m’a toujours apporté énormément de joie.

J.K. ROWLING : C’est incroyable.

MARK PHILLIPS : Avez-vous eu peur qu’ils n’aiment pas l’histoire ?

J.K. ROWLING : Oui bien sûr. Mon Dieu. Bien évidemment. Je pense que tous les artistes peuvent comprendre ce que nous avons ressenti en nous rendant aux premières représentations publiques. Je pense que tous les trois, nous avions le sentiment d’avoir fait de notre mieux, vous êtes d’accord avec moi ? Nous en étions très fiers, nous pensions avoir fait du bon boulot, mais ce n’était que notre avis à tous les trois. Et le théâtre est très particulier, c’est une expérience viscérale. Et j’étais là, assise dans une de ces loges pour assister à une des premières représentations publiques. Et l’atmosphère était…

JACK THORNE : Ridicule.

J.K. ROWLING : N’est-ce pas ?

MARK PHILLIPS : Mais le poids des attentes… J’aurais pensé…

J.K. ROWLING : Oui, exactement, c’est le poids des attentes. Ces personnes viennent avec de nombreuses idées préconçues. Certaines personnes pensent franchement « ils ont fait ça vite fait, peut-être qu’ils voulaient juste faire encore plus d’argent avec la franchise ». Et nous savions que c’était quelque chose de vraiment nouveau et de différent. Mais ça ne pouvait être prouvé qu’une fois que le public l’avait vu.
En toute honnêteté, je ressens la même chose à l’idée de faire venir la pièce à Broadway. Nous n’y allons pas en pensant « oh, allez, ça va aller comme sur des roulettes », nous y allons en pensant « bon, on va voir ce que ça donne. » On ne sait jamais. On n’a aucune certitude. On ne prend rien pour acquis. C’est Broadway vous savez ? Je pense qu’on ressent une peur assez saine.

MARK PHILLIPS : Y a-t-il eu un moment où vous avez eu l’impression que votre public se rebellait contre ce que vous faisiez ?

J.K. ROWLING : Oh oui, évidemment.

MARK PHILLIPS : Vraiment ?

J.K. ROWLING : Enfin, on vit à l’ère des réseaux sociaux. Vous pensez qu’on ne me dit pas, de manière qui ne laisse aucune place au doute, que j’ai fait ce qu’ils ne voulaient pas voir arriver à un personnage, ou qu’on me demande ce qui m’a pris d’emmener Harry au théâtre ? Non, croyez-moi, à l’époque des réseaux sociaux, je ne me fais pas d’illusions quant au fait que certains ne sont pas satisfaits. C’est comme ça que ça marche.

MARK PHILLIPS : Vous vous souciez de ce que le public pense ?

J.K. ROWLING : Si je m’en soucie ? Vous savez, je vais être honnête avec vous. Oui et non. Donc pour le côté « oui ». Évidemment que je m’en soucie. Pour moi, tout revient toujours aux lecteurs. Donc que les gens aiment les livres et les films, et que ces histoires comptent autant pour eux, c’est tout ce qui importe à mes yeux. Tous les écrivains vous diront la même chose. J’ai énormément d’amour et de respect pour ces personnes. Oublions tout le côté matériel ; ils m’ont donné un sentiment d’appartenance, une raison d’être que je n’avais jamais ressenti avant. Parce qu’il s’est avéré que je savais raconter une histoire. C’est tout ce que j’ai jamais voulu faire de ma vie. Et eux, avec leur enthousiasme, ils m’ont donné ça. Donc oui, ce qu’ils pensent compte énormément.
D’un autre côté, je pense qu’en tant qu’auteur, ou n’importe quel artiste, on doit s’en tenir à notre vision des choses. Et à la fin, être capable de se regarder dans le miroir et se demander « est-ce que j’ai fait ça pour les bonnes raisons ? Est-ce que j’ai donné le meilleur de moi-même ? Est-ce que je suis satisfaite du résultat ? »

MARK PHILLIPS : Parce que vous avez peur de vous vendre ?

J.K. ROWLING : Oh, je sais que je ne vais pas me vendre. Je suis parfaitement consciente du fait que mon temps sur cette Terre est compté. Je n’ai aucune envie de faire certaines choses qui, je le sais, seraient très populaires au sein du fandom. Et je pense que les fans qui m’écoutent en ce moment savent très bien de quoi je veux parler, parce qu’ils ne cessent de me le demander. Mais ça ne m’apportera rien créativement parlant, même si je sais qu’ils iraient tous l’acheter.

MARK PHILLIPS : Est-ce que je peux demander de quoi…

J.K. ROWLING : Je n’en parlerai pas.

MARK PHILLIPS : … il s’agit ? Allez, quand même.

J.K. ROWLING : Je n’en parlerai pas. Je ne dirai pas de quoi il s’agit ; mon fil d’actualité Twitter serait un enfer pendant les trois prochains mois si je le faisais, donc non. Il y a plusieurs choses que je pourrais écrire, et qui se vendraient à des millions d’exemplaires, je le sais. Mais en premier lieu, ça doit me plaire, et ce n’est pas le cas. Donc voilà ; oui, l’avis des fans compte, mais non, parce que je dois quand même faire ce qui me plait.

MARK PHILLIPS : Est-ce que les mécanismes d’écriture pour Harry Potter au théâtre sont différents de ceux des livres ou des films ?

JACK THORNE : Oui. Et pour revenir à la question précédente, je suis un fan des livres. Un immense fan des livres, je me considère comme un Potterhead. Et par rapport à cette question à laquelle Jo ne veut pas répondre concernant ce que les fans aimeraient…

J.K. ROWLING : Chuuuut ! Ne dis rien.

JACK THORNE : Tu sais, il y a une partie de moi qui veut dire « oh, allez s’il te plait. »

J.K. ROWLING : Oh s’il te plait, non.

JACK THORNE : Ça rend le travail encore plus terrifiant de mon point de vue, car si on est « celui qui a ruiné Harry Potter« , le dégout de soi est encore plus fort.
Mais en matière de mécanique d’écriture pour le théâtre, oui, c’est différent à un certain degré. J’ai travaillé avec John sur de nombreux projets, et notre façon de travailler a toujours été : « on « écrit, et on verra si ça marche ». Je n’ai pas écrit en pensant « je suis limité par la scène » mais « je ne suis pas limité parce que John Tiffany et Steven Hoggett [le scénographe] m’attendent à la fin de ce processus. Si j’ai mis de la magie dans le script, ils feront en sorte que ça fonctionne. » Je pense qu’on avait qu’une seule règle.

MARK PHILLIPS : Quelle règle ?

JOHN TIFFANY: Un certain jeu qui apparaît dans l’univers de Harry Potter. Je me suis dit « Non, je ne me lance pas là-dedans ».

J.K. ROWLING: Et j’en suis très contente.

MARK PHILLIPS : Vous ne faites pas voler les enfants ?

JOHN TIFFANY : Oui, je me souviens, Jo était très soulagée.

J.K. ROWLING : J’étais vraiment soulagée oui.

JACK THORNE : Mais en dehors de ça, il n’y avait aucune limite. Et il y a évidemment des différences dans l’écriture entre le théâtre et le cinéma, en matière de longueur des scènes, et tout un tas de choses ennuyeuses comme ça. Mais nous étions bien décidés dès le départ à ne pas nous limiter par la scène.
John répétait tout le temps : « les films ont les effets spéciaux. Nous, on a l’imagination collective du public. Si on peut créer quelque chose qui les fera rêver, ça marchera. »
Je suis retourné voir la pièce il y a quelques semaines. J’étais assis seul dans le public, et le simple fait d’être entre deux personnes, pendant tout ce temps, alors que je ne les connaissais pas, et partager cette expérience avec eux, c’est incroyablement réjouissant pour moi.

MARK PHILLIPS: J’allais poser une question sur comment cette narration collective est apparue. Mais je vais me retenir une minute ; vous avez utilisé l’expression « pendant tout ce temps ». C’est beaucoup de temps.

JACK THORNE : Oui, vous passez la journée avec nous. Et c’est un peu merveilleux.

MARK PHILLIPS : ?a a l’air d’être un, je ne sais pas, une sorte de mini-weekend.

JACK THORNE : Et c’est devenu ainsi parce que nous avons travaillé ensemble sur ce document que j’avais écrit, qui rassemblaient toutes nos idées concernant la pièce. On s’est assis et on s’est dit « c’est vraiment un très long document ». Et ce qui est beau dans les livres c’est que nous passons tellement de temps avec les personnages en train de faire des choses normales ; pensez au rôle de la nourriture dans les livres par exemple ! Nous partageons ces festins avec eux de bout en bout.
Nous aurions pu aller vite et essayer de faire rentrer le plus de choses de l’intrigue dans une expérience théâtrale de deux heures et demi. Mais ça n’aurait pas rendu justice à l’histoire que nous voulions raconter, et ça n’aurait pas rendu justice à Harry Potter. Ça ne nous aurait pas donné l’occasion de passer du temps avec les personnages, de passer du temps à regarder ce qu’ils font et pourquoi.

MARK PHILLIPS : Mais est-il possible de donner trop aux fans de Harry Potter ? Ou est-ce qu’ils prendraient tous ce qu’il leur est proposé… pourquoi alors s’arrêter à deux parties ? ?a aurait pu durer toute une semaine.

J.K. ROWLING : Ce n’est pas parce que les gens veulent beaucoup de choses qu’on doit leur donner tout ce qu’ils veulent. On leur donne juste ce qui est bon pour eux. Et nous avons décidé que ce serait ceci. Et c’est possible de leur donner trop, vous avez tout à fait raison.

MARK PHILLIPS : Et ils restent jusqu’au bout.

J.K. ROWLING : Voilà. C’est très long. Ça fait beaucoup de temps à devoir rester assis, surtout pour des jeunes enfants. Et je suis très, très fière de dire qu’ils sont tous revenus pour la deuxième partie en ayant l’air enthousiaste et impatient.

JOHN TIFFANY : Quand nous avons eu l’idée pour la fin de la première partie, dont évidemment je ne dirais rien, nous avons réalisé que ça voulait dire « ça va être plus long que deux heures et demi. Ça va être un événement en deux parties ». Et vous savez, j’ai vécu des expériences incroyables au théâtre, quand c’est plus long que ce que les gens considèrent approprié. Vous allez dans un espace-temps différent. Et le public a l’air d’aimer ça. Personne n’a l’air de dire que c’est trop long.
Les romans racontent une histoire sur un nombre X de pages. Mais le théâtre a vraiment besoin de plus de temps pour raconter la même histoire. Donc nous savions que nous devrions allonger la durée de la pièce. Sonia Frideman et Colin Callender, nos producteurs, ont été incroyablement encourageants. Même si pour eux, cela allait rendre leur travail plus compliqué ; devoir vendre deux parties.

J.K. ROWLING : Oui, en matière de logistique c’était difficile.

JOHN TIFFANY : En terme de nombre d’entrées.

JACK THORNE : Et nous devions répéter deux pièces de théâtre. Donc tout prenait le double de temps.

MARK PHILLIPS : Les idées des livres viennent de vous [JK Rowling]. Les idées pour les films viennent des livres. Ici c’était étendre l’histoire dans le futur. Qui l’a fait ? Qui, de vous trois, est le plus responsable de l’histoire alors qu’elle s’avance dans le futur ?

J.K. ROWLING : Le développement de l’histoire, je pense, était très collaboratif entre nous trois. J’avais, pour des raisons évidentes, un droit de véto sur tout. Je vais dire « Non, ça ne s’est pas passé ». Mais non, c’était nous trois. Mais la pièce de théâtre est celle de Jack. Jack l’a écrite. Jack a fait le plus gros. Et il l’a fait merveilleusement bien fait. Et je ne pourrais pas en être plus contente.

MARK PHILLIPS : Mais vous aviez encore du pouvoir, comme vous l’avez fait dans les films, un pouvoir de véto, parce que vous pensiez que les personnages de Potter vous appartenaient toujours.

J.K. ROWLING : Ce n’était pas vraiment une question d’appartenance. Je sais que ça va sembler très bizarre. Je sais que c’est bon quand j’ai cette sensation de « Oh oui, évidemment, ça s’est passé comme ça ». Et quand nous étions tous les trois à tergiverser, l’un d’eux disait « bien, que penses-tu de…  » et j’avais cette impression de « Oh oui, évidement, c’est comme ça que ça s’est passé ». Je le savais, c’est tout.
Et des fois c’était moi qui disais « je pense que ceci est arrivé ». Et sans surprise, comme c’était mes idées, je savais vraiment que ces choses s’étaient probablement passées comme ça. Mais souvent, nous étions tous les trois assis en train d’affiner quelque chose, John ou Jack disait quelque chose et je savais « oui, c’est comme ça que ça s’est passé ». J’avais comme une impression d’évacuer quelque chose, c’est comme ça que je sais que je suis sur le bon chemin ; quand je sens que je suis, en fait, en train de dévoiler une histoire qui était déjà là.

MARK PHILLIPS : Ce qui est ce que vous avez toujours dit à propos de Harry Potter.

J.K. ROWLING : Exactement. Et j’ai eu la même expérience avec la pièce. C’était une des expériences les plus joyeuses de ma vie, avec ces deux-là. J’ai absolument adoré du début à la fin.

MARK PHILLIPS : Juste parce que vous pouviez partagé le fardeau ? Ou parce que vous avez tissé une relation ?

J.K. ROWLING : Même pas, parce que vous savez, j’écris des scénarios maintenant, et évidemment c’est un processus beaucoup plus collaboratif qu’écrire un roman. Mais c’était quelque chose de vraiment spécial d’être dans cet espace, dans le théâtre et de travailler ensemble. Et tu as parlé, Jack, de la prestation de Paul Thornley et de Ron.

JACK THORNE : Oui

J.K. ROWLING : Et tu as dit qu’il a aidé en partie à écrire le personnage pour toi.

JACK THORNE : Absolument. Nous avons passé six mois dans une pièce avec un groupe d’acteurs et c’est une des choses les plus belles avec le théâtre, avoir la chance de passer du temps avec des personnes qui s’investissent. Et donc quand tu es en train de créer ces pièces, tout le monde les nourrit. Christine Jones, notre designer. Steven, le scénographe. Vous savez, tout le monde a un rôle à jouer dans la façon dont l’histoire est racontée.
Je dis toujours que John, Steven, et moi, avons créé quelque chose de différent ensemble, et la chose la plus embêtante c’est que mes scènes préférées sont toujours les morceaux que Steven a fait, pas ceux que j’ai fait. Et il y a un moment dans la deuxième moitié de la première partie – est-ce que je peux dire comme ça s’appelle ? Ou est-ce que ça en dit trop ?

MARK PHILLIPS : Vous allez devoir vous débrouiller tous seuls.

JOHN TIFFANY : Tu peux décrire ce que c’est.

JACK THORNE : C’est à propos des deux garçons et ils ont des difficultés l’un avec l’autre. Ils ont du mal à savoir où ils sont dans leur relation.

MARK PHILLIPS : Ok, on peut dire qu’ils se sont fâchés.

JACK THORNE : Oui. Et il y a cette belle danse des escaliers comme on l’appelle. Et j’avais écrit des dialogues pour cette séquence et je crois que c’est à peu près à la moitié des répétitions que tu m’as dit, « Steven va raconter cette histoire bien mieux que ce que tu feras. Donc on peut se passer de mots ici ». Et c’est mon moment préféré dans la pièce. Donc Steven m’a encore fait le coup, il m’a piqué ma scène. Je m’assois à chaque fois avec l’envie de voir ses parties plutôt que les miennes. Ce qui est charmant mais triste en même temps.

JOHN TIFFANY : Mais c’est incroyable de voir le nombre d’éléments qui étaient en place dans « 19 ans plus tard », le dernier chapitre des Reliques de la Mort. Et nous venons de passer cette date, ce premier septembre 2017, ce qui était extraordinaire. Nous avons fêté ça en grande pompe dans le théâtre. Habituellement, nous mettons chaque semaine en vente 40 tickets, à des prix très abordables, pour les meilleures places dans la salle. Et pour cette occasion, nous en avons proposé non pas 40 mais 400 ; et beaucoup de spectateurs étaient venus assister à la représentation en uniforme de Poudlard.

MARK PHILLIPS : Donc maintenant, la pièce fait partie du passé…

J.K. ROWLING: Oui, mais il y a eu un moment magique où les spectateurs ont vu l’action se dérouler à la date exacte à laquelle elle s’est réellement produite.

MARK PHILLIPS : Est-ce que c’est devenu culte ?

JACK THORNE : C’est à dire ?

MARK PHILLIPS : Est-ce que ça a dépassé le stade de la littérature jeunesse, ou même la littérature tout court – le jour où j’y ai assisté, le public était dans un état d’extase silencieuse tout le long. Contrairement à ce que j’avais imaginé, il y a eu très peu de réactions bruyantes durant la pièce. Le public s’assoit et regarde, comme s’il écoutait un sermon ou attendait des réponses, quelque chose comme ça. Est-ce que d’une certaine façon, ça a dépassé la littérature pour devenir un phénomène culturel encore plus large ?

J.K. ROWLING: Quand je rencontre des personnes qui ont la vingtaine, je suis consciente qu’ils ont véritablement grandi avec les livres. Pour eux, les livres sont plus que des histoires. Et je le sais parce que je les ai rencontré, et je leur ai parlé. C’est un vrai privilège. Je suis à la fois reconnaissante et stupéfaite des histoires qu’ils me racontent, comme « ça m’a réconforté pendant le divorce de mes parents » ou « j’étais malade, cloué au lit pendant six mois, et j’ai écouté tous les livres audio. »
Et pour beaucoup, ils lisaient Harry Potter à une époque difficile de leur vie. Ils ont tissé des liens particuliers avec Harry Potter pendant leur adolescence. Ils vivaient ces histoires au moment où Harry, Ron, et Hermione étaient eux-mêmes adolescents. Et je le comprends très bien. Je crois que les choses qui comptent pour vous à cette période vous resteront chères pour le reste de votre vie. Vous vous en imprégniez. Ils deviennent une part de vous. J’ai eu cette expérience avec certaines choses, certaines personnes durant ma propre adolescence, donc je comprends très bien. Je comprends d’où ça vient.

MARK PHILLIPS : Mais ceux qui viennent voir la pièce ici à Londres, ou qui iront la voir à Broadway, est-ce qu’ils font partie de cette génération ? Ou est-ce qu’il s’agit plutôt de leurs enfants ?

J.K. ROWLING : Les deux. Je m’assois habituellement dans une loge qui n’est jamais accessible au public car on peut voir derrière les décors, et voir comment les effets sont produits.

MARK PHILLIPS: Voir les trucages.

J.K. ROWLING: Oui ; donc ce n’est pas gênant si c’est moi qui m’y assoit puisque je sais comment ça fonctionne de toute façon. J’ai vu la pièce une dizaine de fois jusqu’à présent, et je suis toujours assise là-haut dans cette loge, où j’ai une vue imprenable sur le public. Et il y a des familles entières. Parfois, on peut deviner lesquels ont grandi avec les livres, vous voyez ? Donc vous pouvez avoir quelqu’un d’une vingtaine d’années, et puis vous avez de jeunes enfants, et puis les grands-parents, qui leur ont parfois lu les livres eux-mêmes au début. Et c’est sublime à voir.

MARK PHILLIPS : Est-ce que les livres ont réussi à captiver les nouvelles générations qui arrivent ? J’ai connu des enfants qui faisaient partie de cette première génération de fans, et qui sont toujours fans. Mais est-ce que les enfants qui lisaient les livres à l’époque de leur sortie, et qui sont bien plus vieux aujourd’hui, lisent toujours les livres ?

J.K. ROWLING : Je ne peux pas faire de généralités, mais je sais que ça arrive, parce que j’ai rencontré des gens qui me l’ont dit. Je crois que les gens de la génération Harry Potter veulent lire les livres à leurs propres enfants. Ça arrive souvent.

JACK THORNE : Mon neveu a dix ans, et il est complètement obsédé par les livres.

MARK PHILLIPS : Je suppose que la question est, est-ce qu’ils ont résisté à l’épreuve du temps ? Ils ont sans aucun doute été un phénomène culturel lors de chacune de leur sortie.

J.K. ROWLING : En effet. Et cet élan de popularité ne reviendra jamais. Les livres sont sortis, les films sont sortis, et ils sont devenus quelque chose de gigantesque, ce qui n’a pas toujours été une expérience agréable pour leur auteur.

MARK PHILLIPS : Comment ça ?

J.K. ROWLING : Parce que c’était complètement dingue, et étourdissant. Je me disais sans cesse ‘Voilà, on y est. On l’a fait. Ça ne pourra pas être plus démesuré ». Et en réalité, ça continuait à grandir.

MARK PHILLIPS : Même pendant la période de publication des livres, vous pensiez « ça ne peut pas continuer, c’est complètement fou ? »

J.K. ROWLING: Oui, tout à fait. Rien ne peut nous préparer à se retrouver au milieu d’un tel tourbillon. Il n’y a pas de mode d’emploi qui explique comment ça fonctionne. De plus, les auteurs qui écrivent pour la jeunesse ne font généralement pas face à ce genre de phénomène. Ce n’est pas du tout ce que j’avais anticipé.

MARK PHILLIPS: C’est ce dont je voulais parler car…

J.K. ROWLING: Écoutez, je ne veux pas être ingrate. Laissez-moi juste dire ça.

MARK PHILLIPS: Ce n’est pas comme si vous présentiez ça comme quelque chose de négatif.

J.K. ROWLING: Je ne suis pas du tout en train de me plaindre ! Je veux juste être très honnête. Par moment, c’était véritablement éprouvant.

MARK PHILLIPS: Mais comme vous le dites, vous n’aviez pas anticipé ce succès. Je me souviens, lorsque nous avions discuté peu après la sortie du troisième tome, vous disiez que tous les auteurs de livres pour enfants avaient un autre métier. Et déjà à ce stade, vous n’aviez plus besoin d’un second emploi.

J.K. ROWLING: Lorsque nous avions discuté en 1999, j’avais arrêté d’enseigner l’année précédente. J’avais enseigné jusqu’en 1998, et là je m’étais dit « je crois que je peux m’autoriser un break d’un an ». Même si à ce stade, je ne pouvais pas entièrement me le permettre financièrement, je pensais que, compte tenu de la tournure que ça prenait, j’aurais de quoi payer mon prêt immobilier.

MARK PHILLIPS : Parce que vous gagniez assez d’argent déjà à cette époque.

J.K. ROWLING : Ce n’était même pas encore ça. J’ai pensé : « Je tente pendant un an, et je verrai si je peux toujours continuer à rembourser mon prêt. Mais je ne veux pas me dire que je vais arrêter plus d’un an, car sinon ça devient trop difficile de retrouver du travail. » Je ne pouvais pas non plus me permettre de sortir du système trop longtemps, vous comprenez ?

MARK PHILLIPS: Oui, vous ne vouliez pas abandonner votre travail alimentaire.

J.K. ROWLING: Et j’avais un enfant à élever. Si j’avais été seule, j’aurais pu sans regret m’affamer au fond d’un grenier.

JACK THORNE: En quoi ça a changé ton processus d’écriture ? Par rapport à quand tu travaillais toute la journée ? J’ai beaucoup d’amis écrivains, et nous en parlons souvent ; comparé au fait d’avoir un emploi du temps plus serré, comme « je vais travailler, puis je rentre et j’ai, disons, deux heures pour écrire », ça a dû te changer beaucoup ? La pression qu’on ressent quand on n’a rien d’autre en particulier à faire ce jour-là peut être énorme, non ?

J.K. ROWLING: Oh, non, pas du tout, j’adorais ça.

JACK THORNE: D’accord. Tu te sentais libre ?

J.K. ROWLING: Tout à fait.

JACK THORNE: D’accord.

J.K. ROWLING: En 1998, j’étais professeure remplaçante, donc je n’enseignai pas tous les jours.

JACK THORNE: Je vois.

J.K. ROWLING: Et quand j’ai décidé de faire une pause et de voir comment ça se passait, tout en pensant que je ne pouvais pas abandonner l’enseignement pour trop longtemps, je n’ai eu aucun problème à consacrer mes journées entières à l’écriture. C’est comme du gaz ; ça se répand de manière à combler tout l’espace libre.

MARK PHILLIPS : Y a-t-il eu un moment où vous avez réalisé « ma vie est complètement différente de ce que j’avais envisagé ? » « Je ne contrôle plus la situation ? »

J.K. ROWLING : Je pense que ça a été le cas pour tous les moments de ma vie ! (rires) Je ne pense pas avoir un jour eu la sensation d’avoir véritablement le contrôle. Oui, avec Harry Potter, il y a probablement eu un moment où c’était le cas, plus ou moins à l’époque ou nous nous sommes rencontrés.
En 1999, je crois que j’ai commencé à réaliser que ça ne s’arrêterait jamais. Une fois encore, dit comme ça, ça semble très ingrat de ma part. Je ne voulais pas que les livres soient un échec, j’étais tellement heureuse de pouvoir écrire à plein temps. De manière amusante, Azkaban a été un des plus agréables à écrire pour moi, parce que la pression s’était complètement dissipée. Nous n’avions pas encore énormément d’argent, mais je pouvais payer les factures. Je savais que je n’avais pas besoin de retourner travailler au plus vite, et j’avais pu nous acheter une maison, c’était une petite maison très simple dans le centre d’Édimbourg, mais c’était la nôtre. C’était la première fois que j’avais une maison à moi. Donc au moment d’Azkaban, je me souviens m’être dit « OK. Pause, c’est le moment de faire le point ; ça se passe bien. On peut s’en sortir. » Et puis tout est devenu complètement fou dès que les films ont été lancés. Et La Coupe de feu, c’était absolument dingue. Vers 2000, tout a pris des proportions insensées, démentielles.

MARK PHILLIPS : C’est à ce moment-là que les enfants ont commencé à faire la queue toute la nuit en attendant la sortie du livre ?

J.K. ROWLING: Ça avait déjà commencé avec Le Prisonnier d’Azkaban, mais c’était encore mesuré. C’est vraiment vers 2000 que je me suis dit « je n’avais pas vu ça venir. C’est devenu complètement dingue ».

MARK PHILLIPS : Votre vie personnelle a beaucoup changé depuis cette époque, évidemment. Avez-vous eu du mal à trouver votre équilibre par moments, avec toute cette folie Harry Potter ? Ou est-ce que au contraire, l’indépendance que vous garantissait le succès des livres vous a permis d’être davantage vous-même pendant les années de sortie des derniers livres ?

J.K. ROWLING : Voilà qui nous ramène directement à la pièce de théâtre. Dans la pièce, Harry lutte…

MARK PHILLIPS : Vous êtes devenue votre personnage ?

J.K. ROWLING : Il traverse beaucoup de choses, il doit affronter son passé…

JACK THORNE: Une des questions que nous nous sommes posés au début de l’écriture était : “Qu’est-ce que ça fait d’être l’enfant de Nelson Mandela ? »

J.K. ROWLING : Oui, et mes enfants n’ont absolument pas l’impression d’être les enfants de Mandela, soyons clairs !

MARK PHILLIPS : L’enfant d’une personne célèbre ?

JACK THORNE : Pas simplement d’une personne célèbre, mais de quelqu’un qui a sauvé le monde. Harry est perçu comme un sauveur, donc qu’est-ce que ça fait d’être le fils de cette personne, d’essayer de grandir dans ce monde, de se faire sa place.

J.K. ROWLING : Personnellement, à présent, je me sens libérée. J’aime faire des choses qui me terrifient. J’ai l’impression que je n’ai pas voulu me l’avouer pendant longtemps. Mais maintenant, je veux simplement être moi-même, et faire ce que j’ai envie de faire. Harry, c’est différent. Il n’a jamais eu le droit de se cacher. Et dans notre pièce, on le voit essayer de trouver un peu d’intimité.

MARK PHILLIPS : C’est difficile de parler de la pièce quand on n’a pas le droit de spoiler !

J.K. ROWLING : Vous pouvez évoquer les thèmes de la pièce.

MARK PHILLIPS : D’accord. Je me souviens vous avoir entendu dire « il n’y a pas un enfant qui n’a pas un jour regardé ses parents et s’est demandé ‘qu’est-ce que j’ai fait pour avoir des parents comme ça ?’ « . C’est un des thèmes de la pièce, non ?

J.K. ROWLING : Oui, bien évidemment. C’est un thème central. Jack a écrit cette réplique brillante : « On pense qu’être parent est la plus difficile des missions, mais on a oublié que c’était grandir, le plus difficile. » Et pendant que l’on écrivait la pièce, Jack est devenu père. Est-ce que tu crois toujours ce que tu as écrit, Jack ?

JACK THORNE : Je ne sais pas ! (rires)

J.K. ROWLING : J’ai trouvé que c’était une réplique très intelligente, très juste. C’est à la fois ce dont on se souvient et ce qu’on a oublié de l’enfance et de l’adolescence qui rendent le rôle de parent aussi difficile.

JACK THORNE : Et en ce moment, je passe mes journées à me demander comment il sera à 15 ans, parce que moi, j’étais insupportable à cet âge. Alors je fais attention à ce qu’il ne devienne pas comme moi !

J.K. ROWLING : C’est exactement les thèmes de la pièce.

JACK THORNE : Oui, l’essence même de la pièce, c’est la question même : « comment quelqu’un qui a grandi sans père apprend à en devenir un ? »

JOHN TIFFANY : Oui, et un des moments les plus incroyables a été de rencontrer le public, ceux qui découvrent le travail de Jo et le monde de Harry pour la première fois, et ceux qui avaient onze ans quand le premier livre est sorti et ont grandi avec Harry Ron et Hermione. Et c’est un grand honneur. Je ne connais pas un seul enfant de onze ans, tout aussi épanoui qu’il puisse être, qui ne pense pas qu’il ne vit pas dans le bon monde et qui attend qu’une chouette lui apporte une lettre qui dirait : « Nous sommes désolés, tu ne vis pas dans le monde qui est le tien. Tu dois aller dans cette école en Ecosse et apprendre à être un sorcier », et il irait, il retrouverait sa communauté, ses semblables. J’ai réalisé à quel point ces personnes s’accrochent à ces personnages et à cet univers, c’est vraiment devenu une part d’eux-mêmes.

JOHN TIFFANY : Et c’est devenu une source de réconfort. Je ne veux pas dire qu’ils sont déprimés ou malheureux avec leur famille, mais simplement que c’est vraiment difficile de grandir. Et nous, nous avons pu amener ces personnages à l’âge adulte.

JOHN TIFFANY : Et puis nous voyons un public qui vient vivre cette expérience, et c’est fantastique. Et nous avons vraiment hâte de poursuivre l’aventure, en amenant la pièce à New-York.

MARK PHILLIPS : Et y a-t-il une suite à l’aventure ? Ou est-ce vraiment la fin ?

J.K. ROWLING : Il n’y aura pas… Non. C’est fini, il n’y aura pas d’autre pièce de théâtre avec Harry. Ça s’arrête là, avec L’Enfant maudit. Et je ne pourrais pas en être plus heureuse. Je ne pourrai pas reproduire ça. Rien ne pourrait l’égaler. Si personne n’aime la pièce, nous, nous l’aurons aimé, non ? Nous l’avons adoré.

MARK PHILLIPS : Vous vous êtes amusés ?

J.K. ROWLING : Oui, c’était incroyable.

MARK PHILLIPS: Mais ce n’est pas le début d’une autre nouvelle aventure ?

J.K. ROWLING : J’en ai fini avec Harry. C’est terminé. J’ai dû être convaincue de faire les “dix-neuf ans plus tard”, et je suis vraiment heureuse de l’avoir fait, parce que je suis très fière de cette pièce. Mais non, nous ne verrons pas le fils d’Albus aller à Poudlard. Pas tant que je suis là. Dans cent ans, je viendrai hanter la personne qui le fera. En revanche, si nous en avons la possibilité, nous aimerions faire voyager la pièce le plus possible, parce que nous savons qu’il y a des gens qui vivent loin et qui nous disent « Je ne peux pas y aller. Je ne peux pas aller à Londres ». Donc nous aimerions la rendre accessible au plus grand nombre.

MARK PHILLIPS : Vous dites que vous avez besoin de défis pour avancer ? Vous n’êtes pas intéressée s’il n’y a pas un minimum de challenge ?

J.K. ROWLING : Oui.

MARK PHILLIPS: Et vous avez fait d’autres choses depuis Harry ? Je voudrais parler brièvement de ça, si vous le voulez bien. Il y a cette anecdote à la fois ironique et amusante au sujet de votre carrière, au sujet des initiales que vous avez choisies en nom de plume, pour éviter que l’on sache que vous étiez une femme, au début ?

J.K. ROWLING : Comme je l’ai déjà dit, c’était le choix de mon éditeur. J’étais tellement heureuse d’être publiée, ils auraient pu m’appeler Prince s’ils le voulaient. (rires) Je veux dire, ils auraient pu me donner le nom de plume qu’ils voulaient, j’aurais dit, quoi qu’il arrive, : « oui, très bien, comme vous voulez, mais publiez le livre. »

MARK PHILLIPS: Et qui sait ce que ces initiales ont changé…

J.K. ROWLING : Rétrospectivement, je ne pense pas que ça ait fait la moindre différence. Trois mois après la publication, j’avais remporté un prix et j’étais dans le journal. Et je n’ai jamais rencontré qui que ce soit qui m’ait dit « je pensais que vous étiez un homme. » Donc bon, mais ça ne me dérange pas, j’aime bien être “JK”.

MARK PHILLIPS : D’accord, mais là où je voulais en venir, c’est que récemment, vous avez écrit en utilisant un pseudonyme masculin ?

J.K. ROWLING : Oui, en effet.

MARK PHILLIPS: Pourquoi donc ?

J.K. ROWLING : Avec les livres de Robert Galbraith, je voulais un nouveau départ, j’avais une idée pour une saga, alors que j’avais dit que je n’écrirai pas d’autres séries. C’était un gros mensonge. (rires) Mais j’avais toujours eu envie d’écrire des romans policiers. Et je voulais recommencer à zéro, envoyer un manuscrit non-sollicité, recevoir des retours honnêtes, et revivre tout ce processus, et c’est ce que j’ai fait.

MARK PHILLIPS : Pourquoi ?

J.K. ROWLING : Parce que je ne suis pas stupide (rires). Je sais pertinemment que je pourrais écrire un mauvais roman policier et les gens se diraient « Oh, il se vendra bien parce qu’il y a son nom dessus », et ce n’était pas ce que je voulais. Je voulais vraiment le mériter. Donc je l’ai fait, et c’était génial.

MARK PHILLIPS : Ce n’était pas parce que vous doutiez de votre capacité à écrire ? Je pense que le public a un avis plutôt tranché là-dessus.

J.K. ROWLING : Oui, mais c’est un genre différent, vous comprenez ? C’est très arrogant de penser que, parce qu’on sait faire une chose, on sait tout faire. Et je ne suis pas comme ça. J’adore écrire les aventures de Strike, et j’ai réussi, j’ai décroché une offre de la part de quelqu’un qui ne savait pas que c’était moi. En réalité, il y avait plusieurs éditeurs intéressés, et la BBC voulait me rencontrer, sans savoir que c’était moi. Ils voulaient rencontrer « Robert », ce qui était génial, sauf que je ne pouvais pas aller au rendez-vous (rires), parce qu’évidemment, je n’étais pas « Robert ». Donc les choses commençaient à être un peu compliquées quand la vérité a éclaté.

MARK PHILLIPS : Mais on dit aussi que le livre se vendait assez bien, et dès qu’on a su que vous en étiez l’auteur, boum, les ventes se sont envolées ?

J.K. ROWLING : Oui, en effet.

MARK PHILLIPS : Regardons vers l’avenir, si vous n’écrivez plus sur Potter, quels sont vos projets ?

J.K. ROWLING : J’ai sans aucun doute encore plusieurs tomes de Cormoran Strike à écrire. Il y a un autre livre pour enfants, qui sortira à un moment ou à un autre. Je compte continuer à écrire ces scénarios [des Animaux fantastiques], parce que ça me plait vraiment. Et j’ai d’autres idées en réserve, donc, j’ai encore largement de quoi faire.

Source CBS News

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