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Podcast ASPIC ep. 27 : Spécial 20 ans – De Poudlard à la Terre du Milieu

En pleines célébrations des 20 ans de la sortie de Harry Potter à l’Ecole des Sorciers au cinéma, l’Académie des Sorciers vous propose un épisode spécial pour fêter non pas un mais DEUX anniversaires. Un autre grand univers de fantasy a fait une arrivée tout aussi remarquée, le 19 décembre 2021 : Le Seigneur des Anneaux : la Communauté de l’Anneau de Peter Jackson. Qui de mieux que Anne Besson et Vincent Ferré pour nous aider à croiser ces deux univers qui ont changé la place de la fantasy dans la culture populaire ?

Professeure de littérature générale et comparée à l’Université d’Artois et autrice de nombreux ouvrages et articles sur la fantasy, Anne Besson nous fait le plaisir de revenir dans ASPIC après notre épisode 11, consacré au transmédia et à la question du canon. Vincent Ferré est lui aussi professeur de littérature générale et comparée, à l’Université Paris Est Créteil. Grand spécialiste de l’œuvre de J.R.R. Tolkien, il lui a consacré plusieurs ouvrages. Il a également été commissaire de la grande exposition Tolkien qui s’est tenu à la BNF en 2019.

Dans cet épisode, nous tentons de croiser les œuvres de Tolkien et Rowling, autant pour pointer leurs grandes différences que ce qui peut les rapprocher. De leur rapport à l’écriture, jusqu’à la figure du héros et de la quête, en passant par la représentation des créatures fantastiques… Une discussion intéressante et captivante !

Invitée : Anne Besson et Vincent Ferré
Chroniqueuses : Marjolaine & Alix
Graphisme : Salem

Montage : Marjolaine
Générique : Kalegula, d’après des thèmes de Patrick Doyle et John Williams
Transcription : Rowenaz

MUSIQUE 

Sorcières, sorciers et moldus, erudits ou curieux, bienvenue dans ASPIC, l’Académie des Sorcers, un podcast intéressant et captivant, une émission proposée par la Gazette du Sorcier. 

Alix (Al) : Bienvenue dans ce vingt-septième épisode de l’Académie des Sorciers, je suis Alix… 

Marjolaine (M) : Et je suis Marjolaine. Et pour cet épisode, ce mois-ci, on fête l’anniversaire de deux monstres cinématographiques que sont Harry Potter, bien sûr, et le Seigneur des Anneaux, dont les premiers volets fêtent tous les deux leurs vingt ans au cinéma en ce moment ! On s’est dit que c’était l’occasion parfaite pour consacrer un épisode aux parallèles qui existent entre ces deux œuvres. Pour ça, on n’a pas invité n’importe qui, puisqu’on accueille Anne Besson et Vincent Ferré. Bienvenue à tous les deux ! 

Vincent (V) et Anne (An) ensemble : Bonjour ! 

Al : Bienvenue ! Si vous aviez déjà écouté nos précédents épisodes, vous avez déjà pu découvrir Anne Besson dans l’épisode 11 où on avait discuté de la place de l’auteur et de l’univers transmédia de Harry Potter. Anne Besson est professeure en littérature générale et comparée à l’université d’Artois, spécialiste en littérature de l’imaginaire et autrice de nombreux ouvrages de fantasy, comme « Le Dictionnaire de la Fantasy », « Constellation des Mondes Fictionnels dans l’Imaginaire Contemporain » et le petit dernier en date dont on a proposé une critique sur le site de la Gazette en début d’année : « Les Pouvoirs de l’Enchantement : usage politique de la fantasy et de la science fiction ». 

M : Qu’on a beaucoup aimé d’ailleurs ! On en profite pour le dire en direct. 

An : Merci beaucoup, ravie de vous retrouver ! 

Al : Et pour la première fois dans ce podcast, on a aussi le plaisir d’accueillir Vincent Ferré, lui aussi professeur en littérature générale et comparée, à l’université de Paris Et-Créteil. Grand spécialiste de l’œuvre de Tolkien, il a écrit et dirigé plusieurs ouvrages sur le sujet, dont « Le Dictionnaire de Tolkien », supervisé les traductions et retraductions de l’œuvre de Tolkien récemment aux éditions Bourgois, dont « Le Seigneur des Anneaux », le « Silmarillion” et « Le Hobbit »… 

V : Exactement. 

Al : Et qui était récemment commissaire de la sublime exposition Tolkien qui a eu lieu à la BNF sur la saison 2019-2020.

M : Exposition qu’on a aussi adorée ! 

V : Merci ! 

Al : J’y ai passé une journée entière je pense… 

M : Oui, cumulé une journée entière, deux demi-journées ! 

V : Bravo ! 

Al : Bienvenue à tous les deux et merci de nous rejoindre. 

M : Vincent Ferré, c’était un peu notre seule occasion de t’inviter puisque tu nous l’as dit hors enregistrement, tu n’es pas spécialiste d’Harry Potter et de Rowling. Je ne dis pas que c’était le prétexte pour t’inviter mais on s’était dit quand même que c’était chouette d’avoir deux regards sur ces deux univers même si Anne Besson, bien sûr, connaît très bien Tolkien et le Seigneur des Anneaux. Comme ça on a deux spécialistes ! 

Puisqu’on fête l’anniversaire des premiers volets des adaptations au cinéma d’Harry Potter et du Seigneur des Anneaux, on peut peut-être dire un petit mot sur ces adaptations ? Ce n’est pas une question que j’avais prévue mais j’y ai pensé juste avant, peut-être commencer par se souvenir de où on était il y a vingt ans, pour la sortie de ces films… ? Alix et moi, on était enfants. 

V : Mais nous aussi ! 

M : C’est vrai ! En tout cas, pour moi ça a été ma porte d’entrée sur ces deux univers parce que je n’étais pas lectrice avant, ni de Harry Potter ni du Seigneur des Anneaux. Alix, je sais que tu lisais déjà Harry Potter. Peut-être pas le Seigneur des Anneaux par contre ? 

Al : Non, je ne lisais pas le Seigneur des Anneaux et je n’ai pas vu le tout premier au cinéma. Je l’ai vu un peu après. Je ne sais plus si c’est le deux ou le trois que j’ai vu le premier au cinéma, j’ai un doute. Peut-être le deux, et je me demande si je n’avais pas vu le premier en cassette ! 

An : Il se trouve que Vincent et moi on se connaît depuis plus de vingt ans, on se connaît depuis vingt-cinq ans puisqu’on était à l’école normale supérieure ensemble. Donc on était déjà amis et on travaillait déjà sur Harry Potter et Tolkien ensemble ou respectivement à cette époque-là ! Donc moi je commençais à être très sollicitée par la presse et les médias autour de Harry Potter parce que j’avais fait ma thèse, qui ne parlait pas d’harry potter mais qui corrélait vraiment très bien avec la manière dont fonctionnait le cycle de Rowling, puisque j’avais mis en place cette catégorie du « cycle » et qu’au moment où les romans ont commencé à sortir en même temps que les films, l’intérêt s’est décuplé pour ce type de fonctionnement – transmédiatique en plus. Et Vincent était déjà impliqué dans les questions de diffusion et de traduction de Tolkien en France, à ce moment-là via le film. 

V : En fait, en 2001, moi je n’ai pas vu le premier Harry POtter avant de le voir avec mes enfants, de même que je n’ai pas lu en entier Harry Potter, je leur ai lu par bribes et pendant qu’eux lisaient dans la journée je continuais le soir la lecture – donc j’ai une connaissance un peu discontinue de Harry Potter. En revanche pour le film de Peter Jackson, mes souvenirs sont très nets puisqu’à l’époque je venais de publier un livre aux éditions Bourgois sur Tolkien, et avec Christian Bourgois on avait rigolé en mettant sur la quatrième de couverture « Au moment où va sortir le film… »etc. Parce qu’à l’époque, il faut savoir qu’il y avait des mois voire un an qui s’écoulaient entre le moment où un film sortait aux états-unis et le moment où il arrivait en Europe. Donc Christian Bourgois avait publié mon premier livre sur Tolkien en février pour le salon du livre en disant : « On verra bien quand sortira le film ! ». Et est arrivé un raz-de-marée qu’on a commencé à anticiper en voyant l’effervescence sur le web. Il faut bien imaginer qu’en 2001 ça ne faisait que trois-quatre ans que le web s’était développé en France et que Tolkien était particulièrement populaire via plusieurs sites et forums de discussion dont certains existent encore. Il y avait une vraie attente populaire, une vraie attente de lecteurs et un buzz de plus en plus fort. Le souvenir de 2001 du film de Peter Jackson c’est aussi la projection presse, la fête qui avait été donné au centre culturel canadien à Paris en présence de toute l’équipe du film avec Peter Jackson qui était à côté de moi pendant le discours de l’ambassadeur, John Howe, Alan Lee qui était là, Christopher Lee qui est arrivé en star avec deux créatures dantesques en sortant d’une limousine… C’est des images que j’ai, j’avais vingt-cinq ans ! Premier contact avec Christopher Lee de cette manière là, donc des souvenirs très forts mais uniquement du côté Jackson et Tolkien. 

An : Moi je n’avais pas du tout cette vie de star ! Désolée mais je n’ai approché personne ! Je préfère le dire dès maintenant ! 

M : D’autant plus vie de star pour Vincent que tu étais quand même impliqué, d’après ce que j’ai lu et on en a vite fait discuté avant l’enregistrement, dans l’adaptation pour le doublage français, c’est ça ? 

V : En 2001 j’étais en train d’écrire une thèse sur Proust à l’université Rennes 2 et des romanciers contemporains en littérature comparée, mais j’avais quelques année plus tôt passé un an en Angleterre à Cambridge et j’avais écrit un manuscrit d’un livre de présentation du Seigneur des Anneaux. Et ce manuscrit je l’avais envoyé par la Poste à l’éditeur français, Christian Bourgois, et il a été miraculeusement édité. Je le dois beaucoup à Isabelle Varange qui travaillait aux éditions Bourgois et qui a remis le manuscrit sur le haut de la pile, Christian Bourgois l’a retrouvé et m’a appelé. C’est comme ça que j’étais publié, je ne l’oublie pas ! Les distributeurs français du film de Peter Jackson ont rencontré un écueil qui était que traduire les dialogues du premier Seigneur des Anneaux, qui sont proches du roman – après Jackson prend de plus en plus de libertés mais dans le premier volet il y a une proximité avec le roman et les dialogues – c’était un anglais très particulier. Donc j’ai été sollicité pour aider à traduire le doublage. J’ai aussi servi pour les sous-titres donc j’ai travaillé avec des acteurs, chez Dubbing Brothers, j’ai découvert le travail de synchronisation des lèvres à l’écran avec le texte qu’on leur faisait dire, la nécessité de trancher parfois en faveur de la vraisemblance de la prononciation quand on a le choix avec une série de formulations qui collent avec l’anglais… C’était un exercice intéressant, j’ai trouvé. Je n’ai pas souhaité continuer à travailler sur les films 2 et 3 pour des raisons qui étaient liées à mes conditions de travail là-bas, mais c’était aussi… je parlais tout à l’heure des rencontres autour du film, j’avais rencontré préalablement John Howe et Alan Lee avec lesquels des contacts ont duré. Actuellement c’est plutôt Alan Lee. Mais avec John Howe, par exemple, il y a eu cette expo à la BNF en 2003, je suis intervenu quand il a été artiste en résidence à Saint-Ursanne en Suisse en 2007. Et avec Alan Lee, j’ai eu le plaisir de traduire ses deux cahiers de croquis pour Bourgois, donc le cahier de croquis du Hobbit et celui du Seigneur des Anneaux qui sont vraiment à la base de l’imaginaire mis en image par Peter Jackson dans ces deux trilogies. 

M : Je pense qu’on va reparler justement de l’image, par rapport à la représentation qu’on a, les références médiévales… J’ai aussi une question pour Anne, puisqu’on fête ces deux anniversaires des 20 ans de l’adaptation en même temps, et je me demandais, est-ce qu’avec un peu de recul c’est un hasard qu’on ait ces deux phénomènes en même temps ? Est-ce que c’est parce qu’on a eu le Seigneur des Anneaux et Harry Potter en même temps que ça a complètement changé la place de la fantasy dans la culture populaire ou est-ce qu’il y avait déjà le terrain qu’il fallait pour que ça émerge ? 

An : Oui, il y avait le terrain qu’il fallait, je pense. Dans la question elle-même, il y a un effet de téléologie. On ne peut pas réécrire l’histoire et on voit que c’est ça qui s’est passé. On ne peut l’interpréter que comme ça. Effectivement, on a à ce moment-là cette convergence de fil qui produit une explosion. Je ne sais pas si ma métaphore de la bombe va fonctionner, mais il y a un certain nombre d’éléments qui convergent comme ça pour produire ce qu’on a pu observer au tournant du siècle. A savoir le fait que la fantasy, qui était jusqu’alors un genre très vivant, très dynamique, avec les grands cycles romanesques des années 90 de « La Route du Temps », à Robin Hobb en passant par George Martin… Tous ces gens-là écrivaient déjà avant le tournant des années 2000, donc c’est là, ça existe, mais ça n’est pas du tout considéré, en particulier à l’échelle internationale, de la même façon que ça va l’être tout de suite après. Les éléments sont là mais ils ne sont pas repérés, notamment en France. Le genre de la fantasy n’est pas totalement identifié. Le troisième phénomène qui se passe en 2001, c’est la création de Bragelonne aussi, c’est-à-dire de maisons d’éditions – il y en a quelques-unes qui s’étaient créées en France juste avant – consacrées à la fantasy. Mnémos, Bragelonne, Nestiveqnen apparaissent en France tout à fait à ce moment-là. Donc il y a une coïncidence. C’est très clair. Maintenant, cette coïncidence, pour ce qui relève de Rowling et Peter Jackson, me semble relever du hasard. C’est-à-dire que je ne pense pas, je suis à peu près convaincue que Rowling n’a pas écrit Harry Potter parce que Peter Jackson était en train d’adapter le Seigneur des Anneaux. Je pense que ces deux moments n’ont strictement rien à voir. Après, il est tout à fait possible que les adaptations de Harry Potter aient été très accélérées parce que le succès des films de Peter Jackson était venu montrer qu’il y avait-là un public tout à fait disposé, pas seulement à lire des livres mais aussi à se rendre dans des salles de cinéma pour assister au grand spectacle de la fantasy sur écran. Très vite, ça converge, mais je pense que l’origine est distincte. Vous savez sans doute mieux que moi si Rowling a lu Tolkien, probablement l’a-t-elle lu. Mais ce n’est pas tout à fait sa culture, ce n’est pas tout à fait son monde, ce n’est pas tout à fait dans cette intertextualité là qu’elle s’inscrit, qui est beaucoup plus à l’époque celle de la littérature merveilleuse de la jeunesse, de la school story anglaise… Elle a beaucoup de références mais Tolkien n’est pas forcément au premier plan et il n’y a pas chez elle un désir de s’inscrire dans le genre fantasy pour le renouveler, au départ. 

Al : Je pense  qu’au niveau cinématographique, on est peut-être aussi arrivés à un moment, au début des années 2000 – et là on peut moins parler de coïncidence – où les effets spéciaux deviennent plus accessibles donc ce qui était possible au début des années 2000 ne l’était pas 10 ans avant pour Tolkien. J’ai beaucoup regardé, petite, et j’ai beaucoup été traumatisée par le dessin animé du Seigneur des Anneaux, qui m’a donné quelques nuits blanches… On est quand même à des années lumière de ce que Peter Jackson a fait après au cinéma ! Je pense qu’on était arrivés à une ếrpiode où on pouvait faire du grand spectacle sur grand écran, ce qui n’était pas envisageable dix ans auparavant. Peut-être que ça a joué aussi sur le timing. 

An : Oui, tout à fait ! C’est ce qui rend possible l’adaptation du Seigneur des Anneaux par Peter Jackson, très clairement. 

M : Puisqu’on parlait du fait que Rowling et Tolkien sont quand même deux personnalités très différentes et qui s’inscrivent dans un milieu très différent… Alix ? 

Al : Oui, on est sur deux auteurs qui sont anglais tous les deux et qui ont perdu leur mère jeune, mais c’est vrai que sur les similitudes on s’arrête un peu là. On a d’un côté une jeune femme qui est certes éduquée, qui a fait des études à l’universté et qui a voyagé en Europe, donc qui a eu un certain nombre de privilèges, mais qui n’est pas issue d’un miolieu social particulièrement universitaire… Elle n’a pas ce cadre-là, contrairement à Tolkien. Elle écrit les premiers tomes de Harry Potter dans une certaine précarité financière, là où Tolkien était un universitaire à Oxford, et pas vraiment à la même période puisqu’on parle du milieu du 20ème siècle, les années 40-50 pour Tolkien et les années 90 pour Rowling. Je ne sais pas si vous voulez dire un mot sur ces auteurs-là, leur parcours qui a pu aussi influencer ces choix, ces thématiques de fantasy ? 

V : Anne l’a bien dit, les lectures, les influences sont complètement différentes. Il faut imaginer que Tolkien est né carrément à la fin du 19ème. Donc il a à peu près 25 ans à la fin de la première guerre mondiale, il y a été officier dans les transmissions, il a survécu miraculeusement à la bataille de la Somme, il est tombé gravement malade, il a été rapatrié et il a mis vraiment du temps à retrouver la santé après des mois de convalescence à cause de la fièvre des tranchées. Puis il s’est lancé dans une carrière de professeur de littérature et de langues médiévales, principalement anglaises – vieil anglais et moyen anglais. C’était vraiment un médiéviste, c’est quelqu’un dont le métier consistait à commenter et éditer des textes médiévaux, à lire les manuscrits, à les rendre accessibles au grand public… Cette année, on parle un petit peu de “Sire Gauvain et le Chevalier Vert” ; il a par exemple proposé une édition de ce roman médiéval pour la première fois accessible au grand public et au public d’étudiants à Oxford. Comme l’a dit Anne, ses influences à lui, elles sont très différentes de celles dont Anne a parlé pour Rowling. Ses influences il faut les chercher du ĉoté du 19ème et en particulier de quelqu’un comme William Morris dont on parle régulièrement et qui est peut-être l’inventeur de la fantasy, cet homme qui a été aussi un passeur entre les traditions nordiques et la tradition anglaise – ça aussi c’est une marque de fabrique de Tolkien. Pas forcément l’auteur de récits qui se passent en Terre du Milieu mais du Tolkien fasciné par les sagas nordiques, qu’il a réécrites, qu’il a traduites ou adaptées en anglais… en particulier l’histoire de Sigurd et du dragon. Voilà pour Tolkien. 

An : Je ne vais pas du tout faire la bio de Rowling parce que je pense vraiment que vos auditeurs la connaissent très bien et vous l’avez rappelée, mais ce que ça veut dire ces distinctions, c’est à quel point le contexte d’écriture, le contexte de production, le contexte dans lequel les auteurs et autrices ont vécu et écrit est décisif pour leur oeuvre. Même si en surface, la fantasy peut nous sembler très homogène, si on peut voir une vraie continuité au sein du genre dans les thématiques, les structures narratives…etc qui sont développés, c’est un genre qui peut sembler le même de Tolkien à Rowling, en particulier si on passe par le biais des films qui sortent au même moment et qui donc produisent cet effet d’aplatissement chronologique – c’est simultané. Sauf que derrière ces films, il y a des œuvres qui ont été produites à plus de cinquante ans d’écart, même soixante ! On peut étendre ce délai-là. Donc ça veut dire qu’entre temps le monde autour des auteurs a changé et ce que pouvait vouloir dire la fantasy pour eux a également profondément changé. Des valeurs peuvent être tout à fait communes entre Tolkien et Rowling, mais d’autres ont pu, tout simplement avec les attentes sociales et les normes qui entourent chacun des auteurs se métamorphoser au point que la comparaison doit impérativement en tenir compte. 

V : Absolument ! Pour donner un exemple concret, Tolkien écrivait aussi, avant tout, pour lui et ses amis proches. Quand on parle d’Oxford et du professeur à Oxford, il ne faut pas oublier qu’il était habitué à ces rencontres amicales avec son cercle. Il y a eu plusieurs cercles amicaux, mais le plus célèbre c’est celui des Inklings qui réunissait des gens comme C.S Lewis, qui a écrit Narnia en écoutant Tolkien. Je vais le dire de manière moins polémique comme ça, mais vraiment l’écriture de fantasy chez Lewis, elle est déclenchée aussi par les discussions avec Tolkien. Des gens comme Charles Williams également, plus tard le propre fils de Tolkien, Christopher Tolkien, qui sera l’éditeur de ses œuvres après sa disparition en 73, rejoindra le groupe. Il y a une forme de sociabilité dont parle Anne qui est complètement différente de celle de J.K Rowling, évidemment. La visée est différente. Il ne faut pas oublier que Tolkien a inventé le Hobbit pour ses enfants, puis il a mis le texte par écrit, il a inventé Roverandom pour ses enfants, les Lettres du Père Noël qui ont été publiées pour la première fois il y a 45 ans – on fêtait le 45ème hier au moment de l’enregistrement de cette émission. C’est vraiment pour un cercle familial, ou amical pour le Seigneur des Anneaux. Donc la production est différente, la visée est différente et le rapport au modèle est complètement différent. 

Al : Il me semble aussi – corrige-moi Vincent si je dis une bêtise – que Tolkien avait aussi cet objectif de créer des langues. C’était aussi cette envie de beaucoup créer des langues qui a motivé l’écriture du Seigneur des Anneaux…etc, qui était très différent des objectifs de Rowling. 

V : C’est lié à la question que vous avez préparée quand on a discuté l’émission : la création d’un monde. Des écrivains architectes, ils ne partent pas du tout du même point de départ. C’est vrai que Tolkien était avant tout fasciné par les langues et par les sortes de visions d’autres mondes que comportent les mots, les noms propres qui nous échappent, les langues qui ont disparu et dont il reste des traces… Être spécialiste de langues et littérature médiévales européennes, c’est être confronté au fait qu’il n’existe plus qu’un manuscrit de tel récit extraordinairement important. Je pense à Beowulf : il n’en existait plus qu’un manuscrit qui par miracle a échappé à un incendie ! Autrement dit, on est conscient de la précarité des langues, des cultures, des civilisations, du fait que des mondes ont pu exister avant le nôtre, dont on n’a pratiquement aucun souvenir… Tout cet imaginaire culturel est créé par ce rapport aux langues, et Tolkien avait à la fois un rapport rigoureux et artistique aux langues. On sait qu’il aimait beaucoup inventer des langues, les spécialistes des langues imaginaires de Tolkien disent qu’en gros il en a conçu une cinquantaine. Il en a nommé, désigné, envisagé une cinquantaine. Sur cette cinquantaine de langues imaginaires douze ont été développées à des degrés divers et les deux plus célèbres sont les langues elfiques. Ces langues en question, il les a portées à un degré de perfectionnement extraordinaire en inventant pas seulement des grammaires et un vocabulaire mais aussi une histoire de l’évolution des langues. De même que le français moderne dérive de l’ancien français qu’on peut remonter au latin et qui a des racines communes avec l’indo-européen, Tolkien a inventé des arbres généalogiques de langues et il a développé chaque langue a chaque étape de l’histoire de son univers. Tout se tient chez lui, c’est vraiment une marque de fabrique. Il a continué à travailler toute sa vie à cet univers. 

An : Oui, et ce que ça produit chez lui c’est quelque chose de très très buissonnant. Ce qu’on en connaît de publié avant le travail que va faire son fils, qui était absolument décisif pour notre connaissance de l’œuvre de J.R.R Tolkien, n’est que la pointe d’un iceberg. Tolkien a énormément travaillé, retravaillé beaucoup d’histoires laissées dans un état d’inachèvement partiel, du moins à ses yeux, ou toujours repris, remis sur le métier. C’est une grande différence avec la manière dont travaille Rowling, dont on peut comprendre son travail à l’heure qu’il est, c’est-à-dire sans avoir forcément accès à énormément de la matière génétique de son œuvre. De ce qu’on en sait, elle a d’emblée prévu une architecture narrative en 7 volumes, avec une fin déjà préécrite… quelque chose qui était d’emblée fermé, clair dans son esprit. Alors que si Tolkien ne cesse de construire son monde, la manière dont vont s’y arranger les histoires est peut-être moins immédiatement évidente à ses yeux. Je pense que Rowling construit plus un récit qu’un monde. Tolkien construit un monde, très clairement, sur une base qui est linguistique, tandis que Rowling va construire d’abord et avant tout un récit autour d’un personnage. Ce n’est pas le cas non plus pour Tolkien, les personnages, les héros sont multiples et concurrents pour son intérêt. Rowling c’est un récit, c’est un personnage, et ça va être beaucoup plus, de ce qu’elle en raconte, un certain nombre d’images, des choses qui lui viennent en tête… ce garçon avec ses lunettes et sa cicatrice, la gare, les dessins qu’elle fait elle-même, ceux du Chemin de Traverse par exemple… Ça va plus passer par ce mode-là de création. Là encore, on peut dire que ça aboutit à des choses comparables dans ce qu’on connaît aujourd’hui à savoir une galaxie transmédiatique de fantasy, mais les projets créateurs, créatifs, sont vraiment différents. 

M : C’est presque comme si pour Rowling… Ça reste foisonnant, il y a plein de petits détails qui donnent un côté… pas aussi complet que Tolkien, ça serait quand même exagéré, mais le monde, on le sent vivant. Mais c’est comme toute cette richesse du monde construit au fur et à mesure et au service, comme tu disais Anne, d’un récit bien carré, même circulaire plus que carré, des 7 tomes. Tolkien c’est plus l’inverse, c’est le récit qui est au service du monde, de nous guider comme ça dans ce monde qui est pour le coup beaucoup plus étendu au niveau de la profondeur historique, des détails… 

Al : Des civilisations… 

M : C’est aussi un monde complètement différent, deux fantasy différentes comme on l’a évoqué… Entre Rolwing où c’est un monde connecté au nôtre, avec toute une partie directement liée aux moldus, à nous, alors que Tolkien c’est une autre version de notre monde, c’est complètement un autre univers. 

V : Absolument, mais Tolkien est aussi quelqu’un qui cherche une forme. Il invente vers 1916-1917, quand il est convalescent, les premières versions des contes perdus et tout au long de sa vie il n’a pas cessé de réécrire ces histoires en les étendant, en leur faisant perdre leur caractère un peu enfantin du début, ou simple, trop proche du conte… Il est passé aux vers, il est revenu à la prose, dans le Seigneur des Anneaux il incorpore une cinquantaine de poèmes et de chansons à la prose… C’est quelqu’un qui, tout au long de sa vie, est extraordinairement doué pour inventer des débuts d’histoire et pour les réécrire sans cesse en faisant varier les points de vue. C’est pour ça que son fils Christopher a eu autant de travail ! Il a travaillé à une vitesse extraordinaire, je suis stupéfait de voir qu’il a réussi à faire paraître 23 livres en si peu de temps, des éditions de textes de son père alors que là, ces jours-ci, paraît un texte qui s’appelle La Nature de la Terre du Milieu, édité par Carl Hostetter qui publie à son tour des manuscrits métaphysiques, linguistiques… sur Tolkien. Lui-même dit qu’il a mis 25 à publier ce livre ! Un livre en 25 ans, Christopher Tolkien c’est 25 livres en 50 ans ! Il faut imaginer la puissance de travail. C’est incroyable. 

Pourquoi est-ce que Christopher a eu autant de travail ? C’est qu’il a voulu rendre compte de la naissance progressive et par vagues d’écriture du monde, ce qui a donné en particulier les douze volumes de ce qu’on appelle l’histoire de la terre du milieu, où il nous montre pas à pas les différentes phases d’écriture de son père, les différentes versions… Ce sont des présentations un peu érudites avec introduction, notes, commentaires, mais c’est une manière très rigoureuse de montrer comment un monde naît et c’est une plongée incroyable dans la pensée d’un créateur ! Christopher lisait à livre ouvert dans l’esprit son père. Il y avait une proximité de pensée vraiment étonnante et son père a tellement parlé de son œuvre qu’il était capable d’interpréter beaucoup de faits simplement qui pour nous sont des hypothèses. L’oeuvre de Tolkien, on parlait d’iceberg tout à l’heure, c’est vrai que non seulement seul le sommet apparaissait au moment de sa mort – le Hobbit et le Seigneur des Anneaux – mais surtout on considère souvent que l’ensemble des pages écrites par Tolkien sur les langues imaginaires représente un volume équivalent au nombre de pages consacré à des récits et à des poèmes que Christopher a mis 50 ans à publier. Donc vous imaginez la productivité foisonnante de l’esprit d’un homme qui pour l’essentiel travaillait la nuit ou pendant les vacances parce que le reste du temps il était prof à plein temps à Oxford et extrêmement impliqué dans son travail à l’université ! 

M : On se demande s’il dormait ! Par rapport à ce qu’on a déjà évoqué, l’imagerie, le rapport à l’histoire en général et au Moyen-âge en particulier… En l’occurrence, les films nous ont obligés à faire ce parallèle visuel par rapport aux références qu’on a pu voir dans les représentations. On peut revenir sur ce rapport à l’histoire des deux auteurs ? On a déjà évoqué que forcément du côté de Tolkien ce sont des références érudites d’un médiéviste, c’est son travail à plein temps de travailler cette matière, pour Rolwing ce n’est pas le cas… Mais avant qu’on revienne sur le Moyen-Age je voulais parler des références, dont on parle assez souvent dans notre podcast, à l’histoire du 20ème siècle, puisque là, le fait que Tolkien l’ait vécu aux premières loges, notamment la première guerre mondiale mais lors de la seconde guerre mondiale, il était aussi en train d’écrire, ou en tout cas de construire son univers… Et Rowling fait énormément référence à l’histoire du 20ème siècle, en particulier du fachisme avec l’idéologie de Voldemort…etc. Comment on peut voir la manière… – pour Tolkien on ne peut pas le lire, on est obligés vraiment d’aller chercher plus loin entre les lignes pour trouver ces références sur l’imagerie de la guerre… Ce n’est pas écrit que c’est une référence à ce qu’il a vécu pendant la première guerre mondiale alors que Rowling c’est beaucoup plus explicite. Comment peut- on comparer ces deux rapports à l’histoire du 20ème siècle dans l’œuvre ? 

An : Il y a clairement, là encore, des choix assez radicalement différents qui sont effectués par ces deux auteurs dans la manière dont ils vont proposer ces références au public et les assumer ou non. Notamment parce que ça n’est pas les mêmes publics. Rowling écrit pour les enfants, elle écrit pour la jeunesse et elle l’a toujours revendiqué, assumé. Son public transgénérationnel existe mais ça n’est pas d’abord aux adultes ou même aux enfants en train de grandir qu’elle s’adresse, elle s’adresse aux enfants et pour s’adresser aux enfants il faut un message qui soit relativement explicite, même si il n’est jamais marqué en gros que les partisans de Voldemort sont des nazis. Ça demande un tout petit peu de décryptage qui est à la portée d’un enfant à partir de 10-11 ans, en train de grandir, en train d’apprendre l’Histoire en parallèle du fait qu’il est en train de découvrir les Harry Potter. C’est quelque chose qui semble très fonctionner et qui est très apprécié par les jeunes lecteurs, d’être capables de faire ce décryptage et que ça les accompagne dans une prise de conscience politique éventuellement, encore embryonnaire mais qui consiste à rejeter un certain nombre de travers liés à l’intolérance étatique. 

En revanche, Tolkien, lui, a très clairement pris position contre toute interprétation qu’il nomme « allégorique »… C’est une question qui est intéressante et un peu compliquée, mais gloablement,, il écrit noir sur blanc « l’anneau n’ets pas la bombe, les orques ne sont pas des communistes pas plus que les communistes ne sont des orques ». Il rejette très explicitement toute tentative pour rabattre sur la fiction sur une interprétation historique unique. C’est quelque chose qu’il a toujours voulu faire parce que la tendance des interprétations, la tendance du lectorat va vers ça. On a envie, toujours, de lire l’œuvre à l’aune de l’histoire qu’on vient de traverser ou de l’histoire qui est la nôtre, et Tolkien a envie que son œuvre ait un sens plus haut, qu’elle échappe à une actualité qui l’enfermerait. Il a vraiment voulu effacer tout ce qui pouvait relever des parallèles trop directs, que ce soit pour l’histoire contemporaine ou pour les références médiévales, de manière à ce qu’on son monde flotte un peu au-dessus de tout contexte trop précis et puisse survivre, accéder à une pérennité qui lui est ainsi permise par le fait qu’il n’y a pas d’enfermement dans une interprétation. 

V : Ce qu’on peut ajouter c’est qu’on a tendance peut-être à… Tolkien a dû se défendre de ce genre d’interprétations parce que les critiques de l’époque ont eu du mal à le mettre dans une case préexistante. Quand le Hobbit a été publié, la presse a dit « Ah c’est comme Lewis Caroll, Alice au Pays des Merveilles ! », ce qui l’a énervé. Quand le Seigneur des Anneaux a été publié en 1954-55, des critiques, en particulier un fameux critique, a dit que c’était de la junk littérature pour enfants, je traduis en termes choisis mais c’est beaucoup plus brutal et vulgaire que ça ce qu’il a dit. Il y a eu vraiment une difficulté pour l’identifier donc ce rattachement au contexte immédiat d’après-guerre a été fait de manière assez paresseuse par les médias. Au point que, et c’est là que je corrigerais un petit peu précédemment, dans la question, Tokine a fait le lien avec la première guerre mondiale. Il explique dans la préface à l’édition de 1966 qu’il ne faut pas, comme l’a dit Anne, rabattre sur la bombe atomique parce que la première guerre mondiale a été une expérience absolument traumatisante pour les gens de sa génération. Vous avez raison de dire qu’il y a peut-être des traces dans la description du paysage des marais morts par exemple, des rappels des tranchées, des cadavres dans la boue… et un souvenir de ses compagnons tués au combat. Pour autant, Tolkien a un profil psychologique très étonnant. Un intervenant dans un colloque sur Tolkien et la guerre que j’ai organisé à la BNF l’année dernière rappelait que Tolkien a typiquement un profil différent des gens qui sont rentrés traumatisés de la guerre. C’est-à-dire qu’il a survécu et dès 1917 il a eu un premier enfant, puis quatre enfants au total, il a construit une famille, un réseau de sociabilité alors qu’il était doublement orphelin et qu’il avait traversé l’expérience traumatisante de la guerre. C’est quelqu’un qui a un rapport à la fois de mise à distance, d’apprivoisement de la guerre, et une volonté de désancrer temporellement le Seigneur des Anneaux qui est un récit qui se passe dans une sorte de Moyen-Âge mais que Tolkien passe plutôt dans notre préhistoire européenne. Il en vient même dans une lettre à expliquer que tel épisode fondamental du Seigneur des Anneaux se passe à peu près 6000 ans avec notre ère, ce n’est pas du tout le Moyen-Âge et en même temps ça ne cadre pas avec les représentations qu’on peut avoir de l’Europe à cette époque-là… Donc il y a une sorte de jeu pour renouer avec la forme d’atemporalité des grands récits qui sont ses livres de chevet, à commencer par Beowulf. L’histoire dont on reparlera peut-être tout à l’heure, de cet homme qui affronte des géants puis un dragon pour sauver un royaume. Tolkien a envie de renouer avec cet aspect légendaire et épique désancré du contexte immédiat qui est celui de ses lecteurs. 

M : Justement, par rapport à ces références, on voit qu’avec Tolkien c’est plus, même dans la forme, mythique, légendaire… Alors que Rowling, c’est très référencé mais de manière peut-être plus ludique dans le rapport à l’histoire, de recréer une histoire mêlée entre notre histoire moldue et l’histoire des sorciers, en citant beaucoup des événements historiques et en nous proposant le point de vue sorcier sur ces événements de l’histoire… Il y a une mention plusieurs fois de la chasse aux sorcières, voir comment ça a été vécu par cette communauté sorcière… Et plus généralement jouer avec cet héritage de la figure de la sorcière. Je ne sais pas, Anne, est-ce que c’est ça, est-ce que c’est juste du jeu ludique comme ça avec les références historiques plus qu’érudit avec Tolkien ? 

An : Il y a une volonté aussi, chez Rowling, d’inscrire son univers dans une profondeur temporelle. On parlait de ça tout à l’heure chez Tolkien en opposant très clairement les deux parce que Rowling, tu le rappelais Marjolaine, a décidé de produire cette fantasy à deux mondes qui ressemble plus à la fantasy de Lewis, l’ex ami et concurrent de Tolkien. Donc contrairement à Tolkien qui crée un monde secondaire qui est une version alternative et lointaine du nôtre, elle choisit de mettre les deux mondes en rapport et donc le monde des sorcières existe au sein du nôtre, et donc partage la même histoire. C’est surtout ce sens là qu’ont les différentes étapes de l’histoire du monde des sorciers qui sont rappelées comme ça, à coup de petites allusions au fil des volumes. Ça permet au lecteur d’avoir bien en tête que ce monde des sorciers n’est pas arrivé au moment où on découvre Harry Potter mais qu’il a été toujours là à côté de nous. Ça produit cet effet de profondeur temporelle qu’on a d’une façon très différente chez Tolkien. Outre le fait, mais je pense qu’on va y revenir, qu’il y a toute cet intertextualité mythique, tout ce bestiaire venu de toutes les cultures du monde qui convergent aussi dans le monde des sorciers et qui contribuent à faire que ce monde relié au nôtre apparaît lesté d’histoire et de culture tout en étant complètement relié au nôtre. 

M : Justement, on va parler de créatures et de figures mythologiques, mais pour clore sur Rowling et l’imagerie médiévale, même si on a déjà traité le sujet dans d’autres épisodes du podcast, mais voilà : un château, une épée, une coupe… Il y a plein d’artefacts qui sont très médiévaux et qui renvoient peut-être aussi aux légendes arthuriennes. Je sais qu’Alix tu as trouvé plein d’autres choses peut-être plus au niveau des créatures et des animaux ? 

Al : Oui, j’ai l’impression quand des lecteurs s’amusent un peu à comparer les deux œuvres, c’est souvent les premiers éléments qui vont être donnés. Le fait que dans les deux sagas on va avoir des elfes, des dragons… 

A : Pas tellement les mêmes ! 

Al : Oui, ce n’est pas du tout les mêmes. Surtout je pense que l’un des parallèles les plus connus, les plus populaires, c’est le parallèle entre l’anneau unique et les horcruxes. Et en même temps, les elfes ne peuvent pas être plus différents, quand on voit les elfes de maison qui sont des esclaves dans Harry Potter, là où les elfes ne sont absolument pas des esclaves dans l’univers de Tolkien… La position des dragons où on a ce dragon classique du gardien de trésor qui parle chez Tolkien, là où chez Rowling il est ramené à une position plus animale, c’est une créature qui n’a pas forcément cette intelligence que va lui prêter Tolkien. Il ne parle pas… On retrouve cette image du gardien de trésor avec l’œuf d’or de la première épreuve du Tournoi des Trois Sorciers, qui est aussi un peu une image très médiévale de l’homme combattant le dragon, c’est quelque chose qui revient assez souvent… 

M : C’est le format spectacle, comme s’ils se mettaient eux-mêmes en scène. 

Al : C’est un peu les joutes de chevalier version sorcière. Je ne sais pas quels sont vos avis, vos ressentis sur ces parallèles qui ont été faits ou pas faits qu’on peut retrouver dans les deux œuvres ? 

An : C’est une question vaste ! On est partis de l’imagerie médiévale en passant par plein de parallèles donc on va peut-être les reprendre, n’hésitez pas à revenir sur des éléments plus précis ensuite parce que je pense qu’on ne va sans doute pas pouvoir répondre à l’ensemble d’un coup. Ce qui me semblait ressortir de la question toute entière c’est que l’un et l’autre auteurs jouent, à des époques différentes de l’histoire de la fantasy, sur des motifs qui leur préexistent, puisque ce sont des motifs médiévistes, et qu’ils vont chacun retravailler. Par médiévalisme, on entend tout ce qui est réception du moyen-âge dans ce que vous appeliez l’imagerie médiévale. On tend à proposer le terme de médiévalisme pour en parler. Essentiellement pour tout ce qui concerne la grande vogue de retour au moyen-age à partir du romantisme et de la fin du dix-neuvième siècle. Il se trouve que la fantasy va naître sur ce terreau-là. Vincent a parlé tout à l’heure de William Maurice, les préraphaélites…etc, la fin du dix-neuvième siècle anglais créent une image du Moyen-Age dans laquelle nous vivons encore largement. Tout ce qui est retour de la légende arthurienne avec notamment les idylles du roi, William Morris… Tout ça commence à se mettre en place à ce moment-là et va créer comme une espèce de réservoir d’images, de motifs ou de micro-récits. Tu citais le dragon, le combat contre le dragon… Quelles images du dragon sont disponibles ? Et à partir de là, les auteurs successifs qui vont s’inscrire dans cet imaginaire du Moyen-Âge revisité dont la fantasy va vite former une branche très importante, vont avoir à disposition, c’est une façon de le concevoir mais on peut le voir comme ça, ces images préexistantes à partir desquelles ils peuvent travailler. Tolkien se situe très proche de sa source vu qu’il est médiéviste, qu’il connaît et travaille très directement sur sa source notamment Beowulf, le grand poème anglo-saxon avec un héros et des monstres. Le combat contre le monstre, il sait ce que c’est au départ et il conçoit très bien ce qu’il peut en faire. 

Rowling se situe beaucoup plus loin dans ce jeu sur les traditions, elle a donc à sa disposition un ensemble de variations beaucoup plus énorme et là encore elle fait son choix. Et elle fait des choix qui sont toujours très fins, très malins parce qu’à la fois elle s’inscrit dans la continuité du genre de la fantasy en disant « Regardez, il y a une épée, une coupe, ce château », et en même temps elle va être suffisamment intelligente pour que ce ne soit pas exactement la même chose et qu’on ne puisse pas dire « Oh là là c’est un énième succédané de Tolkien, on en a marre de ces photocopies baveuses ! ». Notamment, son travail sur les elfes est très frappant de ce point de vue. C’est comme si elle jouait à prendre exactement le contrepied de ce qu’on appelle un elfe en mixant les images qu’on peut avoir de Tolkien qui sont complètement à l’opposé et une certaine tradition anglaise de la fairy, qu’on appelle elf aussi, qui a le même nom, et qui vient par exemple de Shakespeare, de Midsummer Night’s Dream où on a des toutes petites créatures elfiques à côté d’un roi et d’une reine Oberon et Titania qui, eux, sont de taille humaine et ressemblent plus aux elfes de Tolkien. Rowling hérite de cette intertextualité hyper riche et elle y pioche vraiment de manière très libre puisque ce qui caractérise l’œuvre de Rowling par opposition à celle de Tolkien c’est son syncrétisme. Elle pioche partout Rowling, à la fois dans les motifs médiévistes dont je parlais, mais tout aussi bien dans de très nombreuses cultures, dans des folklores, dans la tradition gréco-latine, dans des images religieuses éventuellement, bibliques… Tout est présent chez Rowling en même temps, grâce à ce principe du monde des sorciers qui est à côté du nôtre et qui donc peut reprendre à tout ce qui est le nôtre. Versus le monde de Tolkien qui lui est un monde autonome et un monde très spécifique avec une cohérence qui fait qu’il doit choisir ses références pour que toutes soient parfaitement en accord les unes avec les autres. Syncrétisme de Rowling qui s’inscrit de ce point de vue dans une tradition de fantasy jeunesse très bien illustrée notamment par C.S Lewis mais pas seulement, Michael Ende, «L’histoire sans fin»… c’est aussi extrêmement syncrétique. Il y a vraiment une grande tendance en fantasy pour la jeunesse à aller dans ce sens-là. Alors que ce n’est pas du tout le principe sur lequel travaille Tolkien qui lui, au contraire, vise à la plus grande cohérence de manière à produire un monde qui se tienne par lui-même sans avoir besoin de toucher à l’extérieur. 

V : Ce qu’on peut ajouter à la réponse très complète d’Anne c’est que dans le cas de Tolkien il y a aussi une volonté de jouer le rôle de passeur d’un héritage médiéval dont il a bien conscience dans les années 1920-1940-1950 qu’il est en train de disparaître et de ne plus être accessible directement aux lecteurs. C’est quelque chose qui est marquant dans ses lettres, son souci de permettre à ses contemporains de rester au contact de l’héritage médiéval. Je vais prendre une illustration très simple, dans les années 20 Tolkien manifestement était très marqué par la manière dont le nazisme commençait à récupérer d’une manière frauduleuse et complètement pipée, en les déformant complètement, des éléments qui relevaient d’un héritage nordique via les Die Nibelungen en Allemagne et qui, d’aès lui, appartenaient à tous les lecteurs et en particulier tous les lecteurs européens. Lorsque son fils Christopher a publié en 2009 – et ça a été traduit en 2010 en français par     Christine Laferrière – deux poèmes réunis sous le titre «La Légende de Sigurd et Gudrún» -, on a découvert que Tolkien avait composé les poèmes en anglais moderne ce qui permettait à un lecteur contemporain dans les années 20 de découvrir cette tradition nordique presque directement. Il mettait sous les yeux quelque chose qu’on avait tendance à ne plus voir que par le biais de Wagner avec qui Tolkien avait un certain contentieux, mais aussi toute une réutilisation politique du moyen-âge que Tolkien réprouvait. Il y a une formule célèbre quoique très atténuée dans une de ses lettres dans laquelle il explique à quel point il en veut entre autres à Hitler pour avoir détruit cet héritage nordique. Il fait plutôt référence au Hitler des années 20, le moment où le nazisme est en pleine ascension. Cet héritage nordique qui, d’après Tolkien, est notre bien commun et dont il voit l’importance cruciale en termes existentiels. C’est que Tolkien, quand il reprend des éléments au récit Beowulf, ça n’est pas par imitation servile, c’est dans l’idée que Beowulf est un poème qui est une sorte de moyen de réfléchir à notre vie humaine, à notre existence. Ce combat d’un héros contre des géants qui veulent le tuer, qui ravagent un pays et qui dévorent un peuple, puis contre un dragon mortel, Tolkien fait une lecture de ces combats en termes de représentation de la vie humaine. Ça explique toutes les lectures qui ont pu être faites du Seigneur des Anneaux au moment de la sortie par des lecteurs avisés comme W.H Auden qui ont dit « Le Seigneur des Anneaux, l’histoire de cette quête inversée de l’anneau, c’est vraiment une histoire de la vie, c’est une odyssée de la vie ». Chez lui, pour rejoindre ce que dit Anne, il y a une forme de fidélité à une tradition européenne qu’il veut remettre à l’honneur et une volonté de mettre l’accent sur les interprétations modernes qu’on peut faire de ces textes qui sont éloignés de nous ne serait-ce que par la difficulté de compréhension de la langue. Tous les anglais des années 1950 ne lisent pas le vieil anglais, c’est le moins qu’on puisse dire. Tolkien joue ce rôle de passeur. 

An : Rowling aussi, ça pour le coup c’est un vrai point commun parce que cette volonté de transmission est présente chez Rowling, de manière extrêmement ludique mais ça fonctionne super bien sur les lecteurs jeunes et moins jeunes. C’est vraiment une tendance qu’on a pu repérer pratiquement tout de suite. J’ai pu repérer chez des étudiants de master dès les années 2000 une envie, à partir de Harry Potter, de trouver les sources. Cette fameuse pulsion de savoir déclenchée par des allusions extrêmement nombreuses, extrêmement foisonnantes et séduisantes qu’on pouvait trouver, d’une manière très différente de chez Tolkien, dans les pages de Harry Potter. Quelles sont les origines de cet hippogriffe, ces elfes, ces dragons ? A quelles traditions peut-on les rattacher ? On sait la fortune des ouvrages qui ont pu être ensuite produits autour de cette demande-là, de cette attente-là : des bestiaires imaginaires ou des volontés de rattacher Harry Potter aux différentes traditions auxquelles il renvoie. 

V : Ce que je voulais dire c’est que Tolkien est plutôt du côté d’une tradition tandis que Rowling, tu as parlé de syncrétisme et j’entends tout à fait. D’autres part, la différence sur laquelle je voulais mettre l’accent c’est que chez Tolkien l’écriture de la fiction se nourrit aussi de son travail universitaire. Il est prof à Oxford, il est chercheur, et il est écrivain. Les trois activités communiquent. Je vais le résumer de cette manière-là. 

Al : Tout à l’heure on parlait du fait que Tolkien avait inventé énormément de langues, mais sur la question de retracer les origines, Rowling n’a pas véritablement inventé une langue mais elle a utilisé beaucoup de latin dans les sortilèges et c’est quelque chose… En tant que lectrice pré-adolescente, je me disais « Ça veut dire quoi ce sort ? ». Il y avait un peu cette curiosité de s’intéresser au latin, à cette langue qui existait, que Rowling n’a évidemment pas invitée mais c’était aussi une porte d’entrée vers un autre élément culturel que permettait Harry Potter pour un jeune public. Il y avait ce petit jeu-là de « Tiens, c’est quelle origine, est-ce que du latin, du grec… ? ». Pour un public jeune qui découvre un peu les langues anciennes c’est un jeu assez amusant aussi, je trouve. 

An : Vous avez reçu Blandine Le Callet qui se trouve être une collègue de Vincent Ferré à l’UPEC, à Paris Est Créteil, pour un ouvrage bienvenu sur les sources antiques de Harry Potter. 

V : Absolument, on partage le même bureau ! 

An : le monde est petit ! 

M : Pour revenir sur les motifs qui viennent probablement – c’est sûr pour Tolkien et pour Rowling on imagine – des références nordiques, il y a ce fameux anneau qui devient les horcruxes… Quand on a lu Harry Potter et qu’on relit le Seigneur des Anneaux, évidemment l’anneau c’est un horcruxe ! Pour revenir sur les parallèles des quêtes et de la quête inversée om il faut détruire quelque chose de maléfique pour éliminer le grand mal, il y a un gros parallèle entre Frodo et Harry sur la quête pour détruire l’anneau et la quête pour détruire les horcruxes. Au-delà de ça, Frodo et Harry j’ai l’impression qu’ils sont quand même assez différents puisqu’Harry reprend la figure de l’élu, il y a une prophétie. Même si Rowling remet en cause l’idée de la prophétie et dit que ce n’est pas juste parce qu’il y a une prophétie qu’Harry est l’élu, c’est parce que voldemort a choisi de croire en la prophétie que ça fait de Harry la seule personne qui peut le détruire… Alors que Frodo pas du tout ! C’est le Hobbit qui est le héros inattendu, celui qui n’aurait pas dû être là. Par rapport à ces parallèles et ces différences entre Frodo et Harry, je ne sais pas si on peut aller plus loin que juste ça ? 

An : Ce sont des petits héros, il y a ça aussi ! Il y a des petits héros, les Hobbits ont pu être comparés à des enfants. Ils sont en partie assimilables à des paysans anglais fantasmés, des gens de la campagne, mais ils sont aussi des enfants. Le côté casanier, le côté gourmand évidemment, les jeux entre eux sur les interdits…etc. C’est des personnages qui, même s’ils ne sont pas du tout jeunes au départ, ce qu’on a tendance à oublier puisqu’ils sont déjà fort âgés par rapport à notre capacité à compter les anniversaires, mais indéniablement ils restent enfantins, en particulier Merry et Pippin. Donc ce parallèle tient aussi de cette manière-là, on a dans les deux cas une aventure de jeunes naïfs qui vont apprendre en grandissant au fur et à mesure de son aventure, ce qui est vraiment le schéma de fantasy le plus basique possible, qui a été illustré de manière beaucoup plus simple et directe dans beaucoup d’autres cycles de fantasy, que Tolkien comme Rowling retravaillent de manière originale tous les deux. Tolkien en amont, et Rowling en aval. Vincent a déjà parlé de l’idée de contre-quête, il ne s’agit pas de gagner, il s’agit de détruire, il s’agit de renoncer, il s’agit de renoncer au pouvoir, il s’agit d’accepter la perte, le deuil… C’est le cas aussi chez Rowling. Je pense qu’on peut pousser un petit peu plus la comparaison dans ce sens-là avec des quêtes initiatiques qui sont essentiellement un apprentissage de la perte. Je ne sais pas ce que tu en penses Vincent ? 

V : Tout à fait Anne, comme assez souvent je suis d’accord avec toi. La différence majeure pour le dire de manière un peu provocatrice c’est peut-être que l’un est un héros et l’autre pas. Quand on regarde le Seigneur des Anneaux et qu’on demande aux lecteurs et lectrices qui sont les héros, ou qui est le héros pour eux, on a assez souvent comme réponse Sam, assez souvent Gandalf, parfois Aragorn… mais Frodo pas tant que ça. Je continue à lire les forums de lecteurs avec intérêt et les pages Facebook gérées par les communautés de lecteurs de Tolkien, et c’est vrai que Frodo n’est pas un personnage auquel on s’identifie facilement. Il y a eu l’effet du film, mais avant ça il est difficile à cerner, il est un peu plat… Moi, quand j’ai lu le Seigneur des Anneaux la première fois, j’avais envie de la baffer toutes les cinq minutes ! 

An : Oui mais Harry Potter aussi, c’est très frappant franchement ! Il n’y a pas plus agaçant qu’Harry à partir du tome 4 ! 

M : Dans la communauté Harry Potter c’est pareil, c’est très très rare qu’un fan d’Harry Potter dise que c’est Harry son personnage préféré alors que tout tourne autour de lui. 

V : C’est quand même le personnage qui attire les projecteurs, vous êtes d’accord ? Tandis que dans le Seigneur des Anneaux, dès la fin du premier tome puisque bien que le Seigneur des Anneaux ne soit pas une trilogie il a été publié en trois parties pour des raisons éditoriales et de coûts de production, l’histoire suit alternativement et presque à parts égales les différents groupes de personnages. La différence est peut-être là, dans le fait que Frodo est quelqu’un qui n’acquiert pas vraiment d’épaisseur mais qui manifeste à la fin du récit ce détachement progressif du monde qu’il a contribué à sauver, involontairement, je ne veux pas non plus divulgâcher l’histoire auprès des vos auditeurs qui n’auraient pas encore lu le Seigneur des Anneaux, mais il y a une sorte d’acceptation d’un rôle qui est au dessus de lui et qui écrase complètement des traits de personnalité qui continuent à définir Sam d’une part avec son bon sens héroïque. Mais aussi Merry et Pippin qui sont là pour nous faire rire et permettre une identification avec les lecteurs. L’autre distinction que je ferais, elle est plutôt de ce côté-là, autour de l’identité, du caractère assez creux de Frodo et de son rôle pratiquement fonctionnel dans l’histoire. 

Al : Même au niveau des titres des deux sagas. Harry Potter est personnage-titre, son nom revient systématiquement, les projecteurs sont sur lui avant même qu’on ouvre le livre alors que le Seigneur des Anneaux, dans le premier volet, même si ce n’est pas une trilogie, on est dans la Communauté – ou la Fraternité sur la nouvelle traduction – de l’anneau. On a quand même l’attention qui est portée sur un groupe. Il y a cette différence, avec d’un côté Harry avec tous les autres en-dessous, alors que j’ai l’impression que quand on commence le Seigneur des Anneaux on nous dit tout de suite que ce n’est pas un individu et les petites mains derrière, tout le monde est plus souvent mis sur un pied d’égalité, en tout cas au départ. 

V : C’est très juste. 

M : Moi je pensais, pendant que tu parlais Vincent, au parallèle… Il y avait quand même ce parallèle assez fort que les deux, que ce soit Harry ou Frodo, vont volontairement vers la mort en disant « Il va falloir que je me sacrifie quoiqu’il arrive, il n’est pas possible que je revienne » alors qu’il y a Sam derrière qui garde l’espoir. Pour moi les deux scènes les plus marquantes de Harry Potter et du Seigneur des Anneaux c’est, pour Harry Potter, Harry qui retourne dans la forêt en sachant qu’il va vers la mort et de l’autre côté Sam, où il y a une espèce de long monologue où à la fois il est tendu et d’un autre côté il a toujours l’espoir qu’il va se sauver et sauver Frodo. Il y a ces deux moments cruciaux qui font qu’en tant que lecteur on considère que c’est Sam le héros, et de l’autre côté Harry quand même. Même si ce n’est pas le personnage préféré de la majorité des fans, c’est quand même un moment très beau et très fort. La grosse différence entre Forod et Harry c’est qu’Harry a quand même plus une happy end. Il peut fonder sa famille, il peut revenir à une vie à peu près normale alors que Frodo, non. Tant pis, je divulgâche la fin : le choix de Frodo de quitter la Terre du Milieu est quand même une grosse différence au niveau de ce que ça fait à la figure du héros. 

V : Absolument. Les tournants heureux dans le Seigneur des Anneaux ne se situent pas à la fin mais dans des épisodes un peu inattendus et ponctuels comme l’arrivée des aigles qui va changer le cours de bataille… Frodo, c’est vraiment un personnage qui apparaît comme – tu faisais référence à Gauvain tout à l’heure – un personnage qui est d’accord de sacrifier, comme un sorte de serviteur pour la communauté. Dans Sir Gauvain et le Chevalier Vert il faut rappeler qu’Arthur commet une erreur en cédant à la provocation du chevalier vert, alors que quand un chevalier en vert, sur un cheval vert, vient vous voir et vous dit de lui couper la tête et qu’un an plus tard il vous rendra la pareille, vous avez tendance à ne pas forcément accepter ce qui vous est proposé. Arthur, dans le texte médiéval – « intrépide de nature » je crois que c’est ça la traduction en français du passage, – est complètement impulsif et il est critiqué de ce point de vue là par la cour, par certains chevaliers. Qui doit protéger le chef qui a failli ? C’est vraiment une thématique qui passionne Tolkien, c’est le personnage humble, c’est la petite main qui fait tourner les roues du monde pendant que les grands regardent à côté. On a chez Tolkien cet intérêt pour la valorisation des personnages humbles. Le personnage de Sam en est vraiment emblématique. Il est comique avec son bon sens mais en même temps il défend des valeurs très humaines, il est celui qui rappelle Frodo vers l’humanité, on peut le dire comme ça, il est celui à qui Frodo remet les clés du pouvoir mais aussi à qui Frodo donne le texte qui va servir à la transmission de l’histoire, le fameux Livre rouge… Cette idée d’un sacrifice qu’il faut accomplir quel qu’en soit le coup est effectivement ancrée dans l’esprit du texte de Tolkien très tôt. Il y a une très forte mélancolie dans le Seigneur des Anneaux qu’on peut relier aux analyses que Tolkien a proposé de Beowulf là encore où il explique que de toute façon le combat de l’humain contre le monde se finit toujours mal. 

An : Là pour le coup je ne suis pas forcément d’accord avec toi… Moi je trouve que la fin d’Harry Potter est triste. Pour moi, cette fin douce-amère – pour reprendre les termes qui sont utilisés à propos du destin de d’Arwen – me semble s’appliquer aux deux fins. Certes, elle est peut-être plus poignante ou de manière claire dans le Seigneur des Anneaux qui s’adresse à un public plus âgé, mais la fin de Harry Potter… D’abord il y a tous ces morts de la bataille de Poudlard, il y a beaucoup de deuils dans les derniers volumes, et en particulier lors de cette dernière bataille, et puis le fait qu’à la fin il emmène ses enfants sur le quai du Poudlard Express et qu’il y reste, moi j’ai trouvé ça très triste, aussi. Il est sorti de l’enfance, Poudlard n’est plus pour lui. Ca, je pense qu’une partie du désamour que subit cet épilogue est dû à cette part de désenchantement de l’acceptation du passage à l’âge adulte, qui est une de mes grandes théories sur la fantasy : que la fantasy sert à ça, à accepter le désenchantement du passage à l’âge adulte. Pour moi, l’épilogue de Harry Potter dit ça, et c’est ça qui n’est pas agréable à lire pour ceux qui ont aimé Harry Potter. 

M : Oui, elle l’a dit J.K Rowling, qu’elle avait prévu à la base de finir l’épilogue par le mot « scar », cicatrice, et finalement elle l’a fini par « Tout était bien ». Je pense que c’est une erreur parce que pour le coup, ç’aurait été un peu plus… – Là, le parallèle aurait été peut-être encore plus puissant avec le Seigneur des Anneaux puisqu’il y a cette idée de cicatrice – 

An : Qui ne guérira jamais. 

M : Voilà, qui ne guérit jamais. Harry dit que la cicatrice ne lui fait plus mal depuis dix-neuf ans alors que Frodo souffre toujours de cette cicatrice. Bon, on a Cursed Child qui change un peu la donne au niveau de la cicatrice mais c’est une autre histoire ! C’aurait été un parallèle encore plus fort. 

V : Si je peux ajouter, vos auditeurs et auditrices ne savent pas forcément qu’il y a un épilogue au Seigneur des Anneaux que Tolkien n’a finalement pas intégré. La fin originelle du Seigneur des Anneaux voyait un zoom sur la maison de Sam occupée par Sam et sa famille, Sam répondant à des questions de ses enfants. Le père de famille répondant à des questions de ses enfants sur l’histoire qui venait de se dérouler, donc une tonalité peut-être plus chaleureuse, plus cosy, et qui se termine par Sam qui sort après la discussion avec ses enfants et qui entend au loin le bruit de la mer sur le rivage de la Terre du Milieu. Tolkien a décidé d’enlever cet épilogue plus doux pour plutôt laisser le récit se terminer de manière mélancolique. D’ailleurs on se demande où le récit s’arrête puisque lorsque l’histoire du Seigneur des Anneaux se termine on a le droit aux appendices qui apportent de nouveaux éléments importants et tout aussi mélancoliques comme des précisions sur l’histoire d’amour entre Arwen et Aragorn qui relancent la machine et laissent les choses complètement en suspens, en privilégiant une tonalité vraiment mélancolique. 

M : Anne tu dois partir bientôt mais il y avait au moins un autre parallèle dans les personnages que je voulais absolument qu’on aborde parce que même les fans n’arrêtent pas de faire ce parallèle : c’est entre Gandalf et Dumbledore qui apparaissent un peu comme des déclinaisons de la figure de Merlin. Je voulais qu’on revienne là-dessus, peut-être sur une dimension des deux personnages où ils sont tous les deux tentés par le mal. Gandalf doit affronter aussi la tentation de l’anneau, de prendre le pouvoir et de le refuser, et on apprend que Dumbledore aussi, que tout son personnage est construit sur le regret d’avoir failli et presque commencé à succomber au pouvoir avec Grindelwald. Mais ça reste quand même des personnages qui, derrière ça, sont les mentors du héros. On a même un Dumbledore qui devient Dumbledore le Blanc dans les films ! C’est assez évident comme parallèle mais est-ce que Dumbledore a été construit sur le modèle de Gandalf ou plutôt aller chercher du côté de Merlin, ou est-ce que c’est la même chose ? Je ne sais pas. 

V : Ce qu’on peut rappeler déjà c’est que Gandalf est le double de Sauron. Il a été envoyé par ceux qu’on peut appeler les dieux, que l’on découvre surtout dans le Silmarillion. Il a été envoyé par les dieux pour rallier tous les peuples libres autour de la défense de la Terre du Milieu sans agir directement, sans affronter directement Sauron mais en servant un petit peu de catalyseur pour provoquer un sursaut. Gandalf, il faut le penser par rapport au Seigneur des Anneaux. Il est intéressant de voir que le Seigneur des Anneaux chez Tolkien est un personnage qui reste invisible et qui dans l’esprit des lecteurs est tellement invisible qu’il se réduit souvent à un œil. Ce qui est faux : c’est une erreur de Jackson de ce point de vue-là. Il a un corps sauf que son corps n’apparaît pas au premier plan dans le Seigneur des Anneaux alors qu’il apparaît dans certaines histoires du Silmarillion. Et je rappelle que dans le Silmarillion, non seulement on assiste à la création du monde, à l’apparition des elfes, des hommes, les combats entre les elfes, les hommes, les dieux d’une part et d’autre part Melkor Morgoth, le maître de Sauron, puis Sauron lui-même… Il y a un chapitre consacré aux anneaux du pouvoir, entre autres à l’anneau unique du Seigneur des Anneaux. Donc si on veut vraiment voir le Seigneur des Anneaux incarné on peut se reporter au Silmarillion. Tolkien a fait le choix dans son récit de ne pas le mettre au premier plan comme s’il s’agissait de montrer que les choses ne s’opposent pas de manière binaire, que le personnage le plus maléfique, celui qui symbolise le mal, n’était pas mauvais au début – c’est ce que rapporte un personnage sage dans un des dialogues – mais qu’en plus le mal ne s’arrête pas à lui. On entend parfois parler – ça c’est un truc qui m’énerve – dans les médias du manichéisme de Tolkien. Ce n’est pas parce que Jackson a réduit les choses de ce côté-là, qu’il y a des oppositions chromatiques entre l’obscurité et la lumière chez lui qui sont extrêmement marquées que c’est vrai chez Tolkien. Tolkien, c’est la formule que j’emploie parfois, c’est plutôt 50 nuances de gris. C’est Gollum qui était avant un être qui était proche du peuple des Hobbits et qui est devenu une créature monstrueuse par appât du gain, ce qui le rapproche des dragons qui eux-mêmes gardent des trésors. Sauron a succombé à une tentation qui est celle du pouvoir et de la domination qu’il a envie d’étendre. Gandalf, certes, peut-être rapproché des traditions de magicien et au premier plan Merlin, certainement, le conseiller du Seigneur qui deviendra roi… On pense à Aragorn à la fin du Seigneur des Anneaux… mais c’est aussi quelqu’un qui est envisagé dans un rapport un peu complexe et pas d’opposition tranchée avec Sauron. 

M : De ce côté-là, Dumbledore est relativement proche de cette figure. Même si par rapport au mal, peut-être que Voldemort est moins… C’est difficile dans Harry Potter d’interpréter vraiment si J.K Rowling a voulu en faire un méchant qui est né méchant ou pas, parce qu’on découvre son corps… au début il n’est pas incarné et après on découvre son enfance, d’où il vient…etc. Même s’il y a le côté ambivalent de Dumbledore qui dit « Non, c’est le choix qui font ce qu’on est », avec Voldemort on ne sait plus trop si il a vraiment eu le choix ou si c’est le fait qu’il soit né à cause d’un viol puisque c’est une philtre d’amour qu’a utilisé sa mère. Est-ce que ce n’était pas pré écrit ? 

Al : Ce n’était pas tant le fait qu’il soit né d’un viol c’était aussi le fait qu’il avait été élevé sans amour, à l’orphelinat… 

M : Il y a toute cette question là. Dès enfant, il est maléfique ! Ce n’est pas le cas de Sauron. Je ne sais pas si Anne tu as un mot à dire sur ce parallèle entre les deux ? 

An : Le parallèle entre Dumbledore et Gandalf, effectivement c’est un de ceux qui fait le plus sens, surtout à l’image. C’est au point que régulièrement des gens pensent que c’est les mêmes acteurs qui ont joué les deux rôles ! Leur image est tellement proche et tellement superposable dans nos mémoires, et complètement à relier une figure de l’enchanteur qui prédate. Si vous voulez aller voir le site de la BNF sur la fantasy, il y a un certain nombre d’albums qui sont très bien faits et notamment un sur L’école des Sorciers ou on voit un certain nombre d’images d’enchanteurs avec le manteau à étoiles et le chapeau pointu dans des gravures du 18ème. Mais évidemment, l’étape marquante c’est le Merlin tel que réinventé par Disney. Ce n’est pas Merlin, en fait, c’est Merlin l’Enchanteur, c’est Disney. Disney adaptant T.H White, qui est un des grands passeurs de la légende arthurienne. Voilà comment se fait un peu cette filiation des personnages qui intéresse au point qu’il y a des fans théories très drôles sur : en fait c’est le même personnage. Toutes les histoires de voyages dans le temps possibles, puisque le Merlin de Wight arrive du futur… Il y a une fenêtre d’opportunités pour qu’il ait été Dumbledore et qu’il soit Gandalf ! Il a des vidéos très amusantes qui réussissent à soutenir ce fantasme transfictionnel – des personnages qui voyagent entre les fictions – qui consiste à imaginer que d’un bout à l’autre il s’agit du même personnage. Je trouve ça assez fascinant au niveau de la circulation des univers imaginaires, comment on essaie de concrétiser cette filiation des images intertextuelles en essayant d’imaginer ce que ça peut donner à hauteur de fiction ! Et si c’était vraiment le même ? 

M : Surtout que si on va au bout, Merlin est cité dans Harry Potter, c’est un personnage historique. 

An : Sur les cartes ! 

M : Ils le font même aller à Poudlard, on se demande comment c’est possible par rapport à la chronologie… C’est difficile de situer Merlin chronologiquement mais s’il a été à Poudlard c’est qu’il est plus jeune que les fondateurs de Poudlard donc c’est un peu compliqué. Mais bon, pourquoi pas ? 

Al : Et puis il y a l’Ordre de Merlin ! 

M : Il y a l’Ordre de Merlin… « Par la barbe de Merlin » est sorti plusieurs fois… C’est assez drôle. Si c’est Dumbledore ce serait encore plus drôle ! 

An : Il faut la regarder de près la vidéo en question, c’est assez drôle. Je pense que je la cite dans mon texte sur les fan theories

M : On va aller voir ça ! 

An : Il faut la retrouver. Je pense que c’est assez facile. 

M : Je pense qu’on aurait encore de quoi discuter mais on a fait déjà un bon tour de plein de thématiques, de parallèles, de différences qu’on pouvait explorer sur J.K Rowling et Tolkien. Ce n’est pas facile parce qu’on essaie de parler de deux choses en même temps et de les rejoindre donc on espère qu’on n’a pas trop perdu les auditeurs ! Je suis très très contente de tous les sujets qu’on a pu aborder donc merci énormément à Anne et Vincent, c’était un vrai honneur de vous avoir tous les deux en même temps pour discuter. Merci beaucoup à vous deux ! 

An : Merci beaucoup. 

V : Merci à vous ! 

An : Bonne écoute à tous vos auditeurs et auditrices ! 

V : Et à une prochaine fois ! 

Bruit d’étoiles

M : Merci encore chaleureusement à Anne Besson et Vincent Ferré de nous avoir permis de fêter dignement les 20 ans de la sortie du premier film Harry Potter et du premier film Le Seigneur des Anneaux au cinéma. On est vraiment ravies et on espère que cet épisode vous a plu autant qu’il nous a plu à enregistrer ! Vous pouvez nous donner votre avis par mail à redaction@gazette-du-sorcier.com, sur Facebook sur la page de l’Académie des Sorciers, sur Twitter @aspic_gds et sur l’Instagram de la Gazette du Sorcier. L’épisode est disponible sur Podcloud et sur toutes les applications et plateformes de podcast, mais aussi sur la chaîne Youtube de la Gazette du Sorcier sur laquelle sont uploadés les épisodes. Nous remercions Kalegula qui a composé le générique d’après les thèmes de John Williams et on vous dit au mois prochain pour le prochain épisode de l’Académie des Sorciers. 

En attendant, cher auditeur, n’oublie pas… PASSE TES BUSE D’ABORD !

Pour aller plus loin, nous vous conseillons les ouvrages de nos invités (retrouvez notre critique du dernier livre d’Anne Besson ICI). Vous pouvez également plonger dans l’excellent site Fantasy de la BNF.

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