Podcast ASPIC ep. 26 : Les médias dans Harry Potter
Comment avons-nous réussi à produire 25 épisodes d’ASPIC sans en consacrer un à la Gazette du Sorcier ? Non, pas votre site internet favori et digne de confiance, l’autre Gazette du Sorcier ! Celle du monde magique, beaucoup moins recommandable. Peut-être parce qu’on a un peu honte de notre homonyme ?… Et pourtant, le sujet des médias dans le monde magique est essentiel pour comprendre la société sorcière. Ils nous permettent aussi de reconnaître les dérives présentes dans notre monde moldu.
Pour nous aider à lire entre les lignes des journaux dans Harry Potter, nous avons le plaisir d’accueillir Suzanne Shojaei, journaliste professionnelle et fidèle auditrice. Son regard aiguisé nous permet d’entrer dans les coulisses du travail de journaliste, son éthique, sa déontologie, l’importance du pluralisme dans les média, et l’effet de l’absence de tout ça dans la société magique. Impunité, auto-censure, manipulation de l’information, fake news, théories du complot… De la Gazette du Sorcier au Chicaneur, on explore la vision on ne peut plus négative des médias que développe J.K. Rowling au fil des tomes.
Invitée : Suzanne Shojaei
Chroniqueuses : Marjolaine & Alix
Graphisme : Salem & Artémis
Montage : Marjolaine
Générique : Kalegula, d’après des thèmes de Patrick Doyle et John Williams
Transcription : Rowenaz
MUSIQUE
Sorcières, sorciers et moldus, erudits ou curieux, bienvenue dans ASPIC, l’Académie des Sorcers, un podcast intéressant et captivant, une émission proposée par la Gazette du Sorcier.
Marjolaine (M) : Bienvenue dans ce vingt-sixième épisode de l’Académie des Sorciers, je suis Marjolaine…
Alix (Al) : Et je suis Alix. Et aujourd’hui on va faire un épisode un peu méta, dans une certaine mesure, puisqu’on va parler des médias dans le monde magique. On peut se demander comment on a pu réussir à faire 25 épisodes en presque deux ans… trois ans de podcast, sans parler du tout de la Gazette du Sorcier du monde magique. Nous on essaie d’être plutôt respectueux de l’étiquette et d’être un journal de référence, mais notre alter-égo magique a un peu moins cette ligne directrice. Peut-être qu’on a un peu honte d’eux, on ne sait pas, peut-être qu’on n’assume pas trop le nom finalement, vous pouvez imaginer ce que vous voulez. Mais pourtant, le sujet des médias du monde magique est assez central dans la saga Harry Potter. Il y a une très forte présence des médias et notamment de la presse écrite, comme on va en reparler. Analyser les médias du monde magique, ça permet de mieux comprendre la société sorcière dans son ensemble. On l’avait déjà un petit peu abordé quand on a parlé du droit dans le saga dans l’un de nos premiers épisodes, et des structures politiques, des institutions. On avait un peu parlé de ce quatrième pouvoir qu’est la presse et là on va se plonger un peu plus dans le vif du sujet. Pour nous aider à lire entre les lignes des journaux dans Harry Potter, on a le plaisir d’accueillir Suzanne Shojaei, journaliste et fidèle auditrice de ASPIC ! Bienvenue Suzanne !
Suzanne (S) : Merci beaucoup Alix et bonjour à tous, Marjolaine, Alix et tous les auditeurs !
M : On est vraiment ravies de t’accueillir. Pour donner un peu les coulisses de la préparation de l’émission, tu nous as écrit comme le font certains d enos auditeurs, on est toujours très très heureux de recevoir des messages d’auditrices et d’auditeurs, donc on en profite pour dire à tout le monde : n’hésitez pas à nous écrire – pour nous faire des chouettes retours sur certains d enos derniers épisodes, et puis tu évoquais en passant, comme ça, ton métier moldu. On s’est dit : « Oh, on n’a jamais fait d’épisode sur le journalisme, sur les médias ! ». C’est quand même un sujet important donc on t’a proposé et on a été ravies que tu acceptes de venir croiser ton expérience professionnelle avec ta passion d’Harry Potter. Est-ce que tu peux te présenter un peu plus et nous donner ta maison à Poudlard, ton rapport à Harry Potter…
S : Je commence par le plus important, je suis Serdaigle.
M : Aaah !
S : Oui, encore une Serdaigle ! Ma relation avec Harry Potter… J’ai commencé à les lire quand j’avais à peu près 7-8 ans. En fait, c’est Harry Potter qui m’a donné le goût de la lecture, c’était un chapitre par soir avec ma mère le soir au lit, et puis « Ah tu veux finir le livre ? Eh bien tu le finis toute seule ! ». Et c’est comme ça que j’ai commencé à lire vraiment vraiment toute seule. C’est une longue histoire et ça ne m’a jamais quittée. Vous parliez de bulles de magie dans l’un de vos épisodes sur le fandom Harry Potter si ma mémoire est bonne, eh bien c’est exactement ça, et ça ne me quitte pas. Alors vous parliez aussi de mon métier moldu, je suis journaliste effectivement, dans une radio du service public dans le sud de la France.
M : Pour introduire le sujet d’aujourd’hui, est-ce qu’en devenant journaliste, puisque tu étais fan d’Harry Potter avant de venir journaliste bien sûr, est-ce que tu avais à l’arrière de ton esprit cette référence des médias dans le monde magique, ou est-ce que tu as vraiment cloisonné les deux et peut-être en relisant la saga plus tard tu t’es dit qu’il y avait une vision de la presse un petit peu particulière ?
S : Oui, il y a quelques petits problèmes quand même ! Je pense qu’on a tous l’image de cette insupportable Rita Skeeter, n’est-ce pas ? Je pense que c’est la figure qui ne nous donne pas envie d’être journaliste… –
M : On est rassurées, si tu nous avais dit « En fait c’est Rita Skeeter qui m’a donné envie d’être journaliste » on aurait été un peu…
S : Là ce serait très inquiétant si on commençait le podcast comme ça. Pas du tout ! Disons que j’avais cette idée… Non, je suis en train de réfléchir mais non, ça n’a pas eu de lien particulier mais la presse dans Harry Potter c’est flagrant. Qu’on ait envie de devenir journaliste ou pas, on voit qu’il y a un sacré souci.
M : C’est ce dont on va parler aujourd’hui. Mais avant de rentrer vraiment dans le vif du sujet de ce qui est problématique dans la presse dans Harry Potter, en particulier dans la Gazette du Sorcier, on peut peut-être déjà commencer par un petit panorama des médias dans le monde magique. On a commencé à parler de la Gazette du Sorcier mais c’est assez évident que quand on pense aux médias dans le monde magique, c’est d’abord la presse imprimée, d’abord les journaux. C’est probablement lié au fait que les sorciers sont coupés des nouvelles technologies et donc ils n’ont pas eu les différentes révolutions successives que les moldus ont connu dans leur rapport à l’information : il n’y a pas de télé, il n’y a pas internet, il n’y a pas les réseaux sociaux… Donc ils ont un rapport à l’information et aux médias qui peut-être est un peu plus équivalent à celui des moldus au 19-20ème siècle même si, on va tout de suite en parler, dès le 19ème siècle et même avant il y avait plusieurs journaux, là il n’y en a qu’un – en tout cas pour les journaux d’information. Qu’est-ce que vous pensez de ce côté un peu… Bon, on sait que le monde magique est un peu archaïque sur certains points mais là c’est assez flagrant.
S : Tout simplement, ils sont coincés les sorciers, ils n’ont pas d’autre choix. A part les hiboux, et encore les hiboux, ce ne sont pas des journalistes qui transmettent les informations ! C’est un peu comme le téléphone, à part les hiboux ils n’ont pas grand chose. effectivement, un seul grand média, ou en tout cas grand média généraliste. Après le reste c’est de la presse spécialisée donc on ne peut pas appeler ça de l’information, ce n’est pas de l’information nécessaire au quotidien. Je ne dirais pas que c’est un piège mais presque, c’est à dire qu’on en fait ce qu’on veut des lecteurs. Quand on n’a pas de concurrence, allons-y !
A : Ce que je trouve assez surprenant finalement, c’est que comme on l’a dit il n’y a pas la télé, tout ça, parce que les technologies moldues ne fonctionnent pas, ils n’ont pas l’électricité donc tout ce qui en découle n’a pas été adapté, mais ce que je trouve surprenant c’est qu’il n’y a pas d’équivalent sorcier, qui utiliserait la magie. Ils vont avoir leur patronus avec lequel ils parlent, c’est un moyen de communication qui n’a pas vraiment d’équivalent moldu, mais il n’y a aucun équivalent magique qui permet de transmettre les informations rapidement, alors qu’on pourrait imaginer que… Ils ont cette possibilité d’information immédiate quand même avec la magie où ils peuvent transplaner d’un endroit à un autre, mais ils n’ont jamais développé ça. Ça ne les intéressait pas ou la communauté est tellement petite qu’il y a moins ce besoin ? On sait très vite ce qu’il se passe à droite à gauche parce qu’on est quelques milliers de sorciers dans un pays donc c’est l’équivalent d’une petite ville, si on prend la France. On a moins ce besoin d’avoir des personnes qui suivent en permanence l’information…
S : C’est vrai qu’on a eu les télégrammes, pourquoi eux n’auraient pas des équivalents ? C’est vrai.
M : Il y a ce qu’on a évoqué : ça met du temps. Il y a un rapport au temps… Nous ça nous semble complètement d’une autre époque de devoir attendre les informations. On a tout en direct. Donc il y a ce décalage là dans la manière d’être informé qui change quand même pas mal de choses. En particulier à Poudlard où on est vraiment dans un vase clos.
S : C’est assez flagrant le fait qu’ils soient un peu coincés… en fait ils n’ont pas d’autre choix que de lire le journal pour être informés de choses. Je pense au tome 4 dans la Coupe de Feu, à un moment Harry écrit à Sirius avant la Coupe du Monde de Quidditch, et comme il n’a pas de nouvelles il est inquiet, il dit à Ron « On n’a pas de nouvelles de Sirius, est-ce que tu penses qu’il a été attrapé…etc » et Ron lui répond « Mais non, on l’aurait su par la Gazette du Sorcier ! ». Donc même s’ils voulaient arrêter de lire la Gazette du Sorcier parce qu’ils trouvaient que c’était un torchon, ils ne pourraient pas ! Ils sont vraiment obligés pour avoir les informations nécessaires, de base.
A : C’est vraiment le seul moyen de s’informer.
S : Oui, on peut dire que la presse a un peu la mainmise sur le monde des sorciers parce qu’elle fait la loi. Elle sait qu’on a besoin d’elle.
M : Ca implique ce rituel assez particulier de recevoir et de lire son journal tous les matins, qui reste quelque chose qui existe chez certains moldus… Je connais encore ça chez mes grands-mères qui sont abonnées au journal, qui le reçoivent tous les matins pour le lire, même si ce n’est pas leur seule source d’information pour le coup, mais pour nous ça semble assez… même à l’époque où on a lu Harry Potter, même en voyant le premier film, c’était quelque chose d’un peu étrange de voir ces adolescents recevoir le journal et lire le journal au petit-déjeuner ! Ce n’est pas quelque chose qu’on connaît, nous.
S : C’est à l’ancienne, tout simplement ! Comme pas mal de choses dans le monde d’Harry Potter si on devait parler d’autres choses. C’est complètement à l’ancienne.
A : On a ce moment dans le premier tome où quand Harry repart avec Hagrid de la cabane sur le rocher où Hagrid lit le journal et harry n’ose pas poser de questions parce qu’il dit qu’il avait appris au contact de l’oncle Vernon qu’il ne fallait surtout pas déranger quelqu’un qui lisait son journal. Vernon est un moldu, il fait quand même ce parallèle entre la presse moldue et sorcière, il voit qu’il y a cet équivalent, mais la différence c’est que les Dursley, on sait qu’ils ont la télé… Il n’y a pas qu’un journal, il y a plusieurs sources d’information, là où dans le monde magique il n’y a que celle-ci.
S : Et la télé, Rowling n’est pas tendre non plus avec. Quand on sait ce qu’elle en dit à propos de Dudley, qui est juste abruti entre autres par la télé. Je pense que tous les médias en prennent pour leur grade.
A : Oui, et pour parler brièvement des médias moldus dans Harry Potter, c’est vrai que la télé annonce la pluie d’étoiles filantes dans le premier tome, et en fait on voit bien que tout de suite après dans la discussion entre Dumbledore et McGonagall, c’est quelque chose qui est là juste pour maquiller mais ils ne sont pas du tout au courant… Dans le tome 3, au moment de l’évasion de Sirius Black on a à nouveau ce segment où les informations moldues parlent de Black mais en donnant la moitié de l’info et avec un numéro vert qui ne sert pas et qui est destiné à être complètement inutile parce que de toute façon ils ne sont pas du tout en mesure de l’atrapper… Dans le tome 5 Harry essaie d’écouter en permanence les informations, il n’a aucune information qu’il veut et on finit sur les perruches qui font du ski nautique. Ça montre bien l’image des sources d’information quelles qu’elles soient qui, au final, donnent des informations qui sont incomplètes, intéressantes et à côté de la plaque.
S : L’info qui vend, qui fait vendre.
M : Et pour remplir un peu, aussi.
S : Oh oui !
M : Si on continue à parler des autres types – parce qu’on va évidemment parler en long, en large et en travers de la Gazette du Sorcier – des autres types de médias qu’il y a… On a parlé qu’il y a aussi de la presse spécialisée, on va revenir sur la Gazette mais je voulais juste mentionner qu’il y a quand même des mentions d’autres magazines. On a un magazine féminin, Sorcière Hebdo, on a de la presse scientifique, le Mensuel de la Métamorphose, de la presse sportive avec Balai Magazine… On a quand même des exemples d’autres types de médias, de presse. Avec la particularité – ça existe aussi dans le monde moldu – qu’on a des journalistes qui passent de l’un à l’autre.
S : Oui, comme Rita Skeeter, à un moment donné, elle écrit pour Sorcière Hebdo, elle vend aussi son interview au Chicaneur, l’interview qu’elle fait de Harry pour le retour de Voldemort… Le Chicaneur, parlons du Chicaneur ! On va dire que c’est l’équivalent… – Non, ce n’est pas l’équivalent de la Gazette du Sorcier version mensuelle… je crois que c’est un mensuel ?
A : Hebdomadaire ou mensuel ?
S : Je crois que c’est plutôt un mensuel. En tout cas, ce n’est pas un quotidien. J’allais dire l’équivalent parce que généraliste mais en fait ce n’est pas l’équivalent parce que le Chicaneur… un peu foufou ? Un peu loufoque ? Je dirais que la Gazette du Sorcier, comme elle n’a pas de concurrence parce que même s’il y a d’autres titres d’info généralistes, il n’y a pas d’autre équivalent dans l’info au quotidien. Elle n’a pas de concurrence, donc elle n’a personne à qui se comparer, pas d’autre média qui ferait éventuellement du meilleur travail qu’elle dans l’info généraliste, et donc elle fait ce qu’elle veut quand elle veut. Elle n’a pas de notion… c’est un peu une notion d’impunité. Elle ne sera jamais poursuivie pour diffamation par exemple ! Vous avez parlé assez longuement du droit dans Harry Potter, on pourrait en faire des tartines mais ça va avec, je trouve. La presse n’est jamais inquiétée pour ce qu’elle raconte, elle peut raconter n’importe quoi ! Quand on voit que nous, par exemple, dans le monde des moldus, si on vient à dire quelque chose, même une inexactitude qui passerait crème auprès des auditeurs mais pas pour les personnes intéressées, on peut tout à fait être inquiétés, et perdre. C’est ça aussi, il n’y a pas de cadre légal !
M : Ce fait qu’il n’y a à priori pas de possibilités de poursuivre en diffamation, de remettre en cause la version de la Gazette, pour toi ça vient du fait qu’ils sont seuls, qu’ils ont le monopole ?
S : Je pense qu’il y a deux choses. Il y a la vision et comment la justice se fait dans le monde d’Harry Potter… Je dirais que la Gazette qui se sent complètement libre de faire ce qu’elle veut quand elle veut, ça c’est lié au fait qu’elle n’a pas de concurrent, il n’y a personne pour faire mieux qu’elle, lui passer devant, vendre plus… Et il y a le fait qu’elle se sent en droit de tout faire parce que personne ne peut l’arrêter légalement, personne ne peut l’obliger à payer des amendes, à publier des corrigés, des droits de réponse…
M : A part le Ministère, on en reparlera, mais ça reste un sujet à part entière.
S : Oh, le Ministère a beaucoup de droits !
A : C’est ce que j’allais dire, elle est même soutenue par le Ministère donc il y a encore une dimension particulière. Par contre, ce qui est intéressant sur le côté pas de concurrence, c’est un sujet qui a été abordé dans pas mal de fanfictions qui ont imaginé la naissance de médias concurrents à la Gazette. Ça mène à des histoires assez intéressantes sur ce point-là, comment la Gazette réagirait, comment ils traiteraient l’info pour se différencier…
S : Et alors, qu’est-ce que ça donne ? C’est un peu plus brillant ?
A : Oui, ça mène à des conflits… Selon les auteurs ça va être le nouveau média qui va être un peu un média de résistance – un peu comme va le faire le Chicaneur mais en plus sérieux et de manière plus constante ; le Chicaneur a fait juste une interview de Harry -, qui se positionne vraiment comme média sérieux, comme média qui s’informe, qui enquête… Il y a souvent cette notion d’influence des méthodes moldues qui disent « Mais en fait ce n’est pas comme ça que tout le monde fonctionne et peut-être qu’on a à apprendre des moldus ».
S : Comme quoi !
M : Puisqu’on parlait d’autres médias et éventuellement concurrents… On ne sait pas depuis quand existe la Gazette du Sorcier, on suppose qu’elle est quand même relativement ancienne, mais on a un autre exemple qui est cité dans le Conte de Beedle le Barde, d’une gazette clairement politique, puisqu’il s’agit de « Sorciers en Guerre », et c’est une gazette anti-moldus, qui était publiée au 17ème siècle, dont le directeur était un certain Brutus Malefoy. Là, pour le coup, je pense que c’est plus une référence… ils l’appellent « gazette anti-moldus » mais on ne sait pas trop si c’était un périodique ou une publication. Au 17ème siècle on ne sait pas exactement à quoi ressemblait la presse dans le monde sorcier, mais on peut imaginer que c’était une référence à la tradition des pamphlets qui dès le 17ème siècle étaient très courants, d’avoir des publications ouvertement politiques pour aller à l’encontre d’un pouvoir ou d’une personnalité… On a un exemple de publication qui ne se cache pas au niveau de son engagement politique.
S : Oui, avec des citations complètement anti-moldus.
M : Horribles oui !
S : A fond anti-moldus et complètement détestables, mais ça c’est autre chose. On peut se dire qu’entre le 17ème siècle et le 20ème dans Harry Potter, est-ce qu’il y a une différence ? Je ne sais pas. Disons que c’est mieux formulé mais qu’au fond… je ne dirais pas la même chose parce qu’il n’y a pas d’appel à la haine ou des choses comme ça, mais il y a toute une notion d’écriture subjective, à fond. En école de journalisme on nous apprend à écrire le plus objectivement possible, même si l’objectivité totale n’existe pas parce qu’on reste des êtres humains. Mais là on est à fond, dans les textes de la Gazette, – et Dieu sait qu’il y a des citations, des articles entiers dans les bouquins, – on est à fond dans du subjectif, avec des adjectifs… On est dans « Je donne mon avis ». Rita Skeeter donne son avis.
A : Et le présente comme un fait, des fois. Non seulement elle se permet de donner son avis mais en plus elle ne le présente pas forcément comme une opinion, ce n’est pas présenté comme une tribune, dans certains médias, qui invite certaines personnes à donner leur avis. C’est vraiment présenté comme une vérité absolue et c’est encore pire !
M : C’est même encore pire parce qu’au 17ème siècle, quand on lit Sorciers en Guerre, signé Brutus Malefoy, on sait exactement ce qu’on lit, on sait que c’est une tribune politique. Alors que la Gazette du Sorcier, comme on l’a dit, c’est censé être la source d’information de référence. Donc quand on a un discours orienté et subjectif, c’est pire parce que ce n’est pas présenté comme tel.
S : Le pire, c’est qu’elle aurait de quoi faire ! Il y a ce qu’on appelle, dans les médias modernes et contemporains, les éditos. Elle pourrait se lâcher dans un édito, ça se fait, dans les quotidiens, dans les mensuels, dans les hebdomadaires, à la radio, à la télé… partout, ça se fait. pourquoi elle ne le fait pas ? Elle le fait très… –
M : Sournoisement, presque.
S : Voilà, elle avance masquée et c’est ce qui est le plus détestable.
M : Justement, transition entre édito et ligne éditoriale… On a touché un peu ce sujet depuis le début mais je me dis que ça peut être l’occasion de parler de ce qu’est une ligne éditoriale, parce que je pense qu’on a tous plus ou moins une idée vague de ce que ça peut représenter, mais de l’intérieur, comment tu décrirais cette idée de la ligne éditoriale ?
S : Je dirais que la ligne éditoriale c’est ce qui te guide dans tes choix, parce qu’un média ne peut jamais tout traiter, ce n’est pas possible. Et c’est ce qui fait que tel lecteur, auditeur… tel public va aller vers toi plutôt que vers un autre. Par exemple, les auditeurs de France Bleu ne sont pas les mêmes que France Inter, ou les auditeurs d’Europe 1 ne sont pas les mêmes que ceux qui écoutent France Culture… Je fais des exemples, mais c’est un peu ça. Je pense que c’est ce qui définit ta couleur – et je ne patrle pas du tout de couleur politique – et ce qui fait qu’on sait qu’on écoute ta radio, qu’on lit ton journal… Je pense que c’est ta ligne directrice et c’est ce qui te permet de faire des choix, de te dire « Là on a le choix entre tous ces sujets-là, on ne pourra pas tout faire et de toute façon on ne veut pas tout faire parce que nous c’est plutôt comme ça qu’on l’entend ».
M : Dans le cas de la Gazette du Sorcier c’est un peu particulier… Ils n’ont pas de concurrents comme on l’a dit.
S : Je pense qu’elle ne pense pas à grand-chose si ce n’est vendre. Vendre, faire de l’audience à fond…
A : Elle le dit d’ailleurs Rita Sketter, à Hermione. La Gazette a l’ambition de se vendre, elle le dit clairement, ce n’est même pas dissimulé. C’est quelque chose de purement lucratif et il n’y pas d’ambition de transmettre l’information.
S : Il y a des gens qui, quand ils veulent devenir journalistes, ils veulent devenir journalistes parce qu’ils veulent informer les gens, parce que c’est important dans la démocratie…etc. Rita Sketter, pourquoi elle veut devenir journaliste ? Pour être une star, en fait, je pense. Elle, et son média en règle générale à mon avis, l’objectif est de faire vendre, pas d’informer les gens. Parce que l’information c’est quand même de la mise en contexte, de l’information vérifiée… c’est de la responsabilité. Il y a zéro responsabilité dans l’esprit de la Gazette.
A : Tu parlais de choix de sujet dans la ligne éditoriale… J’ai l’impression qu’en plus du choix du sujet il y a le choix de l’angle, de la façon dont le sujet va être traité. Et notamment dans les articles de Rita Skeeter, tous les articles sur le Tournoi des Trois Sorciers, il y a parler du Tournoi et il y a en faire un portrait à faire pleurer dans les chaumières de Harry… Il y a cette manière de peopoliser, je ne sais pas si on peut dire ça comme ça.
S : C’est ça ! C’est : quel choix d’angle fera le plus vendre ? Si on dit qu’il a cet âge-là c’est nul donc on va dire qu’il a plutôt cet âge-là. Si on dit qu’il a une histoire avec son amie c’est quand même mieux, c’est plus croustillant… On marche sur la tête ! Ça me fait penser à un truc aussi : on ne voit jamais les journalistes sur le terrain. On peut se plaindre que la Gazette donne de fausses informations mais la Gazette ne vérifie jamais ses informations non plus. A part Rita Skeeter dans le tome 4 qui fait irruption, on entend parler de la Gazette mais on ne voit jamais de journalistes qui bossent ! Alors que la Gazette parle d’événements dans lesquels les personnages principaux sont.
M : On voit que le photographe, en fait. Je crois qu’on voit le photographe dans le tome 2 pendant la dédicace de Lockhart… puis on le revoit dans le tome 4.
A : Sur tout ce qui se passe sur le chemin de Traverse, avec les dédicaces de Lockhart, ou quand Hagrid est arrêté puis réinstauré dans les tome 2, puis au moment de l’affaire Black dans le tome 3… Il y a quand même toute cette histoire – bon on ne sait pas non plus tout ce qui a été mentionné dans la Gazette mais on peut supposer que Black qui fait irruption au château c’est le genre de choses qui seraient traitées, mais il n’y a pas de journalistes à notre connaissance qui sont présents à Poudlard à ce moment-là.
S : C’est ça ! Alors que le journalisme, d’accord il y a les sources officielles, le Ministère évidemment, est une source, mais il y a aussi des sources de terrain. Il y a des témoignages, qui se recoupent, il y a des gens qui ne sont pas forcément des officiels mais qui ont quand même des responsabilités donc qui ont une légitimité pour parler, mais la Gazette ne va pas plus loin que son imagination, d’abord, en numéro 1, et ensuite le canal direct du Ministère, qui a décidé de parler à un moment. C’est le canal de diffusion des communiqués du Ministère, quoi. Moi je pars du principe qu’il n’y pas de déontologie à la Gazette. la déontologie c’est quoi ? C’est ce qui s’apprend à l’école de journalisme, c’est la rigueur, c’est la responsabilité qu’on a en tant que journaliste parce que l’information est essentielle dans une démocratie… si on peut parler de démocratie dans le monde des sorciers. Ça s’apprend mais moi je pense à Ginny Weasley qui devient journaliste sportive, mais c’est une journaliste spécialisée donc c’est quelque chose de différent, et surtout elle met en valeur, je suppose, son expérience de joueuse de Quidditch. Mais Rita Skeeter n’a évidemment jamais fait d’école de journalisme, d’ailleurs je crois qu’on n’entend jamais parler d’école de journalisme dans le monde des sorciers ! Est-ce qu’on entend parler d’études supérieures ? Je ne sais pas.
A : On sait qu’il y a les Aurors qui ont une formation supérieure…
M : On s’est déjà posé la question pour les profs, par exemple. Sur nos épisodes sur l’éducation à Poudlard, on se posait largement la question des qualifications pour devenir professeur, où il y a ces histoires de déontologie – je ne sais pas si on utilise le même mot pour l’enseignement. Je pense que c’est assez symptomatique de la formation dans le monde magique, qui on recrute pour faire quoi…
A : Quand tu parais de personnes aptes à être sources de par leur poste ou autre, il y a énormément de sujets qui sont faits autour de ce qui se passe à Poudlard, et on ne voit quasiment jamais Dumbledore interviewé en tant que directeur, ou McGonagall en tant que directrice adjointe. C’est quasiment toujours les élèves ! Connaissant la rivalité qu’il y a à Poudlard, souvent les élèves de Serpentard… Le récit qui est fait d’un point de vue Gryffondor est souvent tourné là-dessus, il y a cette rivalité Drago-Harry qui est un point de vue pas du tout neutre. Drago est juste là pour en mettre plein la tête à Harry. Il n’y a pas de pluralité des personnes interviewées, c’est « Tiens je prends celui qui va me donner l’info un peu croustillante et qui va faire vendre ».
S : Et après on se dit aussi que finalement, ce n’est peut-être pas très grave qu’il n’y ait pas une pluralité de points de vue parce que même quand Rita Skeeter interviewe des gens, elle transforme leurs propos donc de toute façon à quoi bon être interviewé si c’est pour qu’on dise ce qu’on a pas dit ? C’est terrible !
M : Avant de revenir sur la Gazette on va faire un petit détour par les autres médias puisque pour finir notre panorama il faut quand même qu’on mentionne la radio. En plus, on a une journaliste radio avec nous ! La radio est présente, ce qui est quand même notable. Ca veut dire qu’ils ont beau ne pas avoir l’électricité, ils ont développé une technologie magique qui permet de transmettre des ondes radio. On a la RITM, la Radio Indépendante à Transmission Magique, et c’est tout ce qu’on entend comme réseau. Après, on sait qu’il y a la fameuse émission Salut les Sorciers, dont est tiré le nom de notre autre podcast. C’est à peu près tout ce qu’on sait sur la radio. Il n’y a pas de radio à Poudlard, les élèves de Poudlard n’écoutent pas la radio mais on sait que Molly l’écoute.
S : On sait que MOlly l’écoute, on sait que le programme d’information de la chaîne c’est Sorcellerie Info, mais on apprend, je crois, dans le tome 7, que Sorcellerie Info ne mentionne pas toutes les victimes des Mangemorts, d’où la radio pirate qui est créée par les résistants – on va les appeler comme ça – pour donner des vraies infos. Donc Sorcellerie Info, on a une mention dans le tome 7 qui nous fait comprendre que c’est un peu kiffe-kiffe avec la Gazette. C’est aussi dans le contexte de tome 7 où toute la presse est prise par le Ministère, lui-même pris par Voldemort. Avant, on ne parle pas du tout de radio, je pense que ce n’est pas un truc de sorciers.
A : Ou alors c’est vraiment mentionné, comme Salut les Sorciers, où il y a les chansons de Celestina Moldubec, mais on est plus dans du divertissement que de l’information.
S : Je pense que Sorcellerie Info ce sont des petits flash info comme on a sur les radios musicales chez les moldus. Ca n’empeĉhe pas de faire des flash info corrects, vérifiés et intéressants, mais c’est autre chose ! Je pense que la radio devient quand même assez importante dans les Reliques de la Mort. Evidemment, on fait tout de suite le parallèle entre cette radio pirate et Radio Londres, la radio de la résistance, qui permet de donner des infos fiables… Je pense que Ron se serait tiré une balle plus d’une fois s’il n’avait pas eu cette piqûre d’info chaque jour où il espérait ne pas entendre les noms des gens de sa famille qui éventuellement auraient pu mourir. Je pense que la radio prend une place assez importante dans les Reliques de la Mort mais sinon, sur le reste de la saga, vous le disiez, pas trop.
M : Au final, dans ce contexte de dictature de Voldemort, Potterveille c’est ce seul moyen d’information dissident, puisqu’on se rend compte au fur et à mesure que même Xenophilius Lovegood se retrouve sous l’emprise des Mangemorts parce qu’ils menacent sa fille. On se rend bien compte qu’il a fallu créer ce réseau qui est plus facilement dissimulable qu’un journal pour avoir un moyen d’information pour les résistants. Ça donne à la radio et à ce moyen d’information un statut assez différent. Ce n’est peut-être pas un hasard qu’elle utilise la radio dans le dernier… évidemment c’est rapport à Radio Londres, mais par rapport à toutes les couches que Rowling a ajoutées sur la presse écrite dans tous les autres tomes, ce n’est peut-être pas un hasard que ce soit un autre média qui sert aux résistants.
S : Sans compter qu’il y a une notion assez pratique : quand il y a des gens en fuite partout, ils ne peuvent pas commander la Gazette !
A : Si les hiboux peuvent leur délivrer leur Gazette, ça devient un peu facile de les retrouver. C’est ce que Ron dit à un moment après avoir retrouvé Harry et Hermione, qu’il s’est tenu informé par cette radio pirate, mais qu’on voit qu’il faut y accéder par des mots de passe… On sent bien à quel point c’est une révolte où ils doivent se protéger à tout prix pour ne pas être découverts, il y a tout un protocole mis en place pour protéger aussi bien les auditeurs que les animateurs. C’est assez intéressant qu’elle ait pris le temps de mentionner tout ça.
M : C’est le plus haut niveau de technologie qu’on a autour des médias, Potterveille. Et on se rend compte qu’ils ont des moyens magiques, quand ils veulent s’y mettre, pour mettre en place des technologies magiques pratiques !
S : Donc ce serait un manque de volonté en fait, d’avoir des médias corrects !
M : Tout à fait ! Justement, puisqu’on était à fond dans les médias et le contexte politique, on va revenir sur la Gazette du Sorcier pour aborder quelque chose qu’on a effleuré mais qui est quand même un élément très important quand on parle de médias, c’est le lien entre la Gazette du Sorcier et le pouvoir politique, le Ministère qui se sert de la Gazette comme un outil… Et là on se rend compte que la Gazette n’est absolument pas un contre-pouvoir comme pourrait l’être la presse dans une démocratie, c’est vraiment un outil politique au service du Ministère.
A : C’est le marketing du Ministère !
M : C’est ça ! A différents degrés en fonction de l’administration dans laquelle ils sont. Mais dès que ça dérive on se rend compte à quel point la Gazette est au service du Ministère. Qu’est-ce qu’on en pense de ce lien entre le Gazette et le Ministère ?
S : Moi je me dis que si j’étais au Ministère, je serais tranquille d’esprit. Qu’est-ce qu’on risque au Ministère ? Pas grand chose. Si jamais il y a une affaire qui sort, qui peut vendre, là peut-être que la Gazette peut se retourner contre nous, mais sinon c’est le canal d’information, c’est le journal officiel du Ministère ! C’est fou.
M : C’est vrai qu’on n’a aucun exemple de moment où la Gazette critique le Ministère, il me semble.
S : Il y a des petits moments, je ne me souviens plus exactement…
A : Rita Skeeter va critiquer le Ministère, par exemple.
S : Oui, elle dit qu’il y a des choses très mal gérées.
A : Après la Coupe du Monde de Quidditch, elle va critiquer le Ministère. Mais plus spécifiquement la gestion d’un événement, par un service… Il y a un peu ce côté… peut-être que c’est un peu concentrer l’attention de quelqu’un… on va taper sur quelqu’un pour détourner l’attention de la communauté. Concentrez-vous sur ce truc, énervez-vous là-dessus et en attendant nous on fait plein de trucs et la Gazette n’en parle pas, comme ça on peut mener nos magouilles tranquillement.
S : Comme ça on peut censurer tranquillement, parce que la Gazette pratique à fond l’auto-censure. En fait l’auto-censure, pour moi, c’est un peu « On va taire parce que ça nous pose problème ou parce que ça pose problème à quelqu’un d’autre, ou à quelqu’un qui est au-dessus de nous », alors que là c’est la censure parce qu’ils n’ont pas envie d’en parler. Les attaques du Basilic dans la Chambre des Secrets on n’en parle pas. Pourquoi ? Pour ne pas effrayer les parents ? Pour ne pas avoir des hiboux par milliers qui écrivent des lettres à la Gazette pour demander d’autres informations ? Dans le tome 3, Arthur Weasley qui lui travaille au Ministère et sait pas mal de choses sur ce qui se passe, sur le Chemin de Traverse, à propos de Sirius Black, dit qu’ils n’en ont pas parlé dans la presse parce que Fudge ne veut pas que ça se sache. Le Ministère dit « Vous ne donnerez pas », « Oui, ne vous inquiétez pas Monsieur le Ministre, on ne donnera pas ».
A : Ils ne veulent pas avoir des comptes à rendre.
S : Et ils s’en fichent !
A : Toutes les choses dont ils peuvent parler sans que ça ne leur retombe trop dessus… On n’a pas de sondage de popularité, de cote d’approbation comme on peut l’avoir dans le monde moldu de nos politiques, mais il y a un peu cette impression qu’il ne fait rien dire qui pourrait faire baisser cette cote de popularité. Que ce soit du minsitre ou du ministère de manière générale !
S : Je ne sais pas ce que vous en pensez mais pour moi, la censure dans la Gazette, l’apogée c’est quand le Ministère de la Magie tombe aux mains de Voldemort. Elle commence à peu près dans le tome 5 la censure, parce que dans le tome 4 c’est un peu marrant. Rita Skeeter raconte n’importe quoi mais ce n’est pas encore trop grave. Ça devient sérieusement grave quand Voldemort est vraiment revenu ! A partir du tome 5 où il y a carrément… c’est presque un crime de ne pas donner de vraies infos à des gens qui s’inquiètent, qui sont rongés par l’angoisse. Et tout simplement parce qu’ils risqueraient leur vie ! Je dirais que l’apogée de la censure c’est au moment où le Ministère tombe aux mains de Voldemort. Je ne sais même pas pourquoi ils passent par la Gazette du Sorcier, ils pourraient balancer des communiqués de presse, ça irait plus vite. Dans le tome 7, par exemple, la mort de Maugrey Fol Oeil n’est même pas annoncée dans la presse ! Bill dit qu’il y a beaucoup de sujets passés sous silence.
A : Dès le tome 6, quand il y a la disparition de Ollivanders, Florian Fortarôme…etc, on voit que ce sont des informations qui ont été obtenues par des voies un peu secondaires, notamment parce que Bill travaille à Gringotts, Mr.Weasley au Ministère, mais ce ne sont pas du tout des choses qui sont mises en avant parce qu’il ne fait pas donner l’impression que le ministère faire mal son boulot, qu’il y aurait des choses à reprocher. C’est toute la discussion entre Rufus Scrimgeour et Harry, dans le tome 6, où le ministère capture Stan Rocade pour donner l’impression qu’ils ont fait quelque chose, ils vont en parler dans la Gazette en mode « Regardez, on agit », mais peu importe la façon dont ils agissent, c’est juste pour dire « On fait quelque chose ». C’est un peu la même chose avec la Gazette et la façon dont ils présentent leur travail. On ne dit surtout pas les trucs qui pourraient un peu poser des questions, par contre on met en avant tous les trucs qu’on estime avoir bien fait, et qui vont faire grimper la cote de popularité.
S : Rowling, pour elle, on est clairement dans un climat d’avant guerre et de pré-dictature, d’installation de dictature. Dans le tome 7, par exemple, Hermione est énervée et elle dit « Alors les Mangemorts se sont aussi emparés de la Gazette ? » et Lupin dit oui d’un signe de tête, et elle dit « Mais les gens doivent bien s’apercevoir de ce qu’il passe non ? » et Lupin répond « Le coup de force s’est déroulé en douceur et quasiment en silence ». C’est typique de l’installation d’une dictature.
M : C’est vrai que ce moment-là est assez glaçant parce que ça permet de revoir en arrière l’habitude qu’ont la majorité des sorciers avec cette mono-source d’information de ne pas la remettre en cause et de ne pas se poser de question, avoir de voix divergentes, et du coup ils ne se sont pas rendu compte ! Est-ce que le citoyen sorcier moyen ne s’est vraiment pas rendu compte ou est-ce qu’il a préféré se mettre des œillères pour rester confortable ? C’est toute la question et c’est totalement possible, les historiens peuvent très bien nous parler aussi de ce qu’il se passe pendant les guerres, avec la majorité des gens qui ne vont pas rentrer dans la résistance pour plein de raisons différentes. Mais il y avait quand même cette habitude qu’avaient les sorciers de ne pas remettre en cause la Gazette qui a encore plus facilité cette prise de pouvoir discrète.
S : Quand on voit l’influence qu’a la Gazette tout au long de la saga sur les gens notamment on parle de Poudlard qui est contre Harry quand ils pensent qu’il dit n’importe quoi… Oui, je pense qu’il y a beaucoup de familles qui ne remettent pas du tout en question. Je pense qu’il faut avoir quelqu’un dans la famille qui travaille au Ministère pour faire un petit peu de contrôle des fake news.
A : C’est vrai que quand on regarde le début du tome 5 quand Harry retourne à Poudlard et que c’est assez tendu entre lui et Seamus Finnigan, et que Seamus a peur de lui et pense que c’est un fou et refuse de partager le dortoir avec lui, quand il demande à Neville ou Dean, je crois que c’est Dean, ce qu’il a, Dean lui dit « Il croit ce qu’il y a écrit dans la Gazette. Et sa mère y croit. » Et ça veut dire quoi ? « Ca veut dire que la Gazette t’a présenté comme un fou tout l’été donc c’est comme ça ». Je trouve que c’est assez dingue dans le cas de Seamus Finnigan parce que c’est un camarade de classe de Harry, ils se connaissent depuis 4 ans, ils vivent ensemble, ils partagent un même dortoir… Même sans être le meilleur ami de Harry, il y a quand même une certaine confiance qui s’est instaurée entre les deux, il y a un minimum de camaraderie, et en deux mois tout ça est complètement occulté parce que pendant quelques semaines la Gazette a dit « Ce type-là est taré et raconte n’importe quoi ». Ça montre aussi bien à quel point la Gazette a une voix qui ne peut pas être contredite ! Même pour les proches des personnes.
S : Elle a une voix qui porte parce que personne n’est là pour dire « Eh oh, ce que tu racontes c’est n’importe quoi ! ». Il y aurait ne serait-ce qu’un autre titre de presse qui ferait moins pire, ça serait mieux, déjà. Parce que l’un et l’autre seraient là « Qu’est-ce que l’autre dit, mince eux ont dit la vraie info… ». Il y aurait une forme de concurrence et c’est aussi avec la concurrence qu’on fait bien notre travail, je pense.
A : C’est justement ce qui se passe avec l’interview de Harry avec le Chicaneur. Tout à coup il y a une version alternative des faits, ce qui n’était jamais arrivé jusqu’ici, et il y a des gens qui changent d’avis, dont Seamus, justement, mais d’autres personnes. Il reçoit des courriers d’anonymes, de personnes qui disent qu’ils lui font confiance… On voit qu’il y a ce basculement qui n’est possible que si les choses peuvent être présentées de plusieurs manières et pas uniquement avec un point de vue unique et forcément biaisé, orienté.
M : Parfaite transition ! On va pouvoir parler du Chicaneur. Le Chicaneur est cette petite porte entrouverte pour avoir une version divergente de la Gazette du Sorcier mais quand même, quand on a préparé l’épisode, je me suis dit que le Chicaneur permettait surtout de parler des médias et des théories du complot. Surtout quand on fait la comparaison avec ce que nous on connaît dans notre monde moldu, dans notre quotidien ! On reconnaît ce que c’est que le Chicaneur, on reconnaît parce qu’on voit passer des choses complètement absurdes, en l’occurrence sur les réseaux sociaux. La différence avec les réseaux sociaux pour le Chicaneur c’est qu’on a l’impression qu’ils n’ont pas vraiment une audience. Ils n’ont pas de légitmité folle quand mêm. Ils n’ont pas une portée… On a l’impression qu’à part sa fille, Xenophilius Lovegood n’a pas beaucoup de lecteurs ! Ça change quand il y a cette fameuse interview avec Harry. Je me pose quand même la question du Chicaneur, de son audience et de son vrai impact au niveau théories du complot…
S : A mon avis le Chicaneur prend un peu de chair à partir du moment où la fameuse interview de Harry est publiée. Je n’en sais rien mais je pense qu’il commence à prendre un peu de chair et de portée à partir de ce moment-là. Tu évoques les réseaux sociaux, moi je trouve que ça fait un peu réseaux sociaux. Ça fait un peu Twitter, Facebook, Youtube, où on peut avoir n’importe qui qui dit n’importe quoi, il n’y a personne qui régule ça, et c’est justement ce qui différencie les réseaux sociaux d’un média. Là où un réseau social donne des infos en vrac sans vérifier, sans contexte, un média est là pour les vérifier d’abord et les mettre en contexte ensuite. Moi je trouve que le Chicaneur ça fait un peu ça ! « Il parait que les Ronflaks Cornus et les Joncheruines existent. Micheline en a vu l’autre jour ! Micheline, c’est vrai, vous en avez vu ? ». Il y a zéro vérification ! Ils titrent comme ça.
A : C’est vrai que la différenciation des médias est intéressante mais en l’occurrence, si on l’oppose à la Gazette justement, la Gazette ne fait pas ce travail de média, de vérification… C’est un peu moins des opposés que ce qu’on pourrait croire.
S : C’est le côté un peu loufoque.
M : La différence c’est le rapport avec le pouvoir politique. Le Chicaneur, ils sont complètement indépendants. Ils n’ont pas… sauf dans le tome 7, c’est un électron libre Xenophilius Lovegood. Il ne rend de comptes à personne. C’est ça qui différencie le Chicaneur de la Gazette, ce n’est pas franchement sa méthode c’est plutôt son lien avec le Ministère.
S : On le voit dans le tome 3, où on se dit « Ah, enfin un titre de presse qui ne raconte pas des bêtises sur Sirius Black ! ». On voit l’exemple du titre sur le une, c’est « Sitrius est-il aussi noir qu’on le dépeint ? ». On se dit qu’il y a peut-être une vraie enquête sur Sirius Black, qu’ils vont nous apprendre qu’en fait non, ce n’est pas lui qui a fait cette tuerie de masse il y a quelques années… Et après il y a un sous-titre c’est « Un redoutable tueur en série ou un innocent chanteur de variété ? ». Et là on se dit « Oh là là, ce n’est pas vrai, dans quoi ils se sont embarqués encore ? ».
A : C’est dans le tome 5 puisque c’est à ce moment-là qu’on découvre Luna et le Chicaneur. Mais oui, il y a un peu ce côté théories du complot… Tiens, j’ai une idée, je vais la balancer sans réfléchir si elle tient la route, si elle peut se vérifier…
S : C’est ça !
M : Il y avait la bonne approche de questionner le discours officiel mais ça ne va pas jusqu’au bout et ça se décrédibilise par le raisonnement qui suit.
S : Ça fait penser à la fois aux réseaux sociaux mais aussi à un forum. On lance un débat, allez hop, machin dit ça…
A : Entretuez-vous !
S : C’est ça, on va discuter ensemble, ça fait un peu ça.
A : Sur le cas de Sirius Black, je reviens un petit peu en arrière mais ce que je trouve intéressant c’est qu’il y a cette remise en question, comme le disait marjolaine, ce qu’on dit n’est pas forcément vrai sur Sirius Black. Si on repense à la façon dont il a été présenté par la Gazette, c’était le pire tueur en série, le pire criminel du monde magique qu’on ait jamais connu… Alors qu’en dehors-même de la considération du fait qu’il est innocent, ce qui n’est pas vraiment anecdotique, mais on ne peut même pas comparer ce dont il est accusé – avoir tué douze personnes – au massacre de milliers d’innocents et d’endoctrinement de Voldemort et Grindelwald. On est encore à un niveau qui est complètement au-dessus dans le cas de Grindelwald et Voldemort ! J’ai l’impression que la façon dont il est présenté… c’est vraiment le fou furieux, qui est parti en vrille, qui a tué tout le monde sur un coup de tête, qui est présenté vraiment comm un fou, là où Voldemort et Grindelwald on est dans de la manipulation, de l’endoctrinement, une volonté de prendre le pouvoir sur le monde magique… On ne joue pas du tout dans la même cour ! Le simple fait de diaboliser Sirius Black comme ça, ça montre bien que la Gazette n’en a un peu rien à foutre.
M : Evidemment on a bien dit que la Gazette n’avaient pas de déontologie à ce niveau-là, mais si on parle juste de l’impact des histoires dans les médias au sens large, mine de rien ce qui s’est passé avec Sirius Black a marqué les gens parce que c’était spectaculaire, il y a un côté drame derrière… Forcément, indépendamment de creuser est-ce qu’il est vraiment coupable ou pas, il y avait quand même cet impact sur l’opinion qui était sur un moment, une explosion, quelque chose de vraiment très impressionnant qui a marqué l’opinion, les gens. La Gazette, on l’a dit, utilisent ça pour vendre du papier mais je pense qu’on a quand même plein d’autres exemples où on ne traite pas de la même manière une personne qui a fait un acte horrible, spectaculaire, d’une autre personne qui est un baron de la mafia ou de la drogue. Ce n’est pas le même traitement dans les médias. Je pense que c’est plutôt à ce niveau-là qu’il y a une différence avec le traitement de Sirius Black dans la presse. On aime bien présenter quelqu’un qui fait peur ! En plus il est en liberté, il pourrait s’attaquer à n’importe qui…
S : Attention, peut-être que vous êtes le suivant !
A : Et donc tu pousses les gens à vouloir absolument s’informer et tu vends ton journal. Alors que le Chicaneur qui, c’est ce que dit Luna texto « papa se fiche du nombre d’exemplaires qu’il vend, ce n’est pas ça qui l’intéresse ». Il dit ce qui lui passe par la tête mais il n’y pas du tout cette idée d’être sensationnaliste.
M : Je ne sais pas…
S : A mon avis c’est fait en toute bonne foi ! C’est « Posons-nous cette question là cette semaine, chers lecteurs ». Et au lieu de dire « On va vous donner des réponses avec des témoignages et éventuellement des experts » c’est « Posons-nous cette question et point final ». Discutons-en.
M : C’est vrai que Sirius comme chanteur de variété j’aime bien. Et peut-être qu’on ne savait pas mais que dans sa jeunesse Sirius était… je ne sais pas, ils avaient peut être un petit groupe avec les Maraudeurs, qui sait ?
A : Il chante dans la saga ! Il chante un conte de Noël au Square Grimmaurd. Est-ce que le chant de Noël rentre dans la variété, c’est un débat ?
M : Là on peut ouvrir sur une fanfiction ou Xenophilius Lovegood a connu Sirius et sait qu’il chante très bien…
S : Du temps où il faisait des tournées ! C’est marrant parce que dans le tome 5 quand Harry a regardé la une du Chicaneur, il a regardé tous les titres et il se dit « Oh là là », il referme le truc et Rowling écrit « En fait, comparé au reste des articles, la suggestion selon laquelle Sirius serait le chanteur du groupe Croque-mitaines serait tout à fait raisonnable ». Donc on s’imagine tout ce qu’il y avait sur la une, il y avait une histoire d’un sorcier qui disait qu’il était allée sur la lune en Brossdur 6, je crois, sur un balai qui n’allait pas très vite je pense par rapport à l’éclair de feu qu’on a connu dans le 4… mais même avec un éclair de feu je pense qu’on ne peut pas aller sur la lune. Et qui disait que « Oui oui, je suis allé sur le alune, la preuve j’ai rapporté un sac de grenouilles lunaires ! ». Bref, on ne va pas s’éterniser là-dessus mais pour moi le Chicaneur c’est un forum.
A : Ce que je trouve intéressant dans les titres du Chicaneur c’est le titre « Jusqu’où ira Fudge pour s’emparer de Gringotts ? » avec cette idée qu’il tuerait des gobelins pour parvenir à ses fins. Et là on est dans de la diffamation pure. L’interview d’un sorcier qui a volé jusqu’à la lune, le gars raconte n’importe quoi mais ce n’est pas diffamatoire, l’article sur Sirius, c’est faux mais on peut difficilement dire que… sans doute qu’on pourrait plainte pour diffamation dans le sens où c’est complètement n’importe quoi, mais c’est difficile pour Sirius de porter plainte puisqu’il est toujours recherché. Mais l’article de Fudge on est dans de la diffamation pure et simple à priori le magazine continue d’être publié sans difficultés par la suite, donc on peut se demander dans quelle mesure… Est-ce que le Ministère se dit que l’audience est tellement minuscule qu’ils ne s’en soucient pas vraiment ?
S : Je pense que c’est ça mais ça questionne encore sur la façon de travailler des journalistes dans le monde des sorciers parce qu’on se base plus sur les « on dit » que sur une information vérifiée. Jamais ils ne vont voir les gens qui seraient légitimes pour répondre à ces questions-là. C’est toujours les « on dit ». La Gazette à fond, surtout quand ça l’arrange, le Chicaneur aussi… C’est les « on dit ». Mais en quoi un média c’est les « on dit » ?
A : Par contre, ce qui est intéressant dans le cas du Chicaneur, il y a l’interview de Harry dont on a déjà parlé mais même pas la suite ils continuent de relayer, au début du tome 7, avant d’avoir ce chantage des Mangemorts qui menacent de capturer Luna, il a continué de prendre la défense de Harry, de l’Ordre du Phénix… Il n’était pas tombé encore sous la coupe des Mangemorts et essayait de diffuser une information… il est un peu devenu politique à un moment mais avec une vraie volonté d’informer quand plus personne le faisait – si tant est que la Gazette le faisait avant.
Il y a quand même eu cette volonté à un moment. Il y en a d’ailleurs qui le disent, je crois que c’est Kingsley qui dit « Si tu veux les vraies infos, va lire Le Chicaneur ».
S : C’est le seul qui fait preuve d’une véritable ouverture d’esprit au moment où tout le monde en a vraiment besoin. Il met de ĉoté sa ligne éditoriale, puisqu’on parlait de ligne éditoriale tout à l’heure, il la met de côté pour dire « Bon, l’heure est grave, il faut qu’on fasse quelque chose de spécial dans le journal. OK, j’ouvre une page pour cette info-là ».
M : C’est là qu’on voit l’importance de l’indépendance du média. La grosse différence du Chicaneur c’est d’être véritablement indépendant. Quitte à être en roue libre… Xenophilius Lovegood n’est pas un journaliste, mais c’est une bonne personne. Il fait partie des bons, des gentils dans la saga. On voit qu’il avait cette indépendance d’esprit qui lui a permis de prendre parti du bon côté, au final, au bon moment.
S : On parlait de déontologie tout à l’heure, c’est tout ça. C’est en quoi tu te responsabilises en tant que journaliste. Tu peux faire dix écoles de journalisme et être quelqu’un qui n’est pas responsable et qui veut avant tout vendre, et qui donc ne respecte pas l’info, les gens que ça concerne…etc. Il y a une question de déontologie mais il y a aussi une question d’auto-responsabilité. Pour le coup, Xenophilius est auto-responsable. Il a la conscience, la notion du public qui le lit, même s’il n’y a peut-être pas beaucoup d’audience, en tout cas il a la notion des gens qu’il y a derrière le magazine.
M : Intéressant le Chicaneur ! Ce qui est intéressant aussi c’est que c’est presque devenu un contre-pouvoir, il avait le potentiel de devenir vraiment cette contre-voix à la dictature de Voldemort, et c’est pour ça finalement que les Mangemorts lui sont tombés dessus. On voit bien à quel point le potentiel d’un média dissident est problématique dans le cadre d’une dictature, tout simplement.
S : Tout à fait. Tu parles de potentiel, c’est sûr qu’on se dit, avant que Voldemort prenne les médias, « Si tu mettais des vrais journalistes rigoureux…etc, ça serait un super journal ! ». Ce serait le journal dissident et sûrement le seul journal d’information pour les sorciers. Mais non.
A : Ce qui est intéressant dans le cas de Xenophilius c’est que j’ai l’impression que c’est le genre de personnes, dans son entreprise notamment, qui n’a aucune ambition. Dans le sens où même quand il a la possibilité de devenir un média de référence de contre-pouvoir, ça ne l’attire pas du tout. Ce qui l’intéresse c’est sa recherche du Ronflak Cornu, les Joncheruines, tout ces trucs là. Il n’a pas d’ambition de raconter la vérité dans son journal, ou quoi que ce soit. Même au moment où il pourrait, ça n’a pas l’air de l’intéresser plus que ça.
M : On a surtout l’impression qu’il n’y a aucune envie de rejoindre un collectif. Il est hyper indépendant et jamais il ne rejoindra l’Ordre du Phénix, alors que comme tu le disais, Kingsley envoie les gens lire le Chicaneur. Mais ils n’ont même pas cherché à le recruter parce que ce n’est pas quelqu’un qui s’incluerait dans un collectif. Il est dans son coin.
S : Il est dans son coin et c’est un petit peu son petit plaisir, le Chicaneur. Il pourrait avoir un job à côté, ça ne serait pas étonnant que ce soit son truc en plus. Et en fait, non, c’est son métier. Oups, c’est son métier !
M : Celle où on n’a aucun doute que le journalisme est son seul et unique métier et sa raison de vivre, c’est Rita Skeeter. On en a beaucoup parlé mais on peut peut-être revenir sur elle pour explorer un peu plus ce qu’elle représente en tant que « journaliste » et quel type de journalisme elle représente. On l’a mentionné, c’est à la fois la journaliste people et qui est elle-même une people, qui se starifie elle-même. Comme on l’a dit, elle est complètement intouchable. Je trouve que c’est un sujet qu’on a déjà abordé mais qui est hyper important dans toute la saga : c’est elle qui a un pouvoir absolu sur la réputation des gens. Elle use et c’est son ambition, sa grande ambition c’est d’avoir ce pouvoir sur la réputation de tout le monde.
S : En fait, Rita Skeeter c’est tout ce que tout le monde déteste dans la presse. C’est l’incarnation en humain de ce que les gens détestent dans la presse, même encore aujourd’hui. Il y a une défiance envers le journaliste qui va modifier des propos, on y reviendra tout à l’heure je pense, mais Rita Skeeter c’est vraiment… ce n’est pas pour rien que Rowling ne présente qu’une seule figure de journaliste dans son œuvre. Elle a envie de personnaliser ce journalisme qu’elle déteste et que beaucoup détestent. Rita Skeeter, rien ne va chez elle, rien ne va dans sa façon de faire. C’est symbolisé par sa fameuse Plume à Papote. La Plume à Papote, c’est l’élément magique qui transforme les propos, qui dit absolument ce qu’elle veut. On se demande même pourquoi elle rencontre Harry dans le placard à balai, dans la Coupe de Feu. Pourquoi elle le rencontre si c’est pour inventer du début à la fin ce qu’il raconte, son profil, son âge… ? A quoi bon le rencontrer ? Avec des termes ultra subjectifs, comme ce qu’on disait tout à l’heure. Elle parle d’horrible cicatrice, qui lui défigure le visage… On est dans le degré d’objectivité zéro. Elle est là, elle bombarde de questions, sans attendre les réponses… C’est vraiment la scène où on a l’impression d’entendre Rowling vous dire « Vous voyez, c’est comme ça que certains journalistes travaillent ».
A : Mine de rien, il y a beaucoup de personnages dans Harry Potter qui ont beaucoup de nuance. Il y en a qui sont très manichéens mais ça reste assez marginal, je trouve qu’il y en a beaucoup où au fil de la saga il y a des nuances, alors que Rita Skeeter, on a vraiment l’impression que c’est tous les clichés réunis en une seule personne. C’est d’autant plus flagrant, je trouve. C’est quelque chose qu’on peut retrouver dans le monde moldu donc effectivement, ça fait vraiment « Je dénonce tout ce qui m’énerve ». A une époque où au moment où elle écrivait le tome 4, Harry Potter avait déjà commencé à être populaire, il y avait déjà pas mal de presse justement, autour de la saga, les droits cinématographiques avaient été achetés… Il y a vraiment une revanche qui a été prise avec la façon dont certains travaillent, ce qu’elle a dû elle-même endurer…
S : Rowling a dû en pâtir, du traitement de la presse, la presse people n’a pas dû être tendre avec elle, surtout en Grande-Bretagne. Ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère ! Je trouve que la Coupe de Feu… autant dans le tome 5, l’Ordre du Phénix, ça y est, on commence vraiment à basculer dans une presse dangereuse, autant dans la Coupe de Feu je trouve que c’est un peu l’alerte. « Attention, ce qu’on lit dans la Gazette, vous voyez que ce n’est pas toujours vrai ». Parce que la Gazette du Sorcier on en entend parler avant, mais pas trop non plus. On en entend parler avec Sirius où on se dit que c’est davantage une erreur judiciaire qu’un mauvais traitement journalistique, et là, dans la Coupe de Feu, la Gazette on en entend parler plein de fois, tout le temps ! Avec des articles entiers retranscrits, et c’est là qu’on se dit « Punaise, la Gazette, en fait, il ne faut pas trop s’y fier ». je pense que c’est un peu l’alerte pour tout le reste de la saga.
A : C’est vrai que dans le 4 on est vraiment dans une presse people, notamment autour de Harry parce que c’est d’abord le présenter comme une pauvre petite victime, ensuite comme quelqu’un victime d’avoir été inclus dans le Tournoi malgré lui, ensuite il a été soi-disant largué par Hermione qui lui aurait préféré Viktor Krum, après elle le présente comme quelqu’un d’horrible et dangereux avec les élèves où elle parle du fait qu’il parle Fourchelang…etc. On est vraiment dans le potin, dans les ragots purs et durs alors que dans le 5, c’est la censure, la déformation, les enjeux politiques… On ne joue plus du tout dans la même cour.
S : Et à cause de cette influence qu’elle a parce qu’elle est toute seule à faire la loi, la Gazette, elle a un tel impact sur les sorciers qu’elle peut détruire en deux deux des réputations. En deux ou trois articles, même en un article elle peut détruire des réputations. Dumbledore est traité de vieux fou, de vieil ahuri d’un autre âge – bon Dumbledore, lui, s’en fiche. Je pense qu’il y a plein de parents d’élèves à Poudlard qui doivent se dire « Oh là là, l’école de mon fils est mal dirigée parce que Dumbledore est un vieux fou et un vieil ahuri d’un autre âge ». Malefoy s’en donne à coeur joie, à chaque fois qu’un truc paraît dans la presse : »Ah, Potter, là là là ». Il montre aussi un article, à un moment donné, qui parle d’Arthur Weasley. Alors je crois que l’article ne le cite pas directement mais on sait que c’est lui. Il y a des termes hyper gros, « fantaisie, bouffonnerie, peu digne d’un représentant d’un Ministère… ». Là encore très subjectif. Il y a Hagrid aussi qui en prend pour son grade, le chapitre « Le scoop de Rita Skeeter » dans la Coupe de Feu, bourré d’horreurs et des fausses informations, Hagrid se retranche dans sa cabane et ne veut plus en sortir tellement il a honte et tellement il pense que c’est fini pour lui. Tu l’as dit, Hermione est victime d’un article… On détruit des réputations en un article, allons-y !
M : Sur le cas d’Hermione et Harry, il y a quand même la particularité que ce sont des mineurs, ce sont des adolescents. Là, on est vraiment dans la catégorie… Dumbledore, comme tu l’as dit, est assez costaud pour s’en ficher, et ça ne remet pas vraiment en cause son statut, sa place…etc. Mais là, s’attaquer à des ados ! On a vu, faire retourner même Molly Weasley contre Hermione, c’est assez violent.
S : Pour le coup, parlons de Molly Weasley. Pardon mais elle la connaît quand même ! Ça pose question !
M : On est tous déçus de Molly à ce moment-là !
S : Oui, je ne valide pas du tout Molly là, on est ultra déçus ! Et Hermione ne se rebelle pas, elle reçoit son œuf de Pâques pourri, plus petit que les autres, et elle ne se dit pas qu’il faut qu’elle lui dise « Mais enfin Molly ! ». Il faut que ce soit Harry qui lui dise « Molly, quand même, vous ne croyez pas ce qu’il y a dans Sorcière Hebdo ! ». C’est fou ! Molly la connaît ! On voit jusqu’où la presse peut avoir un… –
A : Ca rejoint ce qu’on disait tout à l’heure avec Seamus. Même avec des gens qu’on connaît très bien – Molly c’est encore pire parce qu’elle est adulte donc elle a quand même le recul qu’un adolescent comme Seamus n’a pas. Elle a hébergé Hermione chez elle et elle ne remet pas ça du tout en question. Ce qui est intéressant dans toutes ces « informations » de Rita Skeeter, c’est qu’il n’y a aucun scrupule sur la façon d’obtenir l’information, sur ses méthodes. Elle va espionner des gens, il y a tout le fait qu’elle soit un animagus non-déclaré donc on est dans une démarche complètement illégale. Non seulement elle utilise un moyen illégal mais en plus, même si elle était là elle-même métamorphosée en buisson, elle espionne les gens à leur insu et retranscrit des informations qu’elle n’était pas censée avoir, sans demander leur accord, en citant des gens sans leur demander avant s’ils peuvent être cités… Que ce soit pour Hagrid, Harry, Ron et Hermione. C’est toute la méthodologie – on parlait de déontologie tout à l’heure, il n’y a rien qui va dans sa façon de faire.
S : On est au niveau zéro de l’éthique. Même peut-être dans le négatif ! Je trouve que la Gazette, en ça, et donc Rita Skeeter, c’est un personnage dans toute la saga. C’est un personnage, c’est un élément perturbateur; Combien de fois le récit est ponctué, stoppé, interrompu par machin qui arrive avec la Gazette en disant « Vous n’avez pas vu ce qu’il a dans la Gazette ! » et de ça découlent plein de choses, et donc des perturbations. La plupart du temps, il y a n’importe quoi dans la gazette donc ça crée des problèmes pour les personnages visés.
M : Si on reste sur Rita Skeeter et son rôle dans l’histoire, il y a quand même un cas assez particulier, c’est sa biographie de Dumbledore. C’est compliqué, cette biographie, surtout maintenant qu’on sait que le prochain Animaux Fantastiques s’appelle « Les secrets de Dumbledore » et je sais qu’il y a eu pas mal de blagues qui disaient « Ça aurait du être ‘Vie et mensonges de Dumbledore’ comme titre ». Il y a quand même cette idée que c’est Rita Skeeter, donc on a du mal à faire confiance à ce qu’il y a dedans, mais il y a quand même une base de vérité dans ce qu’elle dit. Elle dit quand même beaucoup de choses qui s’avèrent être confirmées par Abelforth. Elle fait un travail sur la biographie, avec des méthodes… on comprend comment elle va récupérer ses sources et c’est loin de la déontologie comme on le disait tout à l’heure, de respect des sources, mais elle produit un document qui est quand même hyper intéressant parce que ça dévoile des choses sur un personnage… –
S : Oui mais que dans un sens. Je pense qu’il y a assez peu de nuance.
M : Oui, c’est sûr.
S : A mon avis c’est « Comment Albus Dumbledore vous a toujours menti ». Alors oui, on va dire qu’elle a fait son travail de journaliste – mais elle l’a fait quand même : « Wahou, il y a des infos qui peuvent être vraies dedans, exceptionnel ! » ; mais il y a toute la notion de comment elle l’a fait, et puis où est la nuance ? Quand on fait une biographie, on fait un portrait de 800 pages, donc il y a forcément des nuances. Je doute que Rita Skeeter soit quelqu’un de nuancé ou qui souhaite apporter la nuance. En tout cas, par ses écrits, je pense qu’elle est crainte. Pas pour sa personne, mais la Gazette c’est un peu le mal avec un grand M. Je trouve que les personnages sont toujours inquiets, de la même manière qu’ils arrivent , ils peuvent faire irruption en disant « Vous avez lu ce qu’ils disent dans la Gazette ? ». C’est toujours « Qu’est-ce que la Gazette va raconter de ça ? », quand il se passe un truc, « La Gazette va s’en donner à coeur joie ! ». Je pense que ça a tellement un impact fort et la force et la capacité, le pouvoir de briser des vies, clairement, que la parution est crainte.
M : Est-ce que cette crainte n’existe pas aussi dans notre monde, au final ? Ou est-ce qu’elle existe moins parce que justement on se dit qu’il a cette possibilité de se défendre, cette possibilité d’avoir plusieurs versions des faits… .
S : Dans notre monde moldu, on a plusieurs choses. On a le droit de réponse, on a le cadre légal quand même, n’importe qui peut nous attaquer en justice et ils ont le droit, il y a aussi le fait qu’il y a plein d’autres médias, donc le public a d’autres moyens d’information. Là, le problème avec la Gazette c’est que si la Gazette raconte n’importe quoi, tout le monde va raconter n’importe quoi.
A : Personne ne peut facilement prouver qu’il y a un problème ou proposer une information alternative qui aura autant de portée. S’il y a une info qui est diffusée, si TF1 diffuse quelque chose mais que France 2 diffuse le contraire, on se pose des questions. On est sur deux groupes, un privé et un public, qui ont des intérêts différents, mais… Alors que là il n’y pas d’alternative.
S : Vous parliez tout à l’heure des méthodes de Rita Skeeter qui sont complètement hors la loi. Moi ça me fait penser à l’affaire Grégory Villemin, dans les années 80, chez nous les moldus. Là c’était dérive générale des médias, d’ailleurs c’est un peu présenté comme l’exemple avec un grand E de tout ce qu’il ne faut plus faire dans le travail journalistique. Quand j’ai découvert ça, parce que j’avais lu un bouquin d’une journaliste qui a couvert l’événement, enfin l’affaire parce que ça duré des mois, des années, c’est hyper inquiétant.
A : Est-ce que tu peux expliquer un petit peu ce qu’il s’est passé ? Moi je ne connais que les grandes lignes et je pense que tout le monde ne connaît pas.
M : C’est un peu vieux mine de rien.
S : Oui, c’était en 1984, si je ne me trompe pas. Un enfant qui a été enlevé et retrouvé mort dans la Vologne. Aujourd’hui, à l’heure qu’il est, on ne sait toujours pas qui l’a tué. L’enquête… ce sera des jugements, mais est-ce que l’enquête a patiné…etc, c’est autre chose. Mais en tout cas, la presse s’est jetée sur le truc à l’époque, et les journalistes n’ont rien respecté. Ils n’ont pas respecté la présomption d’innocence, il y a même un homme qui est mort en partie à cause de ça parce qu’ils ont monté les choses en épingle, avec là encore des suppositions, des on-dit, des choses qui n’étaient forcément vérifiées, et ça a entraîné le père de Grégory Villemin à tuer son cousin. On ne sait pas si finalement son cousin est mêlé à l’affaire, on ne le saura peut-être jamais, je n’en sais rien, mais en tout cas ça a eu des conséquences terribles. Ils ont violé la présomption d’innocence, ils ont harcelé les familles, le couple Villemin mais pas que, la famille a été harcelée jusqu’à chez elle… Personne n’aurait supporté ça, je ne sais pas comment ils ont fait pour supporter ça ! Ils ont été manipulés, des journalistes leur disaient « On peut vous aider… » et en fait ils en tiraient des informations pour faire leur une. Évidemment, heureusement, il y a des journalistes qui ont essayé de bien faire leur travail, et il y a l’effet de groupe : quand on est entraîné et qu’on a la pression de la hiérarchie pour dire « Il nous faut ça », je ne dis pas que c’était évident. Moi ça me fait penser à ça, les méthodes de Rita Skeeter me font penser à cette affaire.
M : C’est ce qu’on disait, je pense que même si comme on l’a dit, tout est personnifié dans un personnage qui n’a aucune nuance contrairement à d’autres personnages de la saga, ça reste quand même une représentations de dérives réelles, même si peut-être que ce qui est problématique dans le monde sorcier c’est qu’il n’y a pas d’exemple positif pour montrer comment devraient fonctionner les médias. Tout ce qui est décrit, ça reste quand même des mécanismes qui sont assez crédibles, par rapport à ce qu’on peut connaître dans notre monde.
S : Tout à fait ! Ça se base évidemment sur des constatations réelles qu’elle pousse à fond, mais il y a des journalistes qui travaillent comme ça malheureusement, ou en tout cas qui ont travaillé comme ça.
A : On faisait un peu le parallèle tout à l’heure entre le Chicaneur et les réseaux sociaux, mais je trouve qu’aujourd’hui quand on parle de sites, du putaclic… Je trouve que Rita Skeeter est vraiment dans cette démarche là. Dans le sensationnalisme, la désinformation… Il n’y a aucune notion de conséquence ou quoi que ce soit. Il faut vendre, il faut un scoop, il faut de l’exclusif, de l’incroyable : « Le garde-chasse de Poudlard est un demi géant, l’Élu est dangereux… ». On est aussi sur des titres qu’on voit aujourd’hui, d’autant plus sur de la presse numérique, où on fonctionne avec des publicités donc il faut cliquer, il faut attirer à tout prix quitte à donner une mauvaise information, ou en tout cas une information incomplète.
S : Tu donnes un exemple intéressant : le cas d’Hagrid qui est un demi-géant, moi je ne suis pas choquée de voir l’info dans la presse. En revanche je suis choquée que ce soit présenté comme quelque chose de dangereux, de grave, de terrible… Qu’est-ce qu’elle aurait pu faire Rita Skeeter ? Elle aurait pu faire un vrai portrait d’Hagrid en disant « Hagrid, demi-géant, mais qu’est-ce qu’un demi-géant ? Justement, on va en parler avec lui et on va interviewer des gens qui ont fait des bouquins sur l’histoire des géants…etc ». Et là on aurait un truc complet qui n’attise ni la haine, ni l’angoisse, ni les peurs…etc. Il ne s’agit pas de ne pas diffuser l’information, Rita Skeeter peut diffuser toutes les infos qu’elle veut, mais d’une bonne manière. En tout cas, effectivement, la ressemblance avec aujourd’hui c’est toutes ces dérives là, les infos qui ne sont pas complètes, où il y a des erreurs, tout ça pour vendre… et les réseaux sociaux. J’ajouterai aussi le problème de rapidité dans l’info. Aussi à cause des réseaux sociaux, en règle générale à cause d’internet, maintenant c’est l’info en continu. Et l’info en continu c’est très problématique pour le journalisme qui a besoin de temps pour vérifier, croiser des sources…etc. On est pris par le temps et c’est : comment privilégier le temps au scoop, en gros.
A : Dans ce que tu disais il y a quelque chose de super intéressant, tu parlais d’incitation à la haine et ça aussi c’est quelque chose que Rita Skeeter fait dans ses articles ! Aujourd’hui, un média moldu qui fait ça, il y a une sanction légale qui arrive, c’est quelque chose qui est sanctionné, ou qui devrait l’être systématiquement – malheureusement je pense qu’il y a toujours des trous dans la raquette.
S : Il faut saisir la justice, c’est ça le truc.
A : Au-delà de la désinnformation, il y a une vraie discrimination auprès des demi-géants. Je ne sais plus si elle dit quelque chose à propos de Lupin ? Il me semble qu’elle dit – ce n’est pas le sujet de l’article – que Dumbledore à engagé un loup-garou à Poudlard… Ça incite aussi à la haine envers les loups-garous. Une société qui est déjà assez clivée, ça accentue encore plus les tensions et ça encourage, ça mène au clash plutôt que d’essayer d’unir les gens et de proposer une vraie réflexion. Plutôt que d’informer, on attise les préjugés, on encourage les préjugés et la haine.
S : C’est marrant parce que ça n’a pas les mêmes conséquences dans le monde des sorciers par rapport au monde des moldus. Dans le monde des sorciers, la plupart des lecteurs croient ce qu’il se dit dans la Gazette et donc pensent ce qu’il s’y dit, et il y a très peu de remise en question si ce n’est des gens un petit peu avertis ou qui réfléchissent, qui acceptent de remettre en question. En revanche, nous dans notre monde actuel, je dirais que ça a créé et ça crée toujours une énorme défiance du public envers la presse. Et c’est criant en ce moment ! A raison, pour certaines choses, parce qu’il y a tellement eu et il y a tellement de dérives qu’on ne peut pas en vouloir aux gens de reprocher des choses à la presse, et la presse a parfois grand besoin de faire son autocritique. Mais parfois à tort, je pense, parce qu’il y a une déjà une méconnaissance de nos méthodes de travail, je pense qu’il faudrait rendre obligatoire une éducation aux médias à l’école de la même manière qu’on a de l’éducation civique, parce que si tu ne sais pas comment les média,s travaillent, tu ne sais pas quelle information tu lis. Comment l’info est arrivée là ? Comment tu peux « y croire », lire quelque chose en confiance si tu ne sais pas comment l’info a été faite ? Surtout depuis qu’il y a les réseaux sociaux, c’est juste essentiel ! On a des enfants, et donc de futurs adultes, qui s’informent d’abord sur les réseaux sociaux, un endroit où rien n’est vérifié, et qui à côté de ça remettent en question le travail de gens qui, eux, vérifient leurs infos. Donc c’est super problématique ! C’est en ça que je pense qu’il faudrait absolument de l’éducation aux médias.
M : Là, je ne veux pas accuser Harry Potter de quoi que ce soit, mais n’empêche que dans cette éducation à ce que c’est que les médias, ce qu’est un bon journaliste, Harry Potter n’apporte rien. Il apporte juste des outils pour reconnaître les dérives, mais on n’a pas de personnage positif qui permettrait de montrer… On pourrait très bien avoir un membre de l’Ordre du Phénix qui est journaliste et qui essaie, comme le fait Kingsley à l’intérieur du Ministère, de faire son travail pour le bien. On a juste Xenophilius, mais comme on l’a dit c’est un électron libre qui est dans son coin et pas très crédible dans sa lutte politique, et pas fiable. Il manque, mine de rien, pour avoir vraiment une vision de la presse plus complète, une figure de journaliste exemplaire.
S : Si ça se trouve, Rowling estime que la presse c’est ça ! On n’est pas à l’abri qu’elle estime qu’aucune presse ne fait bien son travail.
M : C’est fort possible !
A : On verra si les Animaux Fantastiques nous mettent un super personnage de journaliste.
M : Pour l’instant ce n’est pas le cas. Dans les Animaux Fantastiques, la presse a très peu d’influence sur l’intrigue à part une erreur de journaliste qui fait que Tina fait la tête à Newt parce qu’elle croit qu’il est fiancé alores qu’en fait c’est une rreur du’n journaliste qui a mal interprété une photo ou un événement parce qu’il y a une femme et qu’il n’a pas compris qu’elle était la fiancé de son frère et pas la siernne. C’est le genre d’erreur… je pense qu’en tant que journaliste, c’est des grosses erreurs mais qui peuvent arriver. C’était une info insignifiante donc ça a été imprimé de travers et ça a eu une influence sur la relation interpersonnelle de Tina et Newt, mais c’est le seul moment.
S : Je ne me souviens plus de cet événement-là, mais ils auraient pu lui demander directement à lui, peut-être ! Au lieu d’interpréter.
M : En gros, Tina et Newt sont sur deux continents différents, Tina voit un article sur Newt dans une presse people, j’ai l’impression… –
A : C’est un magazine américain…
M : La manière dont ils présentent Newt c’est un peu le bachelor anglais, ils montrent la photo de la séance de dédicace de son nouveau bouquin, et avec on voit Theseus et Leta, et Leta est au bras de Newt, donc c’est sous-titré « Leta, sa fiancée ». Et du coup, Tina, qui n’avait jusque-là que des nouvelles par lettre de Newt, coupe tous les ponts avec lui parce qu’elle pense qu’il ne lui a pas dit.
S : C’est pareil, c’est de l’interprétation, c’est « Oh bah tiens, ça doit être sa fiancée, hop, on va l’écrire ! ». Franchement, c’est n’importe quoi ! Rien ne va, en fait !
M : On peut espérer qu’un jour on aura un personnage de journaliste positif dans le monde magique. Peut-être qu’il faudra que ça vienne de quelqu’un d’autre que J.K Rowling puisque je pense que ce ne sera pas d’elle que viendra l’idée ! On peut quand même espérer.
A : Je voulais rebondir sur quelque chose que tu avais fait remarquer sur le nom du journal lors de la préparation de l’épisode… –
S : C’est ce que j’allais dire ! J’y pensais parce qu’avec l’exemple de Newt c’est tout à fait le fait d’inventer l’histoire. Rita Skeeter invente son histoire, avant d’arriver sur le terrain elle se dit « Quelle histoire pourrait faire vendre ? » et elle sait déjà ce qu’elle va raconter avant d’aller voir la personne. Ça fait penser au nom de la Gazette du Sorcier, le nom anglais : The Daily Prophet. Prophet, prophétie, c’est-à-dire invention : on invente des histoires, on imagine et on crée l’avenir. C’est tout l’opposé du journalisme, qui est quand même basé sur des faits.
A : Il y a aussi cette scène, à nouveau dans le tome 4, où Rita Skeeter suit Ludo Verpey a Pré-Au-Lard et voit qu’il est entouré de gobelins, et dit à son photographe « Tiens, une idée de titre, il n’y a plus qu’à dénicher une histoire qui va avec ! ». On est vraiment purement dans le : tiens, on va trouver un truc qui va intriguer les gens, qui fera vendre, avec aucune intention de parler de quelque chose qui existe. Ce n’est même pas Harry au Tournoi des Trois Sorciers déformé, c’est « Tiens j’ai vu bidule du Ministère qui se balade avec une horde de gobelins à ses basques, je vais monter un truc à son sujet, on va trouver un angle qui va faire vendre ».
S : A propos de la Coupe de Feu, quand il y a la marque des Ténèbres qui apparaît à la Coupe du Monde de Quidditch après les événements, quand ils sont revenus au Terrier, toute la troupe, Arthur lit ce que la Gazette raconte de l’événement – lui a vécu l’événement en tant que membre du Ministère donc il sait ce qu’il en est – et l’article cite Arthur Weasley, elle écrit « Cette déclaration – Arthur a dit qu’il n’y avait pas de blessés – suffira-t-elle à dissiper les rumeurs sleon lesquelles plusieurs corps auraient été découverts dans le bois une heure plus tard ? ». Et Arthur répond : « C’est sûr qu’il va y en avoir des rumeurs maintenant qu’elle écrit ça ! ». C’est encore une fois : The Daily Prophet invente les faits, utilise le conditionnel à tout va parce que c’est bien pratique de se cacher derrière un conditionnel pour parler de rumeurs et de on-dit sans se baser du tout sur les faits… C’est Rita Skeeter, qui crée des rumeurs, des sujets de conversation.
M : Encore une fois, si on peut reconnaître une chose dans ce que le lecteur retient d’Harry Potter, c’est à se méfier de ce genre de démarches et à reconnaître ça. On avait envie avec Alix de parler de notre Gazette, la Gazette du Sorcier ! De ce qu’on voit, nous, de notre point de vue dans le fandom, à notre petite échelle… On a évidemment des impacts beaucoup moins dramatiques que dans d’autres domaines de l’information, mais on voit quand même l’influence des rumeurs, des informations non-vérifiées, de la mésinformation des fans contre lesquelles on essaie de lutter.
S : Parfois vous faites des corrections d’infos que vous avez lues : « Contrairement à ce que vous pouvez lire sur les réseaux, il n’en est rien ! ».
A : Il y a deux choses : il y a le fait qu’il y a un certain nombre de « médias » – aussi bien des médias généralistes qui n’ont pas pour vocation de parler spécifiquement d’Harry Potter comme nous, mais aussi des sites de fans – qui vont déformer l’information ou qui ont vu une petite rumeur sur quelque chose… A l’heure où on enregistre, il y a une rumeur qui vient de rien sur un potentiel film officiel sur Rogue. Et il n’y a rien, en fait ! Il n’y a aucune source fiable, si on remonte les articles c’est que du « il paraît que » sans dire d’où ça vient, sans citer… il n’y a pas de communiqués, il n’y a rien. Et c’est relayé sans se poser la question parce que souvent, mine de rien, quand on met Harry Potter dans un titre ça fait cliquer. Il suffit de voir des fois, dans des articles qui n’ont rien à voir, où il y a un Harry Potter qui va être glissé dans le chapeau de l’article parce que tout de suite ça va faire du bien, il va sortir sur les recherches Google. C’est un gros problème. Et il y a aussi, mine de rien, du côté des fans – ce n’est pas spécifique à Harry Potter -une propension à partager des informations sans les lire, sans chercher à voir si c’est vrai. C’est un problème qui vient des deux côtés, aussi bien au niveau de la création de l’information – qui n’en est pas, du coup – que de la façon dont elle circule par la suite, qui est repartagée parce que « Oh là là, un nouveau truc Harry Potter ! Je partage à tous mes contacts sans faire attention ! ».
S : On en revient toujours à la même chose : il faut éduquer les gens à s’informer. Il y a eu une époque où la seule façon de s’informer c’était les médias, d’accord, ce n’est plus le cas. Maintenant n’importe qui peut faire son blog et être pris pour un média, ou en tout cas un relayeur d’informations. A quel moment tu prends telle ou telle personne pour journaliste ? A quel moment tu prends tel ou tel média pour média d’information ou site internet, forum, réseau social… ? Ce n’est pas négligeable ! Ce n’est pas une honte d’estimer qu’il faut nous rééduquer à l’information.
A : Surtout que c’est quelque chose qui évolue très vite. A la petite échelle de la Gazette et du fandom Harry Potter, petit instant promotion sur les projets, avec plusieurs autres structures Harry Potter – des podcasts, des Poudlard interactifs, des comptes Twitter… – on a créé un collectif qui s’appelle « La Charte du Fandom » où on s’engage justement à citer les sources, à publier des erratums expliquant quelle info était erronée, pourquoi… Je pense que d’un point de vue de journaliste professionnel c’est des choses qui paraissent évidentes, de ton point de vue, mais pour nous c’était important parce que c’est vrai qu’on avait vocation à vouloir rester site de référence, et pourquoi il y a ça ? Parce qu’on s’engage à vérifier tout ça et à ne pas relayer quelque chose comme un fait avéré. C’est quelque chose qui nous tient beaucoup à cœur en tant que site de fan.
S : C’est hyper important et c’est gage de rigueur. Ce qui est intéressant avec la Charte, si j’ai bien compris, ça ne vous concerne pas que vous. Vous avez d’autres signataires c’est ça ?
A : C’est ça, il y a plusieurs signataires : il y a Poudlard12 qui est avant tout un Poudlard interactif, il y a Fréquence 9 3/4 qui est un podcast… L’idée c’est que quelle que soit la plateforme sur laquelle on parle de Harry Potter, ce n’est pas une excuse : que ce soit sur un réseau social, ce n’est pas une excuse pour raconter n’importe quoi par exemple. Même en étant fan et pas professionnel – on n’est pas journalistes, on n’a pas fait d’école de journalisme – on s’engage à respecter l’information et à essayer de toujours promouvoir une information vérifiée et vérifiable. Parce que justement, souvent, on a constaté et reçu des questions de lecteurs qui disaient « J’ai lu ça à tel endroit, est-ce que vous pouvez m’en dire plus ? ». Et ça commence par « En fait c’est faux ».
S : C’est bien, déjà, la démarche du lecteur qui va vous demander à vous si c’est vrai, si vous avez plus d’infos, ça vous permet d’être alertés qu’une chose circule, et de tout de suite le stopper. C’est intéressant.
A : Et de faire un peu de debunking : il y a ça qui circule, attention, ça circule mais il n’y a pas de source, il n’y a pas de déclaration officielle. Une des rumeurs persistantes depuis bientôt cinq ans, depuis que la pièce de théâtre Harry Potter et l’Enfant Maudit se joue sur scène, à peu près tous les six mois quelqu’un va dire « Harry Potter et l’Enfant Maudit bientôt au cinéma ! ». Alors que ça fait 5 ans depuis que la pièce a été lancée que sur le site officiel de J.K Rowling il y a écrit noir sur blanc « Harry POtter et l’enfant maudit ne sera jamais adapté au cinéma ». La source officielle est là, et si elle change d’avis, ça changera d’abord ici. Dans ce cas-là, oui, mais tant qu’il y a ça qui est annoncé…
S : Les rumeurs sont résistantes ! Il ne faut pas les sous-estimer. Ce qui est intéressant c’est que vous avez aussi des youtubeurs je crois, dans votre charte ? Ça touche vraiment tout type de média : vidéo, son et texte.
A : C’est ça !
M : Il y a le Wiki Harry Potter aussi –
A : Plusieurs chaînes Youtube aussi…
S : Le Wiki Harry Potter c’est une mine d’or ! Vous avez un doute : « C’est quoi ça déjà ? ». Bim, Wiki Harry Potter ! « Ah mais oui, bien sûr ! ».
M : On peut leur rendre hommage, moi je l’utilise souvent pour préparer les épisodes, ne serait-ce que pour savoir où aller rechercher dans les livres… là en l’occurrence pour retrouver tout ce qui concernait les différents médias mentionnés dans la saga. Je ne pense pas que je me serais souvenue de Sorciers en Guerre s’il n’y avait pas eu le Wiki Harry Potter.
S : Moi aussi je m’en suis servi, j’avoue, c’est une référence !
A : Big up Sébastien, on sait que tu nous écoutes ! Merci pour ton travail ! Bon, je pense qu’on a fait un bon tour sur ce sujet des médias dans Harry Potter et le monde magique… Je ne sais pas si Suzanne tu veux ajouter quelque chose ?
S : Non, si ce n’est que ce n’est pas un élément à prendre à la légère je trouve, la presse dans Harry Potter. C’est presque un personnage, c’est un élément clé. Je pense que c’est bien résumé.
M : C’est clair, elle a un rôle vraiment très particulier dans l’intrigue. Si on reparle vraiment juste de construction narrative, la presse a vraiment un rôle bien identifié. Et Rowling avait une volonté très claire dans ce qu’elle voulait faire passer comme message sur les médias.
S : Je pense qu’on a très bien compris !
M : Ce n’est pas quelque chose qu’on peut ignorer.
S : Et c’est rare de voir dans des bouquins, quels qu’ils soient, des articles entiers, écrits. Là, d’une page à l’autre, d’un chapitre à l’autre on peut avoir une petite coupure dans le récit pour lire un article de la Gazette comme si on ouvrait nous-mêmes le journal. Donc ça a vraiment une place importante.
M : Merci d’avoir fait cet épisode avec nous, parce que je pense qu’on avait besoin aussi pour aborder ce sujet d’avoir ce point de vue professionnel pour mettre un peu plus en perspective toutes ces thématiques sur lesquelles on avait des idées, un avis… C’est aussi le but d’ASPIC. Je sais que tu nous avais répondu que tu ne te sentais pas forcément légitime par rapport à d’autres invités qui avaient écrit des mémoires, des thèses…
S : Ils sont impressionnants des fois, vos invités !
M : Dans ASPIC, ça fait partie de notre ligne éditoriale justement, de s’intéresser aux points de vue de professionnels qui peuvent croiser leurs expériences professionnelles avec l’équivalent dans le monde magique. On est vraiment ravies de t’avoir eue pour ce sujet !
S : J’étais hyper contente de participer, je suis très très fière aussi, merci beaucoup !
A : Merci beaucoup à toi pour ta participation. On espère que vous avez apprécié cet épisode ! N’hésitez pas à nous faire des retours sur les réseaux sociaux : sur Facebook L’Académie des Sorciers, sur Twitter @aspic_gds, par mail redaction@gazettedusorcier.com. Vous pouvez aussi laisser des commentaires sur toutes les plateformes d’écoute que vous utilisez, on les lira avec beaucoup de plaisir. A très bientôt pour le prochain épisode de l’Académie des Sorciers !
M : Et cher auditeur, n’oublie pas…
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Notre épisode se termine avec un rappel du travail infatigable des rédacteurs de « notre » Gazette du Sorcier pour vous fournir une source d’information fiable. Les fidèles lecteurs.trices ont sûrement déjà vu passer nos articles dénonçant la désinformation des fans, et la tendance au sensationnalisme. Et si vous voulez en savoir plus La Charte du fandom, initiative collective de plusieurs média de fan, rendez-vous ici !
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