PODCAST ASPIC ep. 23 : Politique & violence dans Harry Potter
Pour notre 23è épisode de l’Académie des sorciers, nous recevons Aurélie Lacassagne, professeure de sciences politiques à l’université Laurentienne, au Canada.
Aurélie Lacassagne est autrice d’un article intitulé « War and Peace in Harry Potter« , qui propose une analyse sociologique de la saga et tout particulièrement du rapport à la violence, à travers les concepts de « civilisation » et « décivilisation », et comment cette violence s’exerce dans les différentes classes politiques du monde magique.
Vivons-nous aujourd’hui dans L’Ordre du Phénix ? Vigilance Constante !
Chroniqueuses : Marjolaine & Alix
Invitée : Aurélie Lacassagne
Graphisme : Salem
Montage : Marjolaine
Générique : Kalegula, d’après des thèmes de Patrick Doyle et John Williams.
Transcription : Rowenaz
Sorcières, sorciers et moldus, érudits ou curieux, bienvenue dans ASPICS, l’académie des sorciers. Un podcast intéressant et captivant, une émission proposée par la Gazette du Sorcier.
Alix (Al) : Bienvenue dans ce 23ème épisode de l’Académie des Sorciers. Je suis Alix.
Marjolaine (M) : Et je suis Marjolaine. Et pour cette épisode, on a le plaisir de recevoir Aurélie Lacassagne, qui est professeure associée de Sciences Politique à l’Université de Laurentienne, et qui est l’autrice d’un article qui nous a beaucoup intéressés, qu’on a découvert récemment, qui s’intitule « War and Peace in the Harry Potter series », publié en 2015. On a découvert ce travail récemment, puisque Aurélie a été invitée par nos homologues de Potterversity, qui fait à peu près la même chose que nous mais en anglais. On a vraiment été hyper intéressées par ce travail, on est ravies de t’accueillir, bienvenue Aurélie.
Aurélie Lacassagne (Au) : Merci de l’invitation.
M : On est contente, parce que comme ton article était en anglais, et que Potterversity est anglophone, on va pouvoir profiter que tu es francophone à la base pour rendre accessible tout ça à notre public francophone.
Au : C’est une bonne idée !
M : Pour commencer, comme toujours avec nos invités, on aimerait en savoir un peu plus sur ton rapport personnel avec Harry Potter, quand est-ce que tu as découvert la saga ? Et surtout comment est venue l’idée d’en faire un sujet de recherche. Je crois que ce n’est pas forcément ton premier sujet de recherche en sociologie et en sciences politiques ?
Au : Non effectivement. Ma découverte d’Harry Potter c’est sûrement comme beaucoup de parents, dans une librairie, de tomber sur ce livre-là, de l’acheter et de le lire le soir à ma fille qui avait 8/9 ans à l’époque. Elle s’endormait assez rapidement, mais je pense que j’ai lu le premier tome en deux ou trois soirs, parce que je n’arrivais pas à poser le livre. Je trouvais que c’était vraiment très bon. Ça a été mon entrée dans Harry Potter. Après, on a continué, on a lu toute la série, on attendait impatiemment, comme tous les fans, que le prochain livre sorte. Je l’ai intégré ensuite dans mon projet de recherche, en fait c’est pas Harry Potter que j’ai intégré tout de suite, c’est Shrek. Parce que je faisais mon doctorat, j’enseignais à temps plein à l’université, j’avais mon deuxième enfant qui arrivait, je n’avais pas beaucoup de temps pour lire en dehors de mon domaine de recherche, par contre je regardais beaucoup films pour enfant avec ma première fille. Et elle était une très très grande fan de Shreck, j’ai regardé la première trilogie des centaines de fois. Et j’ai eu l’idée avec des collègues de faire un volume coédité sur ce personnage. Et ça m’a poussé à m’intéresser un peu plus à l’intersection entre culture populaire et politique, dans une esprit très cultural studies. C’est devenu un de mes axes de recherche principaux. Parallèlement, je faisais ma thèse à partir de Norbert Elias, qui est un sociologue allemand, qui a beaucoup utilisé le matériel culturel pour illustrer et pour construire sa théorie. Il a écrit par exemple sur Mozart, il a utilisé des livres d’étiquette pour développer sa théorie du processus de civilisation, c’est lui qui développe la sociologie du sport avec Eric Dunning. Il y avait vraiment un aspect très très culturel chez Norbert Elias. Plus spécifiquement, je pense que c’est quand Le Prisonnier d’Azkaban a été publié que pour moi ça a été un tournant. C’est le premier livre de la série qui est très politique, où on en apprend plus sur la grande guerre qui a eu lieu contre les Forces du Mal, les divisions au sein du monde des sorciers… Et le livre met sur la table le reste de la série, avec l’introduction des personnages comme Sirius, Lupin, les Détraqueurs, etc. C’est aussi le premier film de la série que j’ai vu. Et c’était frappant parce que d’un côté il y avait beaucoup d’éléments politiques qui avaient été laissés de temps, mais en même temps, il y avait des choix esthétiques très clairs, qui rendaient évidente l’analogie entre Harry Potter et la Seconde Guerre mondiale. Et avec l’Ordre du Phénix, qui vraiment l’ouvrage le plus croustillant d’un point de vue politique. Là c’était tellement limpide cette analogie avec la montée du fascisme en Europe dans les années 20, 30, et du coup je me suis dit « C’est pas possible y a trop de matériel faut travailler sur Harry Potter ! ». Et je l’ai pris comme objet de recherche scientifique.
M : Oui parce que les auditeurs s’en doutent, quand on a parlé du titre de ton article et puis de ton domaine de recherche : aujourd’hui on va croiser Harry Potter, sciences politiques et sociologie… Et t’as mentionné Norbert Elias, effectivement dans ton article c’est un peu une relecture de thématiques politiques d’Harry Potter à travers des références à Norbert Elias avec un parallèle entre Norbert Elias et J.K Rowling dans leur manière de développer certaines thématiques. Je voulais repréciser aussi un petit peu, avant qu’on rentre dans le vif du sujet même si je l’ai évoqué avant qu’on enregistre, j’ai moi-même un petit peu étudié Norbert Elias dans mon parcours aussi donc je vais être un petit peu plus à l’aise sur certaines choses ! Mais en tout cas je suis très très contente de m’y replonger un peu grâce à Harry Potter parce que j’avais pas osé aller jusque là je crois, dans mon parcours.
Al : Et moi je ne connaissais pas vraiment Norbert Elias avant de découvrir cet article donc je vais être celle qui découvre et qui pose toutes les questions bêtes !
M : Puisque tu parlais de Cultural Studies et toi tu enseignes au Canada, on avait quand même des questions parce que je crois que tu es notre première invitée à enseigner et à avoir un parcours universitaires en Amérique du Nord, on a un peu l’impression depuis la France que ce genre de croisements de cultures populaires et université est un peu plus accepté. Est-ce que tu confirmes de ton côté de l’Atlantique ?
Au : Oui, sûrement. Alors bon les Cultural Studies c’est né en Angleterre, à l’université de Birmingham dans les années 70. Il y a toujours eu, quand même, cette tradition extrêmement forte de s’intéresser à la culture, on l’a aussi en Allemagne bien entendu avec l’école de Francfort. C’est vrai qu’en France c’est peut-être un petit peu plus marginal. Quoique je dirais : tout le monde se souviendra de ces années au lycée et quelque part on se rappelle très bien que nos cours de français, nos cours de philosophie par exemple, il y avait cette intersection où des fois on étudiait les mêmes auteurs… Il y avait ça, la littérature comme matériel pour comprendre le monde, pour faire sens du monde. Il y avait quand même, ça existe. Mais c’est vrai qu’à l’université c’est peut-être un peu plus marginal d’utiliser la culture populaire, avec tout ce que ça peut comprendre, comme outil de recherche mais aussi comme outil d’enseignement. On lit beaucoup en France, on lit beaucoup moins dans les écoles secondaires en Amérique du Nord, mais par contre nos étudiants sont vraiment emprunts de culture populaire, que ce soit la musique, les films… Et vu qu’ils ont très peu de cours de littérature, quasiment pas de cours d’histoire, moi par exemple comme professeure de relations internationales et de sciences politiques, ils n’ont pas les référents historiques donc ça devient relativement compliqué d’enseigner dans une perspective traditionnelle, à la française. C’est sûr que le recours à la culture populaire, au cinéma notamment, pour leur expliquer les choses, c’est assez important. Par exemple, dans le volume sur Shrek j’avais fait un chapitre sur les différents types de régimes politiques qui sont représentés dans Shrek. Donc l’anarchisme avec Shrek tout seul dans son marché, la démocratie libérale ultra capitaliste avec le monde où vit la princesse, et puis le royaume de Farquaad qui est vraiment l’archétype du régime totalitaire.
Al : La monarchie absolue…
Au : Oui c’est ça ! Pour les étudiants c’est une façon de faire sens de ce que je peux leur expliquer du point de vue conceptuel et théorique, donc c’est vrai qu’on utilise sûrement beaucoup plus la culture populaire pour ça.
Al : C’est intéressant comme perspective, j’avais jamais vu les choses comme ça !
M : C’est marrant parce que ça fait vraiment écho à notre dernier épisode sorti qui parlait de ça. On avait un prof de droit et un prof de culture antique qui parlaient de comment ils utilisent Harry Potter en cours. On commence à voir une petite thématique qui se retrouve ! Là dans le cas de Norbert Elias et J.K Rowling, tu as choisi en particulier de pointer qu’il y a des parallèles dans la manière d’aborder certaines choses et tu parles notamment d’un des concepts un peu au coeur des travaux de Norbert Elias qui sont les processus de civilisation et de décivilisation. Et notamment à travers la question de la violence puisque c’est quelque chose qui a pas mal intéressé Norbert Elias. Est-ce qu’on peut essayer de donner les petites clés pour les personnes qui connaissent pas du tout ces termes et à quoi ça correspond et comment toi tu les as retrouvés directement dans Rowling assez rapidement ?
Au : Oui effectivement ! Ce qui est clé dans la théorie de Norbert Elias c’est effectivement la question de la violence, et c’est la même chose dans Harry Potter. Qu’est-ce qu’on fait avec ça, avec la violence ? Comment on exerce la violence ? Comment on se contraint à ne pas exercer la violence ? Ce parallèle était déjà évident. Alors quand on parle de processus de civilisation, ce qu’on entend c’est l’intériorisation de sentiments, d’émotions spécifiques comme la honte, le dégoût devant la souffrance d’autrui, l’empathie… Cette intériorisation de ces émotions, donc le développement d’un auto-contrôle de nos pulsions face au monde extérieur, face aux contraintes sociales externes. Et ce processus il est bien entendu arrimé avec d’autres processus qui conduisent à la pacification des relations dans la société, au développement de l’État moderne, à l’individualisation, à la division du travail…etc. Ce qui est important avec Elias de comprendre c’est que chaque société connaît des processus de civilisation, il n’y a pas de point zéro. Mais chaque société connaît aussi des processus de décivilisation quand les contraintes extérieures deviennent plus importantes et prennent le pas sur l’auto-contrôle de nos pulsions, de nos émotions. Le processus de civilisation c’est la pacification des relations sociales au sein d’une société, la maîtrise de la violence au travers du contrôle que chacun exerce de ses émotions et de ses pulsions.
Je vais vous aider un exemple très concret. Au Moyen-Âge par exemple, dans nos sociétés en Europe, le dimanche on allait en famille sur la place du marché voir des prisonniers se faire écarteler, brûler, torturer… Et les gens prenaient ça pour un spectacle, les gens se réjouissaient de ce spectacle. Aujourd’hui c’est complètement inimaginable dans nos sociétés parce qu’on a développé ce processus de civilisation et qu’on ne supporte plus de voir la souffrance d’autrui. En tout cas ceux à qui on s’identifie. Et donc la parallèle, ou comment on peut le voir dans Harry Potter, c’est par exemple les membres de l’Ordre du Phénix, Harry Potter, ses amis… ils ont eux aussi intériorisé cet habitus, cette identité si vous voulez, cet habitus civilisé. Ils évitent autant que faire se peut d’utiliser la violence. Ils ne tuent pas, ils n’utilisent pas l’Avada Kedavra, ils ne torturent pas, ils ne prennent pas de plaisir à cela. Contrairement aux Mangemorts, la plupart des Mangemorts, qui eux n’ont pas honte d’utiliser ces choses-là et qui s’en délectent pour certains d’entre eux. Donc voilà, on voit bien le parallèle. Et puis on a aussi la grande majorité du monde des sorciers, les fonctionnaires du Ministère de la Magie, les sorciers ordinaires qui eux, sont engagés dans le processus de civilisation mais qui n’arrivent pas à contrôler une émotion en particulier qui est la peur. Et parce qu’ils n’arrivent pas à contrôler leur peur, c’est ce qui peut parfois les amener à utiliser la violence. Parce que c’est pas facile de toujours se discipliner, de maîtriser ses émotions… C’est dur pour Harry Potter ! Notamment parce qu’il n’a pas eu une enfance très reluisante. Et puis on le voit bien aussi quand il y a les connexions entre l’esprit de Voldemort et d’Harry , on voit bien cette ambiguïté. Tout le travail, toute la relation entre Dumbledore et Harry c’est à la fois pour Dumbledore d’encourager, d’enseigner à Harry de maîtriser ses émotions, mais en même temps aussi de les expérimenter, de les vivre, de les assumer.
M : Oui et de les reconnaître.
Au : Voilà.
M : Mais là, du coup, les trois groupes que tu as abordés on va y revenir tout à l’heure mais tu as tout de suite parlé des émotions, et ça c’est quelque chose qui est assez… je pense que nous, en tant que fans d’Harry Potter, de lecteurs, c’est quelque chose qu’on a ressenti. On partage, il y a aussi ce côté qu’on comprend les émotions des personnages et on les ressent par notre lecture. Dans ton travail tu montres vraiment en quoi la saga est pertinente comme un matériel sociologique pour comprendre le monde, cette dynamique de civilisation, de violence, d’émotions…etc, et que tout ça c’est vraiment dans la complexité des personnages. Tu en as donné un aperçu mais on va vraiment y revenir tout à l’heure. Parce que par exemple dans le texte tu fais le parallèle avec les contes de fées, parce qu’il y a aussi cette idée que c’est la littérature pour la jeunesse donc c’est pour former son lecteur, mais tu insistes sur le fait que Harry Potter c’est pas que ça. Il y a une tentative d’être le plus réaliste possible dans les émotions et la complexité des personnages. Je ne sais pas si tu as envie d’en dire plus là-dessus.
Au : Oui, effectivement ! Les contes de fée ont beaucoup été étudiés comme matériau scientifique parce qu’on a bien sûr Bruno Bettelheim avec sa psychanalyse des contes de fées qui a vraiment marqué toute la psychanalyse, c’est extrêmement important, où il étudiait la fonction des contes de fées par rapport à ces émotions, au développement de la psyché des enfants. Moi je me suis beaucoup servi dans mon article de Jack Zipes qui est le grand spécialiste des contes de fées mais dans une perspective, il cite d’ailleurs abondamment Elias, où il voit la fonction extrêmement importante des contes de fées dans la socialisation des enfants. Il explique bien par exemple que les contes de fées au moment où dans les pays Européens, dans les sociétés européennes il y a ce processus de civilisation qui se met en branle : 16e, 17e, 18e… On a une réécriture des contes de fées, ces contes de Charles de Perrault en France, qu’on connaît, on a une réécriture par Charles Perrault de contes de fées qui sont bien plus anciens et où il va les « civiliser » c’est à dire les rendre beaucoup moins violents, sanguinolents, sexuels… qu’ils l’étaient. Si vous lisez les versions du Petit Chaperon Rouge du Moyen-Âge c’était autre chose ! Il les « civilise », il pacifie beaucoup les relations de façon à ce que ça puisse servir de socialisation aux enfants et surtout aux jeunes filles. On pourrait revenir là-dessus longuement. Quelque part, je sais qu’il y a de grands débats là-dessus mais quelque part on peut voir un peu Harry Potter comme une sorte de conte de fées moderne. Parce qu’on retrouve beaucoup des personnages clés et de la structure des contes de fées traditionnels. Mais à côté de ça, c’est effectivement très réaliste parce qu’il m’apparaît très clairement que pour J.K Rowling ça a été écrit comme volontairement, intentionnellement, comme une analogie avec l’histoire du 20ème siècle. Mais en en même temps aussi de notre monde actuel ! Qui est un monde disons très troublé où on a d’un côté le développement de l’empathie, de la honte, le dégoût dont j’ai parlés, mais d’un autre côté on a aussi ce complotisme, cette haine qui s’exprime, les chasses aux sorcières qui sont revenues, la mesquinerie, la délation… Donc ces ambivalences et cette coexistence entre processus de civilisation et processus décivilisation apparaissent très très clairement aujourd’hui dans notre monde. Comme il existait dans les années 20, 30, et comme on le voit très bien dans Harry Potter !
M : Et justement, tu pointes quelque chose dans l’article que moi j’ai trouvé hyper marquant parce que j’y avais pas forcément pensé comme ça. Par rapport à ce parallèle avec les années 20, 30 et la seconde guerre mondiale, tu pointes ce rôle, cette importance pédagogique que peut avoir Harry Potter et le fait que cette oeuvre arrive dans les années 90 et le début des années 2000, à un moment où c’est la première génération qui n’a pas connu directement de témoin de la seconde guerre mondiale. Et donc il y a cette importance de transmission des signes qui permettent de reconnaître un processus de décivilisation et l’importance que ce type d’histoires et de sagas a pour transmettre, pour un rôle de mémoire, et de faire sens de ce processus là. C’est pas juste anodin que ça parle de parallèles avec la seconde guerre mondiale, c’est que ça en parle à un moment précis qui est le tournant vers le 21ème siècle, donc c’est assez intéressant !
Al : Qui est aussi la fin de la guerre froide, qui était aussi une période de conflit importante ! C’est vrai qu’au-delà de la question de la mémoire je pense qu’il y a aussi cette idée de mise en garde de « Attention c’est pas parce que c’est terminé et qu’on est dans une période un peu plus pacifique que ça peut pas se reproduire ».
Au : Effectivement c’est sûr que cette question de la transmission de la mémoire m’intéresse beaucoup et plus particulièrement par rapport à la Shoah. J’enseigne un cours sur qui s’appelle « Shoah, mémoire et représentations » où c’est une façon pour moi d’attirer… pas dans un cours typique sur la Shoah mais de voir les représentations à travers le cinéma, la littérature, la peinture, le théâtre… de la Shoah pour voir comment ces outils peuvent être utilisés pour transmettre cette mémoire-là. Parce qu’effectivement vous l’avez bien rappelé, moi je suis peut-être la dernière génération où je me rappelle à l’école avoir vu des survivants qui venaient chaque année. La génération de mes enfants n’aura pas connu de témoins directs. Donc il y a énormément de réflexion aujourd’hui dans le champ des études sur l’Holocaust pour voir comment on peut inventer, peut-être, de nouveaux outils, ou à quels outils on doit s’intéresser. Pour moi, Harry Potter peut être utile là-dessus comme mise en garde parce que… Tous les discours de propagande ont un objectif commun : c’est diviser le corps citoyen, diviser les gens. Premièrement, petit à petit, on ne fait plus société, il y a des suspicions, il y a des haines, il y a de la délation envers les voisins, les collègues…etc. Ensuite on passe à une deuxième étape, on casse l’unité de base qu’est la famille. On déstructure cette unité fondamentale des sociétés humaines. C’est très clair avec Percy Weasley, on le voit bien. Et puis on au final on se trouve avec ce qu’Hannah Arendt appelle l’atomisation de la société, c’est à dire qu’on est plus que des atomes, que des individus complètement désolidarisés, déconnectés du reste des individus.
Luna l’explique très bien à Harry quand ils sont tous les deux dans la Forêt un matin où il fait assez froid, Luna a oublié ses chaussures et Harry est un petit peu désespéré parce qu’il est en bisbille avec ses amis. Luna lui dit quelque chose du genre « Si j’étais lui – en parlant de Voldemort – je voudrais que tu sois coupé du monde, coupé de tes amis parce que si juste toi t’es tout seul ». Et ça c’est fondamental. Il y a ça, et l’autre aspect qui est aussi fondamental : dans tous les livres, la grande question systématiquement, les sorciers doivent faire des choix. Ils sont confrontés à des choix, et à des choix difficiles. Quand Ombrage veut utiliser le Cruciato sur Harry, elle fait un choix. Nos gouvernements font des choix quand ils passent des législations sur le théorisme qui sabrent les fondements de notre système de droits, nos valeurs fondamentales… C’est pas très différent de Fudge qui ignore les règles de l’Habeas Corpus et qui change les règles de Magenmagot à la dernière minute pour le procès d’Harry, c’est la même chose ! Pétunia, qui n’est pas la personne la plus gentille au monde, il faut qu’elle fasse un choix. Et elle choisit le bien, elle choisit de garder Harry même si ça signifie mettre en danger son mari et son fils. Au département des Mystères, quand chacun des amis de Harry est menacé par un Mangemort, Harry doit faire un choix. Et Neville lui dit « Ne donne pas la prophétie » parce que ses parents aussi ont dû faire un choix, ils ont décidé de ne pas parler, comme Jean Moulin a décidé de ne pas parler. Dans un régime totalitaire ou dans un régime fachiste, on doit faire ces choix-là au quotidien. Mais je pense que c’est aussi des choix aujourd’hui qu’on doit faire parce qu’on est un petit peu à l’époque de l’Ordre du Phénix. Chaque centimètre carré de respect, de liberté fondamentale, d’empathie, qu’on abandonne aujourd’hui en 2021, c’est une petite pierre dans la fondation d’un régime fachiste pour demain. Et cette question du choix m’apparaît fondamentale. D’ailleurs Norbert Elias le disait très bien, il l’écrit noir sur blanc dans le procès de civilisation ! Il y a des moments dans notre vie où on va devoir faire des choix.
Al : Et c’est un peu aussi le discours de Dumbledore sur choisir entre le bien et la facilité. Au-delà du choix en lui-même, qu’est-ce qu’on veut mettre en avant, ou de quel côté on se place ?
Au : Oui, effectivement, tout à fait ! C’est vrai que c’est la question parce que ces choix-là ne sont pas évidents. Et du coup si je peux revenir un petit peu à Elias par rapport à ça, l’habitus dont j’ai parlé c’est une question d’identité. C’est la même chose qu’une identité. On a différentes identités qui coexistent dans Harry Potter. On a l’identité des Mangemorts, c’est les purs-sangs. On a l’identité du monde des sorciers, l’identité commune c’est qu’on est des sorciers et ça exclut les autres, on se rappelle bien la fontaine au Ministère. Donc finalement c’est correct de maltraiter les elfes, de déporter les géants, de réduire le territoire des centaures… Ça c’est ce que j’appelle des identités, des nous nationaux si vous voulez. On est français avant tout, ou on est Canadien avant tout. On prend soin des autres, « Charité bien ordonnée commence par soi-même ». En d’autres termes, c’est un habitus national qui reste encore prédominant aujourd’hui. Mais l’idée c’est que si on veut un jour arrêter les guerres, comme professeure de relations internationales c’est quelque chose qui m’intéresse un petit peu, il faudra qu’on en arrive à développer une identité qui se situe au niveau de l’Humanité. Qu’on s’identifie comme humain avant de se définir comme autre chose, donc une identité cosmopolite. Et cette vision cosmopolite on la retrouve dans les livres, on la retrouve dans la bataille d’Hermione pour libérer les elfes de maison, on la retrouve avec Hagrid qui respecte tous les animaux de la Forêt Interdite. Il y a un petit passage extraordinaire, c’est Lee Jordan qui parle à la radio…
M : Bah justement j’allais dire que j’avais l’extrait que je voulais lire un peu plus tard mais au final ça va parfaitement dans notre discussion à ce moment-là. Tu as cité tout l’extrait en anglais dans ton article et j’ai récupéré l’extrait en français donc je pense que ça vaut le coup qu’on le lise. Le contexte c’est dans le dernier tome, c’est le chapitre 22, Les Reliques de la Mort, et on écoute la radio des résistants, la radio de l’Ordre du Phénix, Potterveille, et Lee Jordan a invité Kingsley, sous le pseudo Royale pour la radio.
C’est Kingsley qui parle et qui dit :
« Les moldus ne connaissent toujours pas l’origine de leurs malheurs mais ils continuent de subir de lourdes pertes » déclara Kingsley. « Nous entendons toujours cependant des histoires exemplaires sur des sorcières et des sorciers qui risquent leur propre vie pour protéger des amis ou des voisins moldus souvent à l’insu de ces derniers. Je voudrais lancer un appel à nous auditeurs pour qu’ils les imitent, par exemple en jetant un sortilège de protection sur toutes les maisons de moldus situées dans leur rue. De nombreuses vies pourraient être sauvées en prenant quelques mesures aussi simples ».
Et après il y a Lee qui enchaîne et qui dit « Et que diriez-vous Royal à ceux de nos de nos auditeurs qui nous disent qu’en cette époque périlleuse on devrait penser aux sorciers d’abord ? » demanda Lee. « Je leur réponds qu’il n’y a qu’un pas entre ‘les sorciers d’abord’ et ‘les sangs-purs d’abord’. Ensuite on passe directement aux Mangemorts », répondit Kingsley. « Nous sommes tous des êtres humains n’est-ce pas ? Chaque vie humaine a la même valeur et vaut la peine d’être sauvée. »
« Et voilà qui est bien dit et je voterais pour vous comme Ministre de la Magie si nous sortons un jour de ce gâchis ! ».
Voilà ! Moi évidemment j’avais le souvenir de cet extrait mais le revoir dans le cadre de ton article et du couo y revenir je me dis mais franchement c’est des citations qu’on n’entend pas tant que ça, parmi les fans, on cite plus souvent Dumbledore…etc, mais cet extrait il est vraiment hyper fort !
Au : Oui il est fondamental parce qu’il nous rappelle qu’humains, animaux, sorciers, moldus, créatures magiques… Il n’y a personne qui sera vraiment complètement libre et surtout en paix si on maintient ces divisions, si on maintient ces hiérarchies. Parce qu’on est tous indépendants et on vit tous sur la même planète. Et une fois de plus c’est clair, Harry n’aurait pas pu battre Voldemort sans les gobelins, sans les elfes, les centaures, Buck, Graup… Pourquoi ça serait différent pour nous dans le monde assez misérable de moldus dans lequel on vit ? Je rappelle d’ailleurs que depuis toujours les humains ont combattu leurs guerres avec des animaux, par exemple. C’est peut-être une chose dont il faudrait qu’on se rappelle. Donc pour moi c’est évident que cette question de faire un choix elle est importante, et j’irais plus loin, c’est aussi cette idée de cosmopolitisme. Pour moi elle se résume en trois mois : l’amour, l’amitié et l’empathie. Alors certains de nos auditeurs se diront peut-être « Elle est bien naïve ». Oui, peut-être mais au bout du compte, là on a quoi d’autre ? On a quoi d’autre pour essayer d’améliorer notre monde de moldus ? Et ce n’est pas juste notre capacité à ressentir ces trois choses-là, c’est aussi d’en être conscients et de mettre l’amour, l’amitié et l’empathie au-dessus de nous autres. Comme l’on fait historiquement, je rappelle, ce qu’on appelle les Justes aujourd’hui, des milliers de voisins, d’étrangers, de paysans qui pendant la seconde guerre mondiale ont protégé des familles juives qu’ils ne connaissaient pas dans bien des cas. Si Harry parvient à défaire Voldemort et plusieurs fois, c’est pas parce qu’il est riche, c’est pas parce qu’il a des armes, c’est pas parce qu’il a la Baguette de Sureau comme une espèce de bombe atomique, c’est pas parce qu’il est plus doué, c’est pas parce qu’il est plus intelligent, c’est rien de tout ça ! C’est parce que derrière lui, en lui, il y a l’amour, l’amitié et l’empathie. Ça commence bien entendu avec le sacrifice ultime qu’a fait sa mère, qu’a fait Lily, par cet amour maternel absolument inconditionnel. C’est bien entendu, même si c’est un personnage assez terrifiant parfois, Pétunia qui est capable de montrer un minimum d’empathie, assez pour qu’Harry puisse appeler Privet Drive sa maison et ainsi être protégé par sa mère. C’est parce que Harry a des amis, et il y a cette scène fantastique quand il remonte dans le département des Mystères après la mort de Sirius et où Voldemort va à l’intérieur de lui. Et qu’est-ce qui fait qu’Harry s’en sort ? Il s’en sort parce qu’il est en train de voir toutes les images d’amitié, de joies qu’il a connues parce qu’il a des amis. Et Dumbledore va lui expliquer. C’est ce pouvoir-là qui l’a sauvé d’être possédé par Voldemort. Parce que Voldemort ne pouvait pas résister à cet amour, à cette amitié à l’intérieur de son corps parce qu’il déteste ça. C’est aussi une question d’unité, j’ai pas parlé d’unité mais c’est important, le Choixpeau le dit en cinquième année, il dit « Voyez les périls, lisez les signes de l’histoire, les dangers, les ennemis… Et il faut s’unir sinon on va s’écrouler ». C’est l’amour qui pousse Severus Rogue a prendre des risques d’une magnitude absolument exceptionnelle. La dernière scène, c’est pas à propos de mourir. L’important c’est qu’Harry était prêt à faire ce sacrifice, à se sacrifier pour ses amis, pour le bien de la communauté des sorciers. Et c’est ça qui fait toute la différence, qui protège tout le monde dans la Grande Salle pendant la dernière bataille. C’est son amour, sa volonté de se sacrifier, qui agit comme protection. C’est puissant !
Al : C’est vrai que ça m’évoque une autre œuvre de pop culture que j’ai vue plusieurs fois citée dans des analyses philosophiques c’est la série Lost, et notamment le discours qui revient souvent du « Live together, die alone ». C’est vraiment l’idée que si on ne se soutient pas tous ensemble, on mourra tous dans notre coin, qu’on a besoin de se soutenir malgré nos différents, malgré nos caractères…etc, parce que les dangers sont plus forts que ces oppositions. Je trouve qu’on retrouve beaucoup cette idée-là et cette citation de la série résume bien cette idée de ce que dit Dumbledore, le Choixpeau…etc, que tu citais : l’unité est plus forte.
Au : L’unité elle doit être plus forte effectivement. Aujourd’hui devant l’urgence climatique extrême si on se met pas tous ensemble pour essayer de renverser la vapeur rapidement, c’est fini. C’est aussi quelque chose qu’Elias avait très bien expliqué. Elias parle de chaîne d’interdépendance. Pour lui tous les êtres humains sont pris dans ce qu’il appelle des configurations, des figurations, on est tous interdépendants. Il n’y a pas d’un côté les individus de l’autre côté la société, il y a une société des individus, il y a des figurations, et on est tous interdépendants. Si on n’est pas capable de comprendre que chacun d’entre nous on est pris dans des longues chaînes d’interdépendance, dans différentes configurations bien sûr, des configurations plus locales comme la famille, l’école, le village, la nation… Mais aussi une configuration globale qu’on appelle l’Humanité. Aujourd’hui on est aussi là, l’Humanité c’est la dernière unité de survie. C’est à dire que finalement c’est au niveau de l’Humanité que les enjeux se jouent. C’est drôle parce qu’Elias écrivait ça déjà dans les années 60, il parlait notamment de l’environnement. La capacité phénoménale des humains de détruire la planète, ça nous affecte tous. On le sait bien, par exemple c’est dans les pays du Nord qu’on pollue le plus mais pour l’instant c’est mes pays du sud qui sont le plus affectés. Elias est un de son temps, il écrit beaucoup pendant la période de la Guerre Froide, il parlait de l’arme atomique. Effectivement à partir du moment où on s’est dotés d’une arme comme ça, on s’est dotés d’une capacité de destruction à l’échelle humanitaire. Donc notre unité de survie c’est plus l’état nation, même si on a encore du mal à le comprendre. C’est l’Humanité. Et je pense qu’il y a non seulement du monde qui en est de plus en plus conscient, mais il y a aussi, je pense, une majorité de personnes qui ressentent que l’Etat Nation c’est plus la dernière unité de survie et qu’en fait c’est l’Humanité la dernière unité de survie, mais qui n’arrivent pas à mettre des mots. D’où cette peur, d’où ces incertitudes, d’où ces interrogations, d’où à mon avis tous ces discours un peu populistes, de rejet…etc que l’on entend un peu partout dans nos sociétés actuellement.
M : Oui et il y a cette idée qui est très belle aussi chez Elias et qu’on voit aussi dans Harry Potter, avec tout cet objectif de se considérer tous, toute l’Humanité, toute la communauté toute entière comme devant être complètement englobante. Ce n’est pas facile. C’est pas quelque chose d’atteignable demain en un claquement de doigts juste parce qu’on décide qu’il faut que ce soit comme ça, mais que c’est le seul objectif valable, qu’il faut essayer. Et c’est juste parce qu’on essaie qu’on est sur la bonne voie, si c’est notre objectif c’est le plus important. Parce qu’il y a souvent ces côtés là aussi dans Harry Potter, en particulier à travers l’Ordre du Phénix et à travers le souvenir de la première guerre face à Voldemort… On sent qu’ils sont complètement, le premier Ordre du Phénix, il y a des moments où ils ont perdu quoi. Ils sont trop peu nombreux, il n’y a plus aucune chance, ils peuvent le penser mais ce n’est pas grave, il faut quand même se battre pour cet objectif-là parce que c’est le seul objectif possible.
Au : Le baroud d’honneur de temps en temps c’est important. Oui, tout à fait ! Effectivement, ça c’est fondamental. Elias là, on n’est pas dans du libéralisme, c’est pas Kant avec la paix perpétuelle… Parce que Kant, lui, il a une théorie, le libéralisme de façon générale. C’est ce qu’on appelle une théorie téléologique, c’est-à-dire qu’il y a un but et que c’est sûr : la dernière étape de l’Humanité, un jour, ça sera un monde cosmopolite qui vivra en paix perpétuelle. Ils ont des certitudes comme ça, et Elias est beaucoup plus scientifique et beaucoup moins religieux que ces gens-là. Il dit « Non, voilà, la réalité c’est que étant donné l’extrême élasticité et langueur des chaînes d’interdépendance, aujourd’hui c’est l’Humanité qui est notre dernière unité de survie, et dans ces cas-là, quand vous devez faire face à des choix, plantez-vous pas et pensez-y ! Essayez de faire de votre mieux ».
Elias n’est pas un grand optimiste, il vient d’une famille juive, il a perdu tous ses parents dans la Shoah, il a vécu la misère… Il est très très loin d’être un optimiste, de son vécu et de ses recherches, il n’avait rien pour être extrêmement optimiste. Mais il disait « Au moins soyez-en conscients pour faire de votre mieux ». Et ça, ça veut dire que justement il faut sortir des discours naïfs des libéraux qui nous vendent un avenir glorieux un peu comme les religions nous l’ont fait. Mais aussi sortir des grandes dichotomies et notamment de la dichotomie traditionnelle entre le bien et le mal. Et beaucoup de notre culture populaire est remplie de cette dichotomie entre le bien et le mal. Si vous regardez les films d’Hollywood c’est toujours ça, il y a le bon et le méchant. Sauf que c’est pas très intéressant si vous voulez, parce que c’est pas ça dans la vraie vie. C’est pas ça ! Une fois de plus, il faut faire des choix. Sirius l’explique très bien à Harry, quand il lui dit « Le monde n’est pas divisé entre bonnes personnes et Mangemorts ». Chacun de nous, on a un côté bon et un côté mauvais. Et l’important c’est quand il faut qu’on fasse des choix, c’est d’utiliser le bon côté. Ça veut dire être socialisé, si possible, à utiliser le bon côté. C’est l’apprendre, c’est apprendre à avoir des remords si on ne l’a pas fait, à pas reproduire ses erreurs… Après on part dans la socialisation.
Al : Mais du coup je pense que c’est une bonne transition avec ce qu’on voulait aborder dans la deuxième partie, sur les groupes de personnages qu’on peut distinguer dans Harry Potter par rapport à ça. Ce que je trouvais justement très intéressant dans l’article c’est qu’on n’a pas d’un côté les bons et de l’autre les mauvais, les Mangemorts. Il y a une répartition entre trois groupes, et pas juste le bien et le mal, qui était d’un côté les Mangemorts, de l’autre l’Ordre du Phénix et ses alliés, mais aussi un troisième groupe qui était composé des gens du Ministère qui incarnaient l’ordre et qui avaient encore un statut un peu à part dans cette dynamique. Déjà, j’étais un peu curieuse de savoir : qu’est-ce qui a mené à réfléchir à cette dynamique là ? Comment ces groupes s’équilibrent entre eux dans la saga ?
Au : C’est ça qui est intéressant, c’est parce que effectivement j’ai essayé de faire une typologie avec trois groupes mais en même temps ça reste un petit peu des idéotypes. A l’intérieur de chaque groupe ce qui est intéressant c’est la complexité, c’est de voir que c’est plus complexe. Parce que si on prend le premier groupe, les Mangemorts, on voit bien à quel point ce que j’ai appelé le processus de civilisation, l’idée de mieux contrôler ses émotions, tout le monde n’est pas au même niveau. On a Voldemort et Bellatrix par exemple qui sont, je dirais, pas loin d’un degré zéro parce qu’il n’y a aucune honte, il n’y a pas d’empathie. On est quasiment au degré zéro. Et de l’autre côté, il y a un tout un groupe de Mangemorts, c’est des mesquins, c’est des petits. Ils sont là parce qu’ils ont peur, pour beaucoup. Et puis il y a pour moi les personnages peut-être les plus intéressants, qui sont les Malefoy, en particulier Narcissa, qui elle, sûrement parce qu’elle est mère et a un amour infini pour son fils, pour Drago, est capable de prendre des risques pour aider, pour sauver son fils. Elle est capable par intérêt de choisir le bien, pour sauver son fils.
Al : C’est vrai que ça revient un peu à ce qu’on disait tout à l’heure sur l’importance de l’amour pour Harry où justement c’est Narcissa qui fait preuve d’amour et c’est ça qui la différencie des autres Mangemorts finalement.
Au : Tout à fait.
Al : C’est cette manifestation de l’amour qui fait qu’elle se détache un peu du lot et qui fait preuve d’empathie, et qui ne va pas aller dans les choix extrêmes que vont faire Bellatrix et Voldemort, généralement c’est le pouvoir avant tout, la domination avant tout le reste…
M : Et qu’elle n’est pas complètement isolée, qu’il y a ce premier niveau de socialité, de la famille. C’est pas toute l’Humanité entière mais c’est déjà un premier niveau !
Al : C’est une forme de stabilité déjà.
Au : On voit bien qu’il y a déjà une forme d’auto-contrôle qui s’exerce chez Narcissa, mais même chez Lucius ! Et ça, ça m’apparaît comme super important. J’ai beaucoup parlé de socialisation parce qu’effectivement ce processus de civilisation, cette capacité à montrer de l’empathie, cette intériorisation de la honte, du dégoût devant la souffrance d’autrui…etc. Tout ça on l’apprend, on est socialisé à faire ça dans notre enfance. Si Voldemort est à ce point-là à un degré quasiment zéro du processus de civilisation, c’est parce qu’il a été complètement isolé dès son enfance des relations avec les autres. Il est terriblement solitaire, il ne s’inscrit pas dans la société. C’est toute la différence entre Harry et Voldemort. C’est deux orphelins, mais il y en a un qui va être recueilli par un membre de sa famille, l’autre qui va être à l’orphelinat. C’est rare dans les orphelinats de recevoir de l’amour.
M : Et c’est vraiment le grand combat de J.K Rowling avec sa fondation Lumos qui veut à tout prix faire disparaître l’institutionnalisation des enfants et privilégier toujours que les enfants aient une cellule familiale pour les accueillir, peu important leur situation, et soutenir la possibilité qu’ils aient cette cellule familiale plutôt que de les couper de ces relations-là.
Al : Mais ce que je trouve intéressant c’est l’opposition entre Narcissa et Bellatrix, qui sont soeurs, qui ont elles reçu, contrairement à Harry et Voldemort, une éducation qui n’a rien à voir, et qui ont eu une enfance assez différente. Même si on ne peut pas vraiment dire que l’enfance de Harry était très joyeuse. Narcissa et Bellatrix ont grandi de manière similaire, on n’a pas beaucoup d’informations mais en tant que soeurs on ne nous dit pas spécialement qu’elles ont été éduquées de manière différente, il n’y en a pas spécialement une qui été exclue de la famille, contrairement à Andromeda qui a été exclue plus tard parce qu’elle avait épousé un moldu. Il y en a une qui a réussi à avoir cette habileté plus tard, mais c’était pas uniquement quelque chose qui s’est déterminé très tôt, à priori. C’est quelque chose qui est venu plus tard, là où Bellatrix a potentiellement été aveuglée par le pouvoir que représentaient les Mangemorts, alors que Narcissa s’est tournée vers une structure familiale qui lui correspondait mieux.
Au : C’est une très bonne remarque. On n’a pas d’informations sur l’enfance des trois sœurs donc c’est difficile de voir s’il pourrait y avoir des éléments à ce niveau-là. Mais après pour le coup je pense que ce qui fait la différence c’est que vous avez deux mères, Andromeda et Narcissa, une qui s’est mariée avec un sang-pur, qui a été socialisée à l’école quand elle était à Poudlard avec le délire de ma pureté de la race et tout ça, donc qui va quand même être imprégnée de ça. Andromeda, qui fait le choix de marier Ted Tonks, un moldu, qui donc va sortir de ces discours-là. Et puis Bellatrix, les Lestrange n’ont pas d’enfants. Je pense qu’il y a quelque chose aussi d’assez fascinant pour moi dans l’œuvre de J.K Rowling sur la famille, sur l’enfance, sur la maternité… J’ai écrit un autre chapitre de livre sur les mères de substitution dans Harry Potter. Toutes les figures maternelles, au sens de sang mais aussi mais aussi toutes les figures de mères de substitution, et il y en a énormément. Et c’est fondamental. Parce qu’Harry, même s’il n’a pas sa mère, même s’il ne l’a pas connue, il a pu s’identifier avec des mères de substitution. C’est sûr que Pétunia ne fait pas un super bon job, mais elle est là quand même. Elle fait la base du travail maternel. Elle le nourrit, elle l’habille, elle le loge. C’est très loin d’être parfait.
M : Elle fait en sorte qu’il survive.
Au : Voilà, elle fait en sorte qu’il survive. Quand il arrive à onze ans, il y a encore du chemin à faire en termes de socialisation. Il y a McGonagall qui est la fée marraine, c’est l’archétype de la fée marraine, qui est la mère de substitution d’Harry. Et puis Mme.Weasley qui est, alors là, l’amour maternel !
M : Hagrid…
Au : Hagrid, Sirius, Lupin… Il est entouré de figures maternelles qui chacune apporte différents éléments de ce qu’on appelle le maternage si vous voulez, du travail en anglais, du motherwork, du travail maternel, qui se décline de plusieurs façons. Il est entouré de personnes qui lui apportent ça. C’est important.
Al : Ce que je trouve intéressant aussi sur cette façon de distinguer ces groupes, c’était vraiment cette idée que, en dehors de la notion d’empathie, c’était la peur de la mort qui dominait. Et donc en fait que tous leurs comportements étaient orientés, guidés par cette peur de la mort et cette volonté de lutter contre ça et de tout faire pour la contourner. Évidemment on a cette figure de Voldemort qui va jusqu’à créer ses horcruxes pour repousser la mort et pour aller au-delà des limites de la mort comme il le dit lui-même, plus loin que quiconque sur le chemin de la mort et de l’immortalité. Je serais curieuse de voir comment tu l’opposerais à l’Ordre du Phénix qui, donc, n’a pas peur de mourir et essaye de ne pas causer la mort en utilisant la violence en dernier recours. Ils ne vont pas utiliser les sortilèges impardonnables qui vont causer la mort mais même certains stupéfix, on l’a bien vu dans les combats aériens, qui peuvent causer la mort indirectement… Ils vont à tout prix essayer de protéger ça.
M : Il y a le débat d’ailleurs. Harry refuse et Remus dit « Non mais là non ! Là, l’usage de la violence était justifié ! ».
Al : Oui c’est ça, mais à nouveau il y a une hiérarchisation qui se fait.
Au : Effectivement, c’est parce qu’ils ont développé ce processus de civilisation qu’ils n’utilisent pas les sortilèges impardonnables, l’Avada Kedavra… Mais en même temps, une fois de plus il ne s’agit pas d’être idiot, je pense que ça nous a tous énervés à un moment donné, on se disait « Mais arrête d’utiliser Stupéfix ! Tu es en train de te faire courser quand même ! C’est bien gentil mais… ». Et je vais faire un parllèle avec notre vie, il y a une raison pour laquelle on a aboli, par exemple, la peine de mort. C’est le résultat de ce long processus de civilisation, qui mène au respect absolu de la vie humaine. Peu importe l’odieux de la personne. Il y a aussi une question de rationalisation : ne pas avoir peur de la mort c’est avoir fait un travail de rationalisation sur soi et qui on est dans le monde. Si on est capable de se voir dans le monde comme un maillon dans une très longue chaîne de relation d’interdépendance… C’est juste un maillon ! Dans ces cas-là on peut maîtriser la peur ultime, la peur anthologique qui est le fait de disparaître.
M : Et c’est vrai que Voldemort, qui est cette espèce de narcissique absolu, pense que c’est lui et sa vie qui vaut plus que n’importe quoi mais ça l’isole totalement des autres et ça va finir par causer sa perte, au final.
Al : De manière très prématurée ! Pour un sorcier.
M : Alors qu’à côté on a parlé du sacrifice de Lily, qui finalement crée une force magique mais une force aussi plus symbolique qui est beaucoup plus forte que le narcissisme de Voldemort. Donc il y a toute cette symbolique-là qui donne des trucs très concerts dans Harry Potter, qui les rend lisibles pour tout le monde. Tous les lecteurs peuvent comprendre ça ! C’est assez fort.
Au : Tout à fait ! La question de la peur j’en ai parlé mais je pense que c’est aussi important quand on veut parler de la violence et du rapport à l’Etat. J’en reviens aux choix, aussi, qu’on à faire, ou du sacrifice. Ça on le voit bien avec les Ministres de la Magie, avec d’un côté Scrimgeour qui représente cet homme d’Etat qui va faire passer la raison d’Etat avant tout, qui va être prêt à se sacrifier à la raison d’Etat, au Bien commun, au Bien de la Nation… Et d’un autre côté on a Fudge qui incarne le politicien. D’un côté la grandeur et de l’autre côté la médiocrité. Quand on parle d’usage de la violence, il y a utiliser la violence parce que c’est un mal nécessaire pour atteindre le Bien commun, ce qui est l’idée de Scrimgeour – là il ne s’agit pas de refuser d’aller en guerre – alors qu’on a Fudge qui utilise la violence juste pour ses intérêts à lui, pour son Bien personnel, et qui refuse d’utiliser pour le coup la violence pour le Bien commun.
Al : Qui refuse de reconnaître la menace aussi. C’est une politique de l’autruche, de vouloir fuir un peu les responsabilités parce que ça implique de faire des choix que lui-même ne se sent pas capable de porter, qu’il ne veut pas assumer, en niant le retour de Voldemort et tout que ça implique. Il préfère maintenir le statu quo qui lui donne des avantages et un certain prestige, sans trop se mouiller.
M : Le confort quoi !
Au : Oui, le petit confort.
M : Leader en temps de paix.
Au : Ça on le voit bien, une fois de plus, dans les choix qui sont faits : choisir son petit confort quand il y a une crise majeure qui arrive, et elle arrive à la fin de la Coupe de Feu avec le retour de Voldemort. Je vais faire l’analogie avec notre monde actuel ! Parce que l’analogie avec la période de l’entre-deux guerres est évidente, mais aussi aujourd’hui. La scène d’ouverture de l’Ordre du Phénix, quand Dursley intimide Harry sur la balançoire, cette mesquinerie, ce manque d’empathie… c’est des indicateurs clés de dysfonctionnement d’une société. C’est Arthur Weasley qui l’explique bien quand il y a les histoires de toilettes à Bethnal Green. Il explique à Harry : c’est pas de réparer les dommages, c’est l’attitude qu’il y a derrière ce vandalisme. Certains sorciers peuvent penser que c’est drôle d’embêter les moldus, mais c’est l’expression de quelque chose de plus profond et plus dangereux. Quand on voit les politiciens comme Fudge utiliser le système non pas pour le Bien commun mais pour ses intérêts personnels, la soif du pouvoir, la réalisation de son incompétence, la peur de sa médiocrité… Tout ça, ça amène des politiciens à nier, à ignorer les dangers dans la montée du faschisme qu’on voit dans l’Ordre du Phénix ou qu’on peut voir aujourd’hui. Parce qu’ils aiment justement leur petit confort ! Lupin l’explique à Harry en disant, c’est sûr qu’admettre que Voldemort est de retour c’est un gros problème pour le Ministère, parce que c’est admettre qu’il va falloir qu’ils se préparent à faire face à quelque chose… Voilà, les dernières quatorze années où on était juste dans la petite gestion quotidienne, c’est fini.
Al : Ils n’ont peut-être pas anticipé, aussi, justement ! Ils n’ont pas été capables de se préparer à l’idée que ça pouvait venir et donc il n’y a pas de protocole d’urgence qui est prêt à être déclenché. Alors qu’on voit bien que dans l’Ordre du Phénix, tout de suite Dumbledore agit, il dit « Convoquez-moi Arabella Figg, Mondingus Fletcher… Je veux les voir tous dans mon bureau dans une heure ! ». Alors que Fudge n’a même pas cette idée-là.
Au : Ce qui est intéressant c’est de voir, dans ces cas-là, l’incapacité chronique de nos sociétés, des humains finalement, à apprendre et à tirer des leçons du passé. Parce que bien sûr que l’Ordre du Phénix, les résistants vont se mobiliser tout de suite. Mais le fait que les fonctionnaires, l’Etat, face au danger imminent et assez évident aujourd’hui, ne soient pas capables de prendre pour acquis ce qui s’est passé en 40 et d’être plus réactifs, c’est un petit peu gếnant ! En période de pandémie c’est la même chose. Ça nous a pris six mois pour comprendre qu’il fallait maintenir la distance, porter des masques, des gants… Comme si on n’avait rien appris de la grippe espagnole. On a une capacité à perdre, on n’est pas très bons comme humains. Je vais être un peu plus gentille avec le genre humain : oui, on accumule beaucoup de connaissances dans nos sociétés. Mais on désapprend aussi beaucoup, on perd beaucoup de stock de connaissances, si on prend sur la longue durée. L’idée de se laver les mains, c’est fou parce qu’après le Moyen-Âge et les grands épisodes de Peste, on savait que c’était la base de l’hygiène de se laver les mains. Mais quand on voit les taux de maladies nosocomiales dans les hôpitaux, on se dit effectivement, on a désappris sur quelque chose d’aussi simple que ça.
Pour sortir de l’analogie pandémique, nos démocraties aujourd’hui dites libérales, qui refusent de bannir, très entêtées, de voir que des segments entiers de la société sont exclus. L’exclusion sociale. Qui sont prêts à faire des entorses aux valeurs fondamentales. Ça c’est extrêmement inquiétant ! Tout comme je trouve inquiétant le questionnement de plus en plus important de la parole scientifique et des vérités scientifiques. Ce qui n’est pas sans rappeler le questionnement de la santé mentale de Dumbledore, et des avertissements de Dumbledore. Les politiciens sont en phase de panique, et au lieu d’utiliser ceux qui sont détenteurs des savoirs, on les ostracise, on les questionne, et on laisse beaucoup de côté. Ça on le voit très bien dans Harry Potter, on le voit malheureusement aujourd’hui dans nos sociétés, et c’est extrêmement inquiétant.
M : Il y avait autre chose aussi, vis à vis du Ministère par rapport aux Mangemorts et l’Ordre du Phénix, que je trouvais intéressant par rapport à toute cette idée de l’usage de la violence…etc, toujours avec l’idée d’Elias derrière. C’est la position particulière qu’a le Ministère, et du coup une autorité politique, qui a le monopole de la “violence légitime ». En gros, si on a des forces de l’ordre, c’est bien pour qu’ils exercent une certaine « violence » pour maintenir l’ordre. Et il y a tout ce questionnement là, je pense que l’une des leçons dans Harry Potter et qu’a essayé de faire passer J.K Rowling, c’est qu’il faut toujours questionner cette autorité là. Mais c’est quand même intéressant de remettre un peu à sa place, en tant que lecteur, on doit se mettre du côté de l’Ordre du Phénix, on ne doit pas se mettre du côté du Ministère. Je ne sais pas ce que ça veut dire exactement mais en tout cas c’est intéressant.
Au : Ce qui est intéressant c’est que ça souligne le problème fondamental de l’Etat moderne. L’Etat moderne effectivement qui se définit comme cette organisation qui a le monopole de la violence physique légitime. Nous, entre nous, au sein de la société, entre membres du corps citoyen, de la société, on ne peut pas utiliser la violence, il n’y a que l’Etat qui peut utiliser la violence au besoin, et selon des règles très encadrées. C’est très encadré juridiquement. Sauf que quand on a décidé de faire ça, on n’a pas décidé un jour, c’était un long processus, mais cette forme d’organisation politique qu’est l’Etat, qui est très très nouvelle dans l’histoire de l’Humanité, de s’organiser comme ça. Ça a 400-500 ans, c’est très court. Les sociétés humaines se sont organisées différemment avant et peut-être qu’elles s’organiseront différemment plus tard. Mais pour l’instant on ça, partout sur la planète. Quand on remet entre les mains de quelques personnes ce monopole de la violence, ça pose des risques aussi. Et ça, ça veut dire qu’il doit y avoir, comme dirait Maugrey Fol Oeil, vigilance constante de la part du corps citoyen parce que tout ça c’est basé sur un contrat social. Nous, comme citoyens, donnons à l’Etat le monopole de la violence, mais en échange, l’Etat nous protège, assure notre sécurité. Donc s’il y en a un des deux qui ne respecte pas sa part du contrat, il perd sa légitimé, et on a le droit de « s’attaquer » à lui. On voit bien qu’en 1940, l’Etat français a failli. Il a failli à sa tâche, à sa mission. Il faut faire attention, et je trouve ça intéressant dans Harry Potter, parce qu’il y a plusieurs positions au sein des fonctionnaires du Ministère. Il y a des beaux parallèles à faire, parce que qu’est-ce qu’on voit ? On voit que même si Voldemort et ses Mangemorts prennent le pouvoir au sein du Ministère, bon ils gardent le décorum, mais tout le monde sait très bien que c’est eux qui dirigent maintenant le Ministère de la magie. Que font la plupart des fonctionnaires qui travaillent au Ministère ? « C’est pas grave, business as usual ». Ils continuent leur petit train-train quotidien, ce qui est une extraordinaire, fantastique analogie une fois de plus avec l’administration française, allemande…etc, quand le nazisme nous est tombé dessus. C’est-à-dire que la plupart des fonctionnaires ont continué à remplir les petits bouts de papier, à suivre les lois. “Ah vous voulez que je fasse une liste de tous les professeurs juifs ? OK, pas de problème”. L’important c’est que le train arrive à l’heure, peu importe si le train part pour Auschwitz.
M : Là c’est le personnage de Percy qui pose la question, parce qu’on ne sait pas trop… Il ne fait rien d’affreux, je veux dire. C’est pas le pire des collaborateurs, mais quand même…
Al : Il ne faut pas oublier qu’il est très jeune aussi ! Souvent on dit : il est plus âgé que Ron, il est considéré un peu comme un adulte, mais à l’époque de l’Ordre du Phénix Percy il a vingt ans quoi ! Ça reste un âge jeune, on est encore influençable…
M : Il est encore au Ministère quand il tombe et ce n’est pas au moment où le Ministère tombe qu’il retourne… Ça lui prend encore un peu de temps.
Au : Si vous voulez, pour moi il y a trois groupes : il y a une petite minorité des fonctionnaires qui sont résistants, Arthur Weasley, Shacklebolt par exemple ; il y a une autre petite minorité qui sont des fonctionnaires extrêmement zélés, comme Ombrage, c’est Pierre Laval ; et puis on a l’extraordinaire majorité des fonctionnaires qui sont personnifiés par Percy. Au début, l’important c’est quand même la carrière « J’ai mon job au Ministère et je suis content, à vingt ans », très fier de lui. Donc au début il s’aligne complètement, puis 1944 arrive, « Oh, je vais peut-être faire quelques petits actes de résistance, je sens que le vent tourne ! ». Parce qu’on s’entend, en France, en 1944, à partir de 1943, on commence à en voir un peu plus des petits résistants. Et puis en 1944 on a énormément de résistants de la dernière heure, François Mitterrand notamment. C’est extraordinaire de voir l’attitude des fonctionnaires parce qu’elle a très très bien capturé – c’est un anglicisme, c’est ça de vivre au Canada – J.K Rowling a parfaitement vu toutes ces dimensions.
M : Et Percy, il y a aussi le fait que lui s’est retrouvé dans une situation qui l’a coupé de la famille, donc il s’est retrouvé complètement isolé. Et encore une fois c’est la dynamique que tu expliquais plus tôt de couper ces liens-là, c’est un peu une stratégie.
Au : C’est fini, une fois que vous avez isolé quelqu’un de cette unité fondamentale qu’est la famille… Parce que Percy, on peut très bien imaginer, il est coupé de sa famille, il n’a pas d’amis. Il a peut-être des collègues mais il n’a pas d’amis. Donc c’est un atome. C’est même plus un lion, c’est vraiment un atome. Il est tout seul.
M : Mais il revient !
Al : Ce que je trouve intéressant, parce qu’on parlait tout à l’heure de Scrimgeour et du fait qu’il était celui qui appliquait la violence pour défendre un peu et essayer de lutter contre le pouvoir. Mais un peu avant ça, ce que je trouve intéressant c’est la façon dont il approche Harry pour essayer de donner une image plus reluisante du Ministère pour essayer de donner l’impression que quelqu’un de populaire soutient les actions du Ministère même si ce n’est pas le cas. Et pour rassurer aussi la population : « Regardez, les gens que vous aimez bien, les personnes connues qui sont très appréciées en ce moment, très à la mode, elles soutiennent aussi le gouvernement ». Et ça fait beaucoup écho à des comportements plus modernes aussi, plus récents qu’on peut observer… Mais sur le besoin aussi de s’entourer de figures populaires pour faire passer des messages, pour donner l’impression de valider un comportement qui on le sait serait peut-être moins accepté de manière générale. Mais là on a le seal of approval.
M : Je crois qu’une des raisons pour lesquelles il refuse, bon il a une bonne mémoire, mais il y a aussi le fait que « Non mais là je sers de caution pour que vous donniez l’impression de faire quelque chose alors que vous ne faites rien ! ». Il y a aussi ce côté-là, de cacher l’incompétence.
Al : De cacher l’incompétence, l’inaction aussi. Parce qu’il dit « Vous avez relâché Stan Rocade ? » qui était clairement identifié comme personne qui a été mise sous Imperium et qui a été manipulée… L’imperium c’est vraiment : on retire toute la volonté donc il n’est pas vraiment considéré comme responsable de ses actes. Mais bon, ça fait bien de dire qu’on a arrêté quelqu’un donc « Regardez, on n’est pas inactifs, on a arrêté la première personne ». Qui n’a pas posé trop de résistance, c’était facile, ça faisait un quota. Peu importe au final quel est véritablement le degré de responsabilité de cette personne, et à quel point son arrestation était pertinente.
Au : C’est un des plus vieux outils de propagande d’utiliser des personnages célèbres, connus, appréciés pour… Il n’y a pas un candidat aux présidentielles qui ne se présente pas en affichant la liste de toutes les pseudo stars qui le soutiennent. Ça fait partie de la peopolisation de notre société. Voyez comment aujourd’hui, en France, tous les partis, tous les chefs de partis, tous les prétendants – Dieu sait qu’ils sont nombreux – tout le monde se réapproprie la figure de Général de Gaulle. Faut oser quand même ! Étant donné la bassesse, la médiocrité et l’incompétence du personnel politique aujourd’hui en France, d’oser se réclamer du général de Gaulle. Mais voilà, c’est ça et c’est pour se donner une caution par rapport à une inaction et une incompétence, et surtout à un manque de prise de conscience et de combativité de ce qui se passe aujourd’hui dans notre société.
M : Scrimgeour est quand même sauvé par son sacrifice, au final. Au final, au cœur du combat, ça reste un Auror, sous la plus grosse des pressions il ne craque pas et il protège Harry. Finalement il est sauvé, en quelque sorte.
Mais je voulais revenir sur autre chose, j’y ai repensé pendant notre discussion, par rapport à : quels sont les outils du Ministère, quels sont les outils de l’autorité, de l’Etat, et qu’est-ce qu’il peut s’autoriser à faire comme type de violences ? Il y a toute la question de Barty Croupton Sr. pendant la première guerre des sorciers, et les dérives du Ministère face aux Mangemorts qui se met à utiliser des outils… expédier la justice de manière plus qu’excpeciditve justement, et à autoriser l’usage des sortilèges impardonnables contre les Mangemorts… Et il y a toute question là de dire : face à l’ennemi, est-ce que la fin justifie les moyens ? Avec toutes ces questions par rapport à l’usage de la violence, qu’est-ce qu’on peut s’autoriser à faire… Et là c’était vraiment la grosse différence avec l’Ordre du Phénix, qui s’autorisent des sortilèges défensifs, un Stupéfix de temps en temps c’est quand même pas mal, mais jamais… Bon, quand même, si, Harry utilise des sortilèges impardonnables à un moment mais il y a toujours la question de la ligne à ne pas franchir dans l’usage de la violence.
Au : C’est une très bonne réflexion mais je pense qu’il faut faire la différence entre ce que peut se permettre un groupe de la société, et l’Etat qui a effectivement en charge la protection de la nation et qui peut peut-être se donner une plus grande marge de manoeuvre dans l’utilisation de la violence. Il faut absolument garder un encadrement légal et un contrôle légal, juridique et politique, de l’usage de la violence par l’Etat. L’article 16 par exemple, dans la Constitution française qui suspend les libertés ne donne pas un pouvoir absolu à l’Etat. L’article 16, son exercice est très encadré par la Constitution, ça doit passer périodiquement par le Parlement, c’est limité dans le temps… Un Etat ne peut pas ne pas avoir ce genre d’outils-là. Après c’est comment il l’exerce.
On peut faire la comparaison par exemple avec un usage contre-productif de la violence de l’Etat qui inflige la mort et la torture, c’est l’exemple de la guerre d’Algérie… Je pense plus particulièrement pendant les quasiment un an de la batille d’Alger où on instituitonnalise la torture par l’armée française, où on arrête systématiquement tous les hommes, on les torture pour déconstruire, pour essayer de détruire l’organisation du FLN. Militairement c’est un succès mais politiquement, bien entendu, c’est complètement catastrophique ! Parce que c’est tellement illégitime par rapport aux procès de civilisation, que ça va provoquer un rejet de la part des français qui vont dire « On arrête le délire maintenant ». Et de la part des Algériens, ça va être la fin. C’est-à-dire que la cohabitation ne sera plus possible. Il y a de très grandes leçons à retenir de ça, que les Américains n’ont pas l’air d’avoir compris puisqu’ils ont refait la même chose en Afghanistan et en Irak avec le même succès que les français. Militairement tu peux gagner et politiquement tu as perdu.
Donc il faut faire attention à comment on utilise la violence par l’Etat. Il faut toujours voir.. le moyen justifie la fin, mais l’important c’est de voir quelle est la fin. Et c’est là où on peut juger de la validité du moyen. On le sait bien, s’il y a une prise d’otage par un terroriste, on va tout faire pour essayer de désescalader l’affaire, pour faire en sorte qu’il libère… Et si les pourparlers ne fonctionnent pas, au bout de quelques heures on va envoyer le GIGN qui effectivement va utiliser la force létale s’il le faut parce que la fin c’est de protéger les otages. Dans ces cas-là, je dirais, il n’y a pas de problème.
M : Oui, c’est Molly qui attaque Bellatrix !
Au : Tout à fait ! Parce qu’elle sait très bien que sinon les enfants vont mourir, les filles vont mourir. Toujours bien analyser la fin, c’est Raymond Aron qui disait « L’important c’est pas la victoire militaire, c’est la paix ». Quand on est dans ces dimensions, des processus un petit plus larges, comme des actes de terrorisme, les guerres et tout ça, c’est là qu’il ne faut pas se tromper. Qu’est-ce qu’on fait ?
M : Et justement, je ne sais pas si ça fait un petit glissement vers notre conclusion, mais c’était une idée que je voulais un peu aborder en dernier parce que je crois que ça fait aussi partie de ton ouverture… C’est cette idée de l’important c’est pas la victoire, c’est la paix, je pense que c’est un peu le parallèle avec le fait que Voldemort ait vaincu une première fois mais revient, donc la paix n’était pas gagnée en fait, la première fois. Et il y a ce parallèle avec le fait que les régimes totalitaires, une fois qu’ils sont vaincus, ils ne sont jamais totalement vaincus ils peuvent toujours venir sous une forme ou une autre. Il y a toute cette question de comment on maintient cet équilibre pour empêcher, pour sauvegarder la victoire, la transformer en vraie paix durable… Cette idée qu’on a une saga qui commence par la défaite du méchant, et en fait toute la saga c’est le retour du méchant, c’est quand même assez particulier, ce n’est pas une menace qui arrive de nulle part et qui est quelque chose face auquel les héros ne sont jamais retrouvés confrontés. C’est vraiment quelque chose qui est déjà arrivé et qui revient. Donc c’est quand même assez particulier.
Al : Et on voit bien dans les premiers tomes à quel point il y a un discours qui est très variable selon les gens. Il y en a qui vont dire – et c’est ce que Hagrid résume assez bien au début – qu’il est mort, il y en a qui disent qu’il est quelque part, toujours trop faible, et d’autres qui pensent qu’il reviendra, qu’il attend son heure et il faut se préparer à son retour d’une manière ou d’une autre. Il y a quand même cette idée qu’il y a toujours des Mangemorts, même s’ils sont repentis comme Rogue, Karkaroff…etc, mais qu’il y a toujours des personnes qui ont défendu ses idées à un instant T, qui sont encore là. Et donc, même si on ne sait pas si Voldemort lui-même reviendra, son idéologie n’est pas morte avec lui (même techniquement il n’est pas mort). Ça ne veut pas dire que ça ne pourra pas se répéter d’une manière ou d’une autre. D’où l’importance de ne pas avoir le comportement de Fudge de se mettre des œillères et de dire « Non, non ! Lalala, je n’entends rien, il ne se passe rien ! ».
Au : Comme les trois singes. C’est d’autant plus important ce que vous dites et ce que J.K Rowling nous propose là, qu’on est véritablement dans cette période-là. Je travaille sur la longue durée, pour moi c’est tellement évident qu’on est dans l’Ordre du Phénix là ! Aujourd’hui, dans nos sociétés, personne ne semble réaliser que les idées sont toujours restées, elles pullulent, elles gagnent du terrain, et qu’il ne faut pas se voiler la face sur les pseudo-transformations, diaboliser certaines idées. Pensez qu’aujourd’hui en Europe on n’en est pas là alors qu’un Salvini est arrivé au pouvoir, alors que l’AFD en Allemagne est le parti officiel d’opposition. On a un parti néo-nazi – parce que peu importe qu’il refuse cette étiquette, c’est ce qu’il est, c’est ce que les peronnes qui animent cet parti là sont – qui est le parti d’opposition. Regardez que ça fait quand même deux fois qu’on se retrouve avec le Front National – peu importe comment il s’appelle, on sait qui ils sont, on sait ce qu’ils pensent, aux fondements – qui se retrouve au second tour des présidentielles. On ne peut pas continuer ! En Autriche (les Autrichiens c’est toujours chez eux que ça commence) depuis 20 ans ça a déjà commencé – ça avait commencé avec Jorg Haider, ça se poursuit aujourd’hui – où on dirige avec l’extrême droite autrichienne. Et je vous ferais remarquer qu’il y a une vingtaine d’années, quand la droite autrichienne s’était alliée avec le FPO de Jorg Haider, tout le monde avait crié « Oh là là, c’est pas beau ! ». On avait un petit peu ostracisé l’Autriche, on lui avait fait la tête, on ne l’avait pas invitée aux réunions et tout ça… Le chancelier actuel fait exactement la même chose et tout le monde trouve ça tout à fait logique, personne n’a sourcillé. Ce serait vraiment une folie que de ne pas voir devant l’évidence qu’on est dans l’Ordre du Phénix !
Alors tous les lecteurs, tous vos auditeurs, ils ont un choix à faire. Soit ils décident de s’organiser… ils ne seront pas très nombreux et ils se feront traiter de fous, OK. Ils ont un choix à faire s’ils ont envie de se regarder dans leur glace. En tout cas, comme fans d’Harry Potter, ils ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas.
M : Là c’est vrai que c’est un parallèle avec… On vous renvoie peut-être à un article sur la Gazette qu’on a fait sur l’ouvrage d’Anne Besson qui est sorti récemment « Les pouvoirs de l’enchantement », qui parle vraiment de la manière dont la fiction mais en particulier la fantasy et le genre de l’imaginaire inspirent la mobilisation politique. Harry Potter a quand même une bonne place dans le livre, et c’est vrai que par rapport à ce processus historique, mine de rien l’article tu l’as écrit entre 2013 et 2015, puisqu’il a été publié en 2015 mais je crois que ça faisait déjà un petit moment que tu travaillais dessus, et mine de rien il s’est passé beaucoup de choses entre 2015 et 2021. Par rapport à nos camarades américains qui ont vécu un mandat de Trump, on sait que ça a mobilisé énormément de gens aussi, et notamment des fans d’Harry Potter. On pense à la Harry Potter Alliance qui a beaucoup utilisé les parallèles entre la manière dont Trump exerce le pouvoir et ce qu’on a pu voir dans Harry Potter vis-à-vis de Voldemort du Ministère…etc. C’est déjà un outil qui est mobilisé. La mobilisation a permis qu’il ne soit pas réélu, ce qui n’était pas gagné ! C’est des petites victoires mais toujours vigilance constante comme on dit !
Au : C’est une bonne conclusion ! Vigilance constante !
M : Merci beaucoup, je pense que c’était vraiment une discussion passionnante et comme on le disait, tout à l’heure avec Alix, ces thématiques politiques on les a survolées dans pas mal de nos épisodes sans forcément rentrer dans le détail, les affronter directement. Donc on est vraiment très très contentes d’avoir pu le faire avec toi et avec tes perspectives. Merci beaucoup !
Au : Tant mieux si vous pensez qu’il y a assez bon matériel là !
M : Oui, je pense que de toute façon c’est des thématiques qu’on va avoir l’occasion de réexplorer, c’est toujours riche à explorer d’aller voir certains détails, voir comment on peut les voir de telle et telle manière… Mais déjà là je pense que c’était vraiment très très stimulant !
Al : Encore merci à toi d’avoir accepté notre invitation !
Au : Merci à vous, ça fait un samedi matin fun !
M : Pour le contexte, forcément comme vous vous en doutez il y a un petit décalage horaire autour de la table virtuelle de notre enregistrement. Aurélie a accepté d’enregistrer assez tôt pour elle un week-end donc merci !
Au : Le Tournoi des Six Nations est fini donc c’est pas grave ! Je n’ai pas loupé de match !
M : C’est vrai qu’on aurait pu faire un petit bonus rugby-quidditch. Ce sera peut-être pour une prochaine fois !
Al On espère que cet épisode vous a plu, n’hésitez pas à nous donner votre avis, votre ressenti sur nos pages, nos réseaux sociaux : sur la page Facebook du podcast « L’Académie des Sorciers », sur notre compte Twitter « ASPIC_GDS » et selon les plateformes d’écoute sur lesquelles vous nous écoutez vous pouvez évidemment laisser un petit avis également.
M : Et sur Discord aussi, le discord de la Gazette ! On a pas mal d’auditeurs qui nous ont rejoint et qui nous donnent leur avis sur les épisodes, on en est très très contents !
Al : Vous pouvez aussi si vous le souhaitez soutenir l’émission sur Tipeee, La Gazette du Sorcier. On remercie encore une fois Aurélie pour cet épisode, Kalegula qui a composé le générique, et merci d’avance à Marjolaine pour le montage de l’épisode !
M : De rien !
Al : Et à très bientôt pour la prochaine émission !
M : Et chers auditeurs, n’oubliez pas…
PASSE TES BUSE D’ABORD !
Si ce n’est pas déjà fait, vous pouvez également écouter notre épisode sur le droit dans Harry Potter, qui fait écho à certaines questions abordées ici. Pour les anglophones, vous pouvez également écouter l’épisode de Potterversity, dans lequel Aurélie Lacassagne est également intervenue.
VOUS POUVEZ ÉCOUTER L’ACADÉMIE DES SORCIERS (ASPIC) SUR
Podcloud
iTunes
Spotify
Youtube
Et sur de nombreuses applications de podcasts !
Et suivre le podcast sur :
Facebook
Twitter
Et en vous abonnant aux plateformes d’écoute ci-dessus.
Passe tes BUSEs d’abord !