Harry Potter a-t-il ruiné l’idée de “suite” au cinéma ?
Le monde du cinéma a besoin de blockbusters et de franchises à succès pour survivre et pouvoir produire des films plus audacieux. Mais si la garantie de succès et de revenus se fait aux dépens de l’évolution de la franchise, au prix d’une interminable extension, on peut se demander si les “suites” ne sont pas devenues, à leur manière, de simple “reboots” repensés.
Avant de me lancer, je dois rendre à César ce qui lui appartient : l’idée que Harry Potter soit à l’origine d’une mouvement de paresse des grands studios n’est pas la mienne. C’est celle de Darren Franich, qui l’expose dans un article intitulé “How ‘Harry Potter’ ruined movie sequels”. Contrairement à lui, je ne pense pas qu’Harry Potter soit une cause, mais plutôt un symptôme, le plus visible qui soit, et un facteur aggravant.
De quoi se plaint-on cette fois-ci, direz-vous ? Pensez aux franchises cinématographiques avant Harry Potter : Star Wars (la trilogie originale), Indiana Jones, Le Parrain [[Les deux premiers films… parce qu’il n’y a jamais eu de Parrain III. Compris ?]], James Bond… Chaque film est différent du précédent. L’équipe de production reprenait un casting de base, mais la grande majorité des personnages secondaires était renouvelée, la trame de l’histoire était différente, l’évolution des personnages principaux étaient mesurée.
Plus concrètement, L’Empire Contre-Attaque est le seul Star Wars dans lequel Tatooine n’apparaît pas ; Indiana Jones a fait face à trois quêtes différentes, avec des ennemis distincts et des personnages secondaires clés variés ; James Bond affronte rarement le même méchant et seuls Q, M et Moneypenny sont des personnages récurrents… bien sûr, chaque film reprend des éléments qui sont au cœur de l’identité de la franchise, mais en gardant une identité bien à lui.
Quand on se penche sur les “suites” actuelles, incluant la saga Harry Potter, on réalise plusieurs choses : le casting ne varie pas, la formule ne varie pas. En dehors des Reliques de la Mort, les films Harry Potter suivent le même schéma et s’arrêtent sur les mêmes éléments : Poudlard Express, plan large/survol de Poudlard, banquet de début d’année, cours de DCFM, quidditch si possible, Rusard apparaît 30 seconde pour faire rire le public, on revient aux choses sérieuses parce que le méchant est révélé, combat final, on quitte Poudlard et on relâche la tension avec une blague/une phrase pleine de sentiments.
Vous me direz “c’est logique, c’est comme ça dans les livres et ils vont pas changer d’acteurs au milieu de la saga” ; pas faux. Mais rien n’oblige de montrer Rusard 30 secondes à chaque fois pour faire rire le public ; d’utiliser le cours de DCFM inévitablement et rien que celui-ci… ce serait, de plus, passer à côté de la question. Le problème n’est pas qu’Harry Potter soit “répétitif” dans sa structure, le problème est que le succès incroyable de la franchise ait donné des idées à d’autres ; il faut maintenant faire aussi bien ou mieux que Harry Potter et, pour ça, il faut imiter.
Pourquoi oser des scènes véritablement basée sur une émotion forte, comme la scène de la danse dans RdM-1, si c’est pour qu’elles causent une polémique indicible et divisent les fans ? Pourquoi se donner la peine de finir avec une acmé digne de ce nom alors que RdM-2 s’en sort sans problème ? Pourquoi oser un changement de style, quand le film le plus visuellement et narrativement différent des autres, Le Prisonnier d’Azkaban, est aussi celui qui a ramené le moins d’argent ? Pourquoi changer la formule, alors que la faire évoluer risque de couler le navire ?
Plutôt que d’explorer de nouvelles possibilités, de nouveaux horizons, la totalité des opportunités offertes par la franchise, d’élargir et d’approfondir l’univers, les suites actuelles se contentent de répéter. On oublie Dobby pendant trois films ; on se passe du pire souvenir de Rogue, ou le fait qu’il ait rapporté la prophétie à Voldemort ; on maintient Ron dans le rôle de second rôle comique et on lui supprime la marque ultime de son évolution (le commentaire sur les elfes de maison qui pousse Hermione à l’embrasser) ; exit la rédemption de Kreatur, ou de Regulus Black…
Le peu d’évolution des personnages est également aidé par le manque de continuité artistique : on change de réalisateur un maximum et il est donc presque impossible de développer un arc correct pour la multitude de personnages. Ce phénomène est mieux illustré par l’univers cinématique Marvel, mais sa présence se fait déjà sentir dans Harry Potter.
Enfin, il y a l’idée qu’une série à succès ne devrait pas avoir de fin : pourquoi tuer la poule aux œufs d’or ? Jusqu’à présent quand un livre était adapté à l’écran, le découpage narratif était raisonnablement conservé (un livre, un film). Depuis que Les Reliques de la Mort est devenu deux films, la méthode s’est popularisée : Twilight, Hunger Games, Les Hobbit et maintenant Divergente… toutes ces franchises reprennent le concept. Warner Bros ira encore plus loin avec Harry Potter grâce à JK Rowling, puisqu’ils maintiendront la franchise en vie via un spin-off ; combien de temps faudra-t-il à Lions Gate pour produire un spin-off de Hunger Games ? Après tout, Lucasfilm a bien sorti Indiana Jones de sa retraite et Star Wars sera bientôt de retour… vraiment, pourquoi faudra-t-il un jour mettre un point final ?
On n’ose plus le neuf. Et Darren Franich de suggérer que, si L’Empire Contre-Attaque était tourné aujourd’hui, “il aurait débuté sur Tatooine et se serait finit sur une bataille avec des X-wings volant dans les tranchées de l’étoile noire. Tous les personnages de la Cantina de Mos Eisley feraient une apparition avec quelques lignes de dialogue en plus. Chewbacca et R2-D2 joueraient aux échecs. Han et Leia vivraient un flirt, mais ne s’embrasseraient pas avant au moins quatre films. On n’aurait jamais osé tuer Obi-Wan Kenobi. Luke n’aurait pas la main coupé ; il aurait une grosse cicatrice ou peut-être un tatouage…” bref, on serait à l’abri du changement ; hors, n’est-ce pas exactement ce qu’une suite devrait amener ?