PotterAfter : Frères d’enchantement
Reçu par hibou express au début de l’été, le livre ‘Frères d’enchantement’ nous a été livré par son autrice pour nous accompagner le long de nos voyages vers de lointaines contrées. Nous vous délivrons nos impressions sur cet ouvrage. Est-il susceptible de toucher le cœur des fans d’Harry Potter ?
L’histoire
Ljuka et Ensio sont enfants lorsqu’ils se rencontrent. Aussitôt, les deux garçons vont devenir les meilleurs amis du monde et, par un enchantement, vont lier à jamais leurs esprits, ce qui leur permet de communiquer à distance. Mais en grandissant, leurs expériences et leurs choix respectifs vont les mener dans des directions diamétralement opposées : tandis que l’un poursuivra une brillante carrière parmi l’élite de la police de son monde, l’autre deviendra le pire renégat jamais connu depuis le mythique Hervild de Kryzalt.
L’histoire commence avec le meurtre de Ljuka par Ensio, puis, grâce à une alternance de récit au présent et d’analepses nous plongeant dans l’enfance et l’adolescence des deux personnages, nous en viendrons à comprendre comment ce drame a pu survenir… et voir si Ensio réussit à survivre au traumatisme de la mort de son meilleur ami.
Contrairement à beaucoup d’histoires fantastiques, il n’y pas vraiment d’action, d’aventure, ou de parcours initiatique… Tout l’enjeu du récit peut se résumer en deux mots : drame psychologique. Pourtant, que les lecteurs se rassurent : l’autrice réussit à développer un véritable suspens autour du destin d’Ensio, le survivant, et la fin est incroyablement imprévisible.
Les personnages de Ljuka et Ensio rappelleront aux fans Harry et Voldemort, tant par le fait qu’ils soit liés dans leur esprit et dans leur destinée que pour l’opposition entre leurs rôles de gentil ou méchant. Notons tout de même que la relation des personnages est ici bien moins manichéenne que la relation Harry/Voldemort.
Un univers très riche
En ouvrant ce roman, on est immédiatement plongé dans un univers steampunk, entre futur et passé, avec un souci du détail esthétique impressionnant. Les tenues des différents protagonistes sont décrites avec précision, nous ramenant quelques siècles en arrière : corsets, robes de soie, tuniques brodées… De même que l’art et l’architecture tiennent une place importante, les bâtiments, les rues, et les institutions sont données à voir : tours effilées, toitures ornées de dentelles, arc-boutant…
Mais l’autrice ne se contente pas d’instaurer une ambiance steampunk, elle personnalise son univers de petites touches personnelles. Les humains de son monde ont par exemple la faculté (ou la malédiction !) de voir certaines parties de leur corps changer de couleur en fonction de leurs émotions. Ce détail, qui pourrait n’être qu’un caprice esthétique, est en fait révélateur de l’importance des sentiments et de l’introspection, qui constitue l’enjeu majeur des trajectoires mentales des personnages sur lesquelles repose l’intrigue. La plupart de ces petites curiosités, pouvant paraître anecdotiques, sont révélatrices du souci de cohérence d’une autrice qui ne laisse rien au hasard.
On peut aussi faire le parallèle entre le monde de Siana et l’univers sorcier, encore assez tourné vers le passé par rapport à celui des moldus, mais avec une force bien à lui : la magie. Ici, la magie est remplacée par une sorte de science du vivant, où une partie de la population peut manipuler les plantes, animaux et les gens à l’aide d’enchantements en s’aidant d’une mystérieuse matière : la Rhod.
Avec les enchantements et manipulations du vivant qu’elle permet, la Rhod est la clé de voûte du roman : le fondement de la société repose dessus. Cette sorte de science magique va faire l’objet de questionnements et de remises en question, qui ne sont pas sans rappeler les notions d’éthiques liées au pouvoir de la connaissance présentes dans une autre saga mythique : À la croisée des mondes.
Un miroir de notre société
La société décrite dans Frères d’enchantement est une allégorie dénonçant les travers et les inégalités de notre société. Tout repose sur un système de castes, où, selon le milieu d’origine, l’individu n’aura pas accès aux mêmes métiers et chances dans la vie.
Tout en haut de la pyramide sociale règnent les Maîtres, des érudits qui s’adonnent à des recherches sur les enchantements et manipulations du vivant ou s’engagent dans la Milice pour faire régner l’ordre, puis viennent les Initiateurs (notables et commerçants) qui constituent une forme de petite bourgeoisie, et enfin nous avons la caste des Mécanistes, comparable à la classe ouvrière. Cette dernière caste, qui produit énormément de richesses pour la ville, est largement méprisée par l’élite, qui considère le travail de mécaniste comme un travail de moindre valeur, car accessible au premier venu.
Dans ce monde, l’ascenseur social semble en panne, et il parait extrêmement difficile de changer sa condition de départ : les fils et filles de maîtres se doivent de conserver leur rang en poursuivant de longues études et en se spécialisant dans des domaines de recherches pointus, les mécanistes n’ont pas vraiment la possibilité d’intégrer les filières d’élite, même pour ceux qui parviennent aux études supérieures dans la Grande Académie… Mais ce qui est extrêmement révélateur, c’est le malaise provoqué par Ljuka, fils de Maîtres, lorsque ce dernier découvre sa vocation pour le travail manuel, ce qui tend à faire de lui un Mécaniste. Tous (ou presque), se liguent contre lui pour tenter de le faire rester à sa place. Car ce monde, si bien ordonné, ne peut tenir que si chacun joue le rôle pour lequel il est né. Deux types de personnes sont amenées à remettre en cause le bien fondé de cette organisation du monde : les Parias (vu comme des terroristes, prêt à tout pour détruire le système) et les cas de Folie, qui sont psychologiquement perturbés suite à des expériences menées par les Maîtres.
L’intérêt de l’histoire repose justement sur ces deux types de personnes, puisque nos héros, tous deux fils de maître, vont évoluer jusqu’à devenir le plus dangereux de tous les Parias pour l’un, et l’autre un cas de Folie. Leurs trajectoires croisées sont intimement liées, et nous permettent de voir les limites et les travers de cette société en apparence bien maîtrisée.
Nous pouvons également faire le parallèle avec notre propre monde, où bien que les individus naissent « libres et égaux en droit », il y a encore beaucoup d’écart dans l’accès aux savoirs et où certaines parties de la population jouissent de privilèges.
Un livre extrêmement bien construit, qui aurait pu être un chef d’oeuvre
Siana maîtrise la narration d’une main de maître, alternant le présent avec le point de vue d’Ensio, le survivant, et la narration au passé avec le déchu Ljuka. Cette alternance qui peut paraître curieuse au début prend tout son sens un peu plus loin dans le récit, et une fois le rythme bien instauré, on finit par s’y retrouver.
Malheureusement, plusieurs éléments compliquent la lecture : certains passages sont superflus ou pourraient être allégés car ils ne sont pas indispensables à la compréhension et alourdissent le récit. L’écriture, plutôt dense, n’est pas facilement abordable et nécessite de la part de lecteur de la persévérance. L’investissement est lourd en début de lecture mais sera récompensé à la fin.
Avis personnel
J’ai beaucoup aimé le drame psychologique vécut par les deux héros masculins, mais encore plus la partie sur leur jeunesse, et la révolte de Ljuka. Cela amène à se poser des questions sur notre propre système et les inégalités qu’il entretient et interroge sur l’éthique des comportements à adopter vis-à-vis de ce dernier. Se révolter ? De quelle façon ? La fin justifie-t-elle les moyens ?
Tout comme dans Harry Potter, l’histoire amène matière à réflexion et à débat. Je suis ressortie de cette lecture avec l’impression d’avoir titillé et exercé mon intelligence. Les Serdaigle apprécieront !
En revanche, je n’ai pas réussi à accrocher avec les personnages principaux, ni les deux « frères d’enchantement », ni Ylva, le premier personnage féminin. Ils sont à mes yeux plutôt des anti-héros, et partager leurs pensées m’a parfois rebutée, tant ils sont glaçants. Concernant les personnages féminins de façon générale, bien que le spectre soit assez vaste (de la directrice d’école, à la femme domestique (maman, épouse…), à la jeune fille qui décide qu’elle sera votre amie), elles restent très en retrait, et aucune d’elles ne se détache vraiment par sa personnalité, ce qui est dommage.
Ylva, qui est capitale pour le développement d’Ensio, aurait pu être un personnage intéressant, mais malheureusement, elle ne prend que peu de relief et ressemble plus à une jolie coquille vide.
En conclusion, devez-vous oui ou non vous précipiter en ligne ou en librairie pour acquérir ce livre ? Je vous répondrais oui, à condition d’accepter de prendre le temps de respecter la narration, assez lente et exigeante. Si vous vous accrochez, vous ne pourrez plus lâcher ce livre avant la fin !
Commander le livre :
Frères d’enchantement, 17€ Amazon / FNAC / Place des libraires |
Bibliographie :
Si vous avez envie de découvrir d’autres récits de la même autrice, n’hésitez pas à piocher dans cette bibliographie.
Nouvelles :
Les oniriphages, anthologie “Malédiction”, Éditions Mots & Légendes (2016)
annA, anthologie “Morts Dents Lames”, Éditions La Madolière (2012)
Lutinerie, recueil collectif “Piment et Muscade n°18”, L’Armoire aux épices (2012)
Voile noir et corset sang, Rebelle Éditions (2012)
Minuit moins cinq, anthologie Zéro “Il était temps”, Éditions Petit Roland (2012)
Je veux juste un bébé, webzine “Les petites choses”, Mort Sûre (2011)
Le tableau de Noël, revue n°6 “Spécial Horreur”, Freaks Corp. (2011)
Noël sans le Père ?, anthologie “Et il est descendu par la cheminée“, Fan2Fantasy (2010)
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