Harry Potter et les tableaux disparus
Il y a quelques mois, on vous parlait du cauchemar vécu par la traductrice de Harry Potter en hébreu et son impuissance face à Warner Bros. Aujourd’hui, c’est un des concepteurs du jeu vidéo Harry Potter et la Chambre des Secrets qui témoigne de son expérience de travail pour le géant Harry Potter.
Cet article est une traduction Gazette du Sorcier d’un billet publié ICI.
“Prenez n’importe quel jeu vidéo conçu au cours des dix dernières années. Peu importe le succès qu’il a remporté ou les bénéfices qu’il a engrangé. Qu’il soit réussi ou non, une chose est sûre ; tous ceux qui ont contribué à sa fabrication ne peuvent pas le voir en peinture.
Tous les concepteurs ont leurs propres jeux vidéos en horreur. Inutile de leur demander lequel ils ont préféré, ce serait leur demander de choisir entre la peste et le choléra. Lorsque vous passez toutes vos journées pendant deux ans à fixer éternellement les mêmes images, peu importe à quel point ça peut être extraordinaire, à la fin, vous le détesterez profondément.
C’est ce qui s’est passé lorsque l’on a conçu Harry Potter. On s’était réjoui de découvrir notre nouveau projet, et après avoir travaillé sur des jeux aux visuels sympas mais qui manquaient un peu de profondeur, on était ravi de se voir confier la conception d’un jeu vidéo aussi attendu avec un univers aussi riche. Mais nous n’étions pas sur la même longueur d’ondes que les éditeurs du jeu…et c’était leur argent après tout. Nous voulions que le joueur soit plongé dans une véritable aventure, profonde et immersive, mais le résultat final a été un jeu plutôt simple, avec une progression très linéaire. Beaucoup de nos meilleurs designs n’ont pas été conservés, pas parce qu’ils n’étaient pas drôles, mais parce qu’ils ne correspondaient pas à ce que l’éditeur voulait. Bon…très bien.
Mais, secrètement, il y avait un côté du jeu qui nous plaisait beaucoup : les tableaux de Poudlard. Si vous êtes familiers avec l’univers d’Harry Potter, vous savez que les tableaux sont enchantés et qu’ils ont la faculté de parler aux résidents de Poudlard. Nos graphistes ont dû créer une multitude de tableaux afin de décorer les murs de Poudlard. Ils ont donc intercalé entre des tableaux de sorciers et sorcières ordinaires des portraits des concepteurs, de nos familles, et d’un éventuel animal de compagnie.
Nous ne comptions pas nos heures de travail, nous en souffrions, et nos familles également. Elles nous soutenaient,et souffraient en silence. Des mariages battaient de l’aile, des enfants étaient privés d’un de leur parents ; leur donner une place sur les murs de Poudlard nous semblait être la moindre des choses. Notre façon très personnelle de leur exprimer notre amour et notre gratitude. Et aussi, peut-être, un moyen de nous rappeler à quoi ils ressemblaient.
Puis, la veille du jour où l’on devait rendre la maquette finale, on nous a demandé de retirer tous ces tableaux et de les remplacer par des tableaux de sorciers ordinaires. On ne nous a jamais donné la véritable raison de cette demande, mais nous étions trop fatigués pour nous opposer à la décision.
C’est probablement mon souvenir le plus triste de ce projet. Pour n’importe qui d’autre, ces portraits étaient insignifiants. Les joueurs ne leur auraient probablement jamais prêté attention, ils n’auraient été qu’une toile de fond pour les immerger un peu plus dans le jeu. Mais nous, nous en étions très fiers, ils nous donnaient l’impression que ce projet était vraiment le notre.
Quoi qu’il en soit, Harry Potter et la Chambre des Secrets pour Xbox et Gamecube (Oubliez la version PS2, elle a été conçue par un autre éditeur et était bien moins réussie) est sorti en 2002. Les bénéfices de cet opus ont été dépensés depuis longtemps, aujourd’hui, ils ne se font plus que sur les tables pliantes et grinçantes des vide-greniers. Eurocom n’existe plus ; la joyeuse équipe de conception d’Harry Potter a été éparpillée aux quatre vents.
En triant des cartons dans mon garage, l’autre jour, j’ai retrouvé une vieille version du jeu Xbox, avant que l’on nous demande de remplacer tous les tableaux. Elle n’a aucune valeur pour les joueurs, les éditeurs de jeux vidéos, ou même pour les fans…mais je l’avais gardé, par nostalgie. Y rejouer a ravivé de beaux souvenirs ; les personnes extraordinaires avec qui j’ai travaillé principalement, mais aussi le sentiment que, bien que le projet n’ai pas évolué tel qu’on l’avait souhaité, nous avions eu plaisir à en faire partie.
Ainsi, je suis fier de vous présenter quelques captures d’écran pour rappeler à quelques vieux concepteurs teigneux que oui, nous nous sommes amusés parfois. Les images sont à voir ICI”