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Harry Potter et le Seigneur des Anneaux, deux épopées juvéniles : compte-rendu de la conférence

Le 11 février dernier, le musée du quai Branly a proposé une conférence portant sur le Seigneur des Anneaux et Harry Potter en tant qu’épopées juvéniles, présentée par l’auteur Jean-Claude Milner. Wendy et Ipiutiminelle y étaient et vous proposent un compte-rendu de la présentation.


Il convient tout d’abord, avant de procéder au compte rendu de cette conférence, de définir ce que Jean-Claude Milner entend par « épopée juvénile ». Il s’agit pour lui de la rencontre, qui s’est opérée au XXe siècle, entre l’épopée, qui existe depuis l’antiquité, et la littérature enfantine, qui, d’après lui, commence après Rousseau. L’épopée juvénile est un récit dans lequel un héros-enfant est « jeté au monde » et doit construire ses propres alliances parce qu’il est orphelin. Le plus souvent ce héros-enfant évolue dans ce que Jean-Claude Milner appelle un « alter-monde », c’est-à-dire un univers régi par des lois différentes de notre monde.

Selon Jean-Claude Milner, Le Seigneur des Anneaux et Harry Potter correspondent à cette définition : Frodon se retrouve seul après le départ de son oncle Bilbon et affronte des épreuves en compagnie d’autre hobbits (que Jean-Claude Milner associe à des figures enfantines) ; Harry Potter est le cas classique de l’orphelin qui part à l’aventure.

De plus, les deux œuvres se déroulent dans des alter-mondes bien distincts. Le Seigneur des Anneaux a lieu dans un monde germanique et celte. Harry Potter est un peu différent, dans la mesure où son « alter-monde » est inséré dans la Grande Bretagne contemporaine. Ainsi, ce qui est possible dans le Seigneur des Anneaux, ne l’est pas forcément dans Harry Potter et les aspirations des protagonistes peuvent différer.

better-antagonist.jpg Les antagonistes, Voldemort et Sauron, n’ont pas le même type de pouvoirs dans les deux univers. Sauron n’éprouve pas la nécessité de se doter d’un corps pour agir, alors que Voldemort éprouve la nécessité de retrouver une enveloppe corporelle pour échapper à la mort. L’importance du corps n’est ainsi pas la même dans les deux œuvres. De même, la légende arthurienne est peu importante dans le monde de Tolkien, il existe un ordre de Merlin dans celui d’Harry Potter. Les univers du Seigneur des Anneaux et d’Harry Potter ne sont pas pour autant coupés des mondes auxquels appartiennent Tolkien et J.K. Rowling. Jean-Claude Milner croit fermement que la question de la politique est présente dans les deux univers.

Tolkien, pour composer son univers, prend pour point de référence l’invasion de l’Angleterre par les Normands : toute la culture anglaise a été absorbée par les Normands et la légende arthurienne ; Tolkien veut construire une épopée de langue anglaise, influencée par des thèmes germaniques et celtiques. L’univers de J.K. Rowling serait quant à lui marqué par la catastrophe thatchérienne. Pour Jean-Claude Milner, la critique de la politique de Margaret Thatcher est incarnée par le personnage de la Tante Marge, qui a pour seule valeur l’argent (qu’elle glisse en signe d’affection entre les gros doigts de Dudley) et méprise le père d’Harry parce qu’elle s’imagine qu’il était chômeur.

Mais, c’est surtout la question de la présence du fascisme dans les deux oeuvres qui préoccupe Jean-Claude Milner ; dans le cas de Tolkien, la référence au fascisme serait interne à l’alter-monde : les expériences de Saroumane pour fabriquer des soldats de type nouveau renverraient à ce qui s’est passé quand l’Allemagne préparait la seconde guerre mondiale.

Dans Harry Potter, on découvre finalement que la communauté sorcière peut devenir un monde aux normes fascisantes. Jean-Claude Milner associe Voldemort à un dictateur hitlérien et s’appuie sur l’esthétique des films 7.1 et 7.2 pour montrer que la prise de pouvoir du Seigneur des Ténèbres reprend les codes d’un monde fasciste. La répartition entre sagesse et folie (par sagesse, Jean-Claude Milner semble entendre la pratique de la démocratie et de la tolérance ; par folie, il désigne clairement tout ce qui est de l’ordre de la violence politique : l’esclavage, le fascisme) n’est pas simple ; moldus et sorciers ne rentrent pas chacun dans une catégorie.

Ainsi, alors que cela fait horreur aux moldus, l’esclavage est encore possible dans le monde des sorciers. Harry comprend au fil du récit que tous les sorciers ne sont pas bons, qu’ils peuvent aussi se laisser corrompre, tandis que le lecteur découvre qu’il ne faut pas envisager les mondes des sorciers et des moldus comme radicalement différents et indépendants.

Magic_is_Might.jpg Au désir de supériorité éprouvé par les sorciers et les moldus, le récit potterien dresse un obstacle infranchissable : le principe de tolérance. La tolérance permet de comprendre qu’il est inadmissible de se juger supérieur à d’autres. Ce principe de tolérance, les sorciers ne l’ont pas appris par eux-même : il provient du monde des moldus, qui ont fait avant eux l’expérience du fascisme et ont déjà aboli l’esclavage. [[La thèse de Jean-Claude Milner est intéressante, parce qu’elle souligne que c’est au contact des moldus que les sorciers apprennent à être plus tolérants, mais elle n’est pas entièrement recevable : il est précisé à plusieurs reprises que la tolérance d’Harry provient de sa mère et non des Dursley, pourtant ce sont ces derniers qui l’ont éduqué.]] A la lumière de cette expérience, certaines pratiques admises par les sorciers peuvent paraître choquantes pour un moldu.

C’est ainsi qu’Hermione fait un scandale quand elle découvre que le fonctionnement de Poudlard se fonde sur l’exploitation des elfes de maison. Les sorciers, avec tous leurs pouvoirs, n’ont pas encore été capables de produire la philosophie politique des moldus. En ce sens, l’éducation d’Harry Potter est non seulement sentimentale (il apprend ce qu’est l’amitié et le courage dans les sept tomes) mais aussi politique.

L’auteur oppose même l’effet que le Seigneur des Anneaux et Harry Potter peuvent produire sur les lecteurs. Selon Jean-Claude Milner, il y aurait ainsi deux lectures possibles du Seigneur des Anneaux, une claire et une autre plus sombre, dans la mesure où l’univers de Tolkien est à la fois fondé sur la séparation coexistence pacifique des populations. En revanche, l’analyse de Jean-Claude Milner souligne que la position de J.K. Rowling sur la tolérance mérite le respect : l’éducation qu’elle véhicule combat la corruption de la jeunesse.

Notre avis

Si l’exposé de Jean-Claude Milner s’est révélé très instructif et fouillé, certains points nous ont posé problème. Si le choix de comparer les deux sagas a permis de souligner des différences et des similarités qui peuvent être mises en parallèle avec l’évolution de la société entre les périodes d’écriture des deux séries, il nous a semblé dommage qu’à aucun moment, le conférencier n’ait fait remarquer que J.K Rowling, comme beaucoup d’autres écrivains, avait été inspirée par Tolkien ; un élément qui semble pourtant essentiel lorsque l’on compare les deux œuvres. On peut également regretter que l’auteur ait choisi de présenter le Seigneur des Anneaux et Harry Potter comme les seules épopées juvéniles d’envergure, alors qu’il en existe d’autres qui ont tout autant marqué leur époque, comme Les Chroniques de Narnia ou A la Croisée des Mondes.

Un des points les plus déconcertants concerne la définition même d’épopée juvénile et l’utilisation que Jean-Claude Milner fait de ce terme. En effet, si la notion d’alter-monde est intéressante et permet de se concentrer sur un type de littérature précis, l’idée de définir le Seigneur des Anneaux comme une épopée « juvénile » est très réductrice, voire faussée. En effet, au début de La Communauté de l’Anneau, Frodon célèbre ses trente-trois ans, ce qui correspond à la majorité chez les hobbits. On est loin de l’image du jeune garçon qui a encore tout à apprendre. Ce sont ses compagnons de route, Merry, Pippin, et Sam, bien plus jeunes et insouciants que lui, qui mériteraient cette appellation.

Ce qui nous amène à un autre problème : dans son argumentation, Jean-Claude Milner se concentre sur le héros et son ennemi ; mais les alliés de l’un et de l’autre ont toute leur importance et mériteraient une plus grande considération, car c’est bien grâce à ses alliés que le héros parvient au bout de sa quête. Ne pas les prendre en considération réduit considérablement l’œuvre à un conte simpliste et linéaire où le personnage principal s’en va gaiement affronter son ennemi la fleur au fusil sans rencontrer d’obstacle majeur, car «le bien doit triompher du mal, et les méchants sont toujours punis ». Pourtant, sans Hermione ou Dumbledore, on peut se demander si Harry aurait été capable de survivre ne serait-ce qu’à son tout premier affrontement direct avec Voldemort. Il est évident qu’il est difficile d’étudier en détail l’importance de chaque personnage dans un sujet aussi vaste, mais les balayer aussi facilement réduit « l’épopée juvénile » à ce dont elle a justement essayé de se démarquer : les contes pour enfants.

138316697385.jpg Un autre aspect dérangeant de la présentation a été l’insistance du conférencier sur les liens entre les deux sagas et les événements de la seconde guerre mondiale. Par exemple, Jean-Claude Milner s’est longuement attardé sur une comparaison entre le personnage de Gollum et les clichés dont les juifs ont été victimes. Selon lui les différents traits de caractère de Gollum, tels que sa soumission apparente, son humilité excessive, sa rancune envers le possesseur de l’anneau, sa mauvaise odeur, sa soif de l’or, ou le fait que la paix du monde semble être intimement liée à la mort du personnage dans les flammes, demeurent dérangeants et soulèvent de nombreuses questions sur les motivations de Tolkien en décrivant un tel personnage. Non seulement cette comparaison nous semble douteuse et tirée par les cheveux, mais elle apparaît peu pertinente dans l’argumentation et renforce l’impression que le conférencier souhaite établir des liens avec l’antisémitisme à tout prix, aux dépens d’autres thèmes.

S’il est indéniable que cette période de l’histoire a eu un impact considérable sur la littérature et que les deux sagas étudiées y font effectivement de nombreuses références plus ou moins subtiles, il aurait été intéressant de les comparer sur d’autres plans. De nombreux autres aspects des deux séries auraient pu être mis en parallèle, comme le féminisme par exemple, ou la place du folklore. Choisir de ne se concentrer que sur les liens apparents avec le nazisme ou l’antisémitisme est très réducteur et donne l’impression que ces sagas ne peuvent être lues qu’avec cette interprétation omniprésente de références aux événements de la seconde guerre mondiale et la volonté de dénoncer ces événements, en oubliant ce qu’elles sont réellement : des œuvres de fiction, destinées à divertir leurs lecteurs.

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